Cet ouvrage livre 14 des 19 communications du premier colloque (qui se voulait biennal) sur le pouvoir de l’évêque organisé par l’université de Cardiff les 24–25 mai 2013.

Le caractère international est assuré par sept communications (dont aucune ne porte sur l’Allemagne): pouvoir épiscopal et société locale dans la région de Brescia au XIIe s. (Maria Chiara Succurro); l’autorité épiscopale et le chapitre cathédral de Sion vers 1300 (Melanie Brunner); le programme de l’évêque Zoen d’Avignon, 1241–1261 (Christine Axen); l’évolution des frontières du diocèse de Liège, Xe s.–XIIe s. (Jelle Lisson); les saints évêques et le discours épiscopal sous Gérard de Cambrai, 1012–1051 (Pieter Byttebier); la reconstruction du pouvoir épiscopal dans le diocèse de Coutances après la conquête sous Geoffroy de Montbray (Chris Dennis); l’évêque Árni Þorláksson, 1269–1298, réformateur de l’Église islandaise (Heidi Anett Øvergård Beistad).

Six communications portent sur l’Angleterre: la promotion du culte de vieux saints évêques dans la nouvelle cathédrale de Durham à la fin du XIe s. (Charlotte Lewandowski); évêques, chroniques et historiens: le cas de Coventry au XIIe s. (Peter Coss); perceptions du pouvoir épiscopal de Robert Grosseteste à Lincoln au XIIIe s. (Angelo Silvestri); les sceaux des évêques d’Angleterre au XIIIe s. (Melissa Julian-Jones); perceptions populaires du pouvoir épiscopal à Hereford à la fin du XIIIe s.: Thomas de Cantilupe et l’affaire Christina Cray (Andrew Fleming); l’évêque John Grandisson d’Exeter, 1327–1369, et l’illusion du pouvoir épiscopal (John Jenkins).

À quoi s’ajoute une étude de droit canon classique sur les représentants de l’évêque et le pouvoir épiscopal (Aaron Hope).

Ces 14 communications sont distribuées (non sans quelque artifice) en trois parties: construire le pouvoir épiscopal; renforcer le pouvoir épiscopal (partie exclusivement non-anglaise) et exprimer le pouvoir épiscopal (partie exclusivement anglaise). Une introduction par les organisateurs (Coss, Dennis, Julian-Jones et Silvestri) présente la problématique générale avant de résumer chacune des communications, ce qui explique l’absence de conclusion. L’on regrettera en revanche celle d’un index.

L’absentéisme des évêques a été critiqué dès le Moyen Âge comme favorisant un déclin de la pratique religieuse, un recul de l’autorité ecclésiastique, voire un retour aux pratiques païennes (ainsi le chanoine Jean en son »Histoire des évêques de Coutances« à propos de la longue vacance du siège ca. 923–ca. 1013). Cependant, la nécessité d’administrer le diocèse en l’absence de l’évêque peut paradoxalement favoriser le développement d’institutions renforçant finalement l’autorité diocésaine: à la fin du XIe s., Geoffroy de Montbray crée l’office de doyen pour gérer le diocèse lors de ses fréquents voyages et l’évêque de Durham Guillaume de Saint-Calais crée archidiacre le prieur Turgot avec toute la cure pastorale sur l’ensemble du diocèse, charge qui restera liée à l’office de prieur. Les canonistes du XIIIe s. généralisent le principe avec le vicaire général, apte à effectuer tous les actes juridictionnels de l’évêque, réflexion qui contribue à faire du diocèse un territoire exigeant une administration ferme aux mains de techniciens du droit.

La création de structures administratives est un moyen pour l’évêque d’affirmer son autorité dans une zone contestée (doyenné de Léau au diocèse de Liège en 1139). Un autre moyen est la mobilisation du culte des saints. La rédaction de la »Vita II Remacli« dans l’entourage de Notger (fin Xe s.) est l’occasion de gommer les droits de l’évêque de Metz autour de Léau. La dédicace d’une cathédrale permet à l’évêque d’effacer ses rivaux: Gérard de Cambrai organise en 1030 un concile spirituel plaçant saint Géry au centre des autres saints évêques du diocèse, dont saint Vaast. En 1104, l’évêque de Durham Ranulf Flambard tient à l’écart les moines de sa cathédrale lors de la translation des reliques de saint Cuthbert.

