Cet album de la Grande Guerre a été conçu dans le cadre de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale et soutenu également par l’Institut historique allemand. Il est présenté dans une version luxueuse. De très nombreuses illustrations, reproductions de tableaux, de cartes postales et de pages de journaux agrémentent la lecture qui se fait en deux langues, le français et l’allemand. Tous les titres, légendes et textes ont été transposés d’une langue vers l’autre. L’éditeur et l’imprimeur ont apporté un soin particulier au façonnage et à la conception graphique de l’ouvrage qui s’apparente donc davantage à un album richement illustré qu’à un livre