Septième volume de la collection des »Sources médiévales de l’histoire de Bretagne«, les »Comptes du duché de Bretagne« édités par Michael Jones et Philippe Charon ont pour ambition de présenter, dans leur intégralité, tous les comptes du duché de Bretagne conservés entre 1260 et la guerre de Succession de Bretagne (1341–1364). S’inscrivant dans la lignée des travaux de Robert Fawtier, l’objectif fixé est largement atteint en rendant lisible des documents dont la complexité et l’éparpillement rendaient la consultation et l’analyse difficile.
Dans son introduction, Michael Jones rappelle l’existence d’éditions antérieures, toujours fragmentaires, à mettre au crédit des mauristes au XVIIIe siècle, et d’Arthur de La Borderie au siècle suivant, avant de pointer du doigt leurs nombreuses lacunes. Au cours du XXe siècle, Barthélémy Pocquet du Haut-Jussé et Yves Renaudin ont apporté une précieuse contribution à l’édition de ces comptes. Toutefois, dans la mesure où les travaux de ce dernier ont été élaborés dans le cadre d’une thèse d’École des chartes, ils restent difficiles d’accès. Il est évident qu’une reprise complète de la documentation financière s’avérait nécessaire. Malgré son caractère disparate, son analyse permet à Michael Jones d’aborder les différentes étapes qui amènent à une bureaucratisation des pratiques comptables, sans toutefois aller jusqu’à la création d’une chambre des comptes qui ne verra le jour que durant le règne de Jean IV (1364–1399).
Regrettant le manque de sources, il entreprend malgré tout une analyse du personnel ducal chargé des finances et des pratiques comptables mises en œuvre. Globalement, Michael Jones suggère que la création d’institutions financières dans le duché a suivi avec retard le schéma adopté par le pouvoir capétien. Enfin, après avoir présenté les sources de façon méthodique, l’éditeur rend compte avec précision des conventions d’édition adoptées, conformes à celles préconisées par l’École des chartes.
À la suite de l’introduction, des cartes apportent un regard territorial tout à fait stimulant. Ces outils, tirés en grande partie du dossier d’habilitation à diriger des recherches d’Yves Coativy1, permettent de contextualiser les lieux du pouvoir ducal et l’organisation administrative du duché aux XIIIe et XIVe siècles. D’autres documents (fac-similés d’extraits de comptes, gisants, sceaux ducaux …) viennent utilement compléter le dossier.
Ce sont au total 39 comptes, dont 28 totalement inédits, qui font ici l’objet d’une édition soignée. Chaque compte est doté d’une mise en perspective et d’un tableau de la tradition. Les notes de bas de page permettent une identification aisée des acteurs cités, de préciser la chronologie et de rendre compte de l’état initial du texte restitué par l’éditeur. Dans un premier temps, les premiers comptes présentés sont composés de fragments rédigés en latin et datés entre 1262 et 1275, au cours du règne de Jean Ie (I à XVII). Malgré leur caractère fragmentaire, ils constituent un ensemble cohérent qui permet de mettre des noms sur de nombreux officiers ducaux et sur des lieux où le duc dispose de droits fiscaux. La suite est plus hétéroclite, entre inventaires de monnaies et de biens appartenant aux ducs Jean II et Jean III (XXI et XXXVII), comptes liés aux exécutions testamentaires de Jean Ier (XVIII) et Jean II (XXIII–XXXVI), créances et recettes dues à Jean II, entre 1300 et 1303 (XXII).
Les comptes dressés par Auberi de Baudement à l’occasion du voyage effectué en 1305 par le duc Jean II à Lyon pour assister au couronnement du pape Clément V avaient été édités séparément par Arthur de La Borderie. Michael Jones les réunit et redonne toute sa cohérence à un dossier célèbre dans la mesure où Jean II trouve la mort à cette occasion (XXII). Ce compte permet à l’éditeur de cartographier avec précision l’itinéraire suivi par le duc et son hôtel, de Suscinio jusqu’à Lyon, puis de sa dépouille, enterrée à Ploërmel (p. VII). Un compte daté de 1334–1347 vient rappeler que la vicomté de Limoges relève du duc de Bretagne (XXXVIII). Enfin, un dernier compte, établi pour les années 1348–1352 par Alain Guillemot, qui tient la seigneurie de Toffou au nom de Charles de Blois, livre un éclairage marquant sur la gestion de la forêt ducale (XXXIX).
Un tel ouvrage pourrait s’avérer d’un usage complexe. Les auteurs ont tenté d’y remédier, avec succès, en proposant un glossaire des termes rares et deux index, l’un des noms de lieux et de personnes, l’autre des matières.
Cette édition des »Comptes des ducs de Bretagne« s’avère donc indispensable à tout historien s’intéressant à la vie matérielle et aux institutions de la fin du Moyen Âge breton. Sa consultation doit être systématique pour qui veut enrichir sa recherche. Elle permet de dresser le tableau d’un pouvoir ducal qui se dote, peu à peu, d’instruments administratifs et financiers de plus en plus opérants. Elle offre également la possibilité d’observer avec une certaine finesse l’entourage ducal.
De plus cet ouvrage s’insère dans un champ de la recherche particulièrement dynamique, notamment pour la période couverte par l’édition proposée par Michael Jones. Il faut citer ici les récents travaux de Gaël Chenard sur la comptabilité capétienne au XIIIe siècle2. L’édition proposée par Michael Jones et Philippe Charon offre donc la perspective de comparaisons fructueuses sur une période au cours de laquelle l’État capétien se structure et cherche à s’imposer aux principautés du royaume.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Vincent Launay, Rezension von/compte rendu de: Michael Jones, Philippe Charon (éd.), Comptes du duché de Bretagne. Les comptes, inventaires et exécution des testaments ducaux, 1262–1352, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2017, 501 p., 30 ill. (Sources médiévales de l’histoire de Bretagne, 7), ISBN 978-2-7535-5138-1, EUR 39,00., in: Francia-Recensio 2018/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48313