Cela participe du contrôle de l’espace sacré. À Brescia, diocèse avec un seul chapitre mais deux cathédrales, les chanoines défendent leur monopole juridictionnel sur celle de Valère (sonnerie de cloches, accès de l’évêque en sa domus). L’autorité de l’évêque peut inversement être renforcée par la construction de palais, de parcs (Coutances) ou le contrôle de l’accès à un site de pèlerinage (saisie du bac du prieuré de Bonpas par le bayle de l’évêque d’Avignon).

Le pouvoir temporel peut renforcer l’autorité épiscopale. D’abord quand on l’exerce soi-même (Liège, Sion-Valais): l’évêque de Liège contraint par son ban les fidèles à faire une procession annuelle à Saint-Trond (bancroix), première étape vers l’accaparement de cette abbaye. Ou quand on est proche du roi: Geoffroy de Montbray tire de son amitié avec Guillaume le Conquérant un patrimoine réparti dans quatorze comtés anglais qui lui permet de poursuivre à grande échelle la politique de restauration épiscopale de ses prédécesseurs; l’évêque Arní, dont la mission est d’intégrer l’Église islandaise à l’Église universelle dirigée par le pape, est proche conseiller du roi Magnus, qui cherche à incorporer l’Islande au royaume de Norvège: leur coopération intègre l’Islande au sein de la chrétienté occidentale. Cela peut se retourner contre l’évêque lors de la succession au trône (mort du Conquérant en 1087, de Magnus en 1280). Les évêques anglais du XIIIe s., souvent issus de familles de chevaliers serviteurs du roi, délaissent les sceaux de type ecclésiastique de leurs prédécesseurs au profit de sceaux aux armoiries de leurs familles, ce qui renforce autant leur propre insertion dans le tissu local que le prestige familial.

L’évêque a divers rivaux: pour Arní, les goðar (chefs de clans); pour l’évêque de Liège, celui de Metz, qui a des droits sur la région de Léau et l’abbaye Saint-Trond remontant probablement à Chrodegang; de vieilles et puissantes abbayes bénédictines, Saint-Vaast d’Arras pour Cambrai, Leno pour Brescia, ou un simple prieuré mais contrôlant un site stratégique (Bonpas pour Avignon); bien souvent son propre chapitre cathédral: moines à Coventry ou à Durham, chanoines séculiers à Sion. Dans ce dernier cas, le conflit n’est pas systématique: évêques et chanoines sont solidaires face au comte de Savoie Pierre II. Ces rivalités peuvent interférer avec le contexte politique général: lutte du Sacerdoce et de l’Empire (Brescia, Avignon), guerres civiles anglaises (Thomas de Cantilupe).

Elles conduisent à des enjeux de mémoire qui ont pu fourvoyer l’historiographie. Si Grandisson doit son image de prélat énergique, bâtisseur, mécène, réformateur au talent rhétorique qu’il déploie dans ses »Registres«, son intransigeance l’empêche en fait d’être efficace. Inversement, la mauvaise image des évêques de Coventry vient de sources monastiques hostiles à ces prélats séculiers, dont l’entourage a d’ailleurs mis en œuvre une contre-propagande antimonastique. Les démêlés que Thomas de Cantilupe a eus de son vivant avec le pouvoir royal laissent dans la mémoire populaire, avec sa canonisation, l’image d’un saint redresseur des torts de la justice royale (résurrection de Christina Cray, injustement condamnée à mort pour un simple vol de bétail).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Bruno Saint-Sorny, Rezension von/compte rendu de: Peter Coss, Chris Dennis, Angelo Silvestri, Melissa Julian-Jones (ed.), Episcopal Power and Local Society in Medieval Europe. 1000–1400, Turnhout (Brepols) 2017, 280 p., 2 b/w ill. (Medieval Church Studies, 38), ISBN 978-2-503-57340-3, EUR 80,00., in: Francia-Recensio 2018/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48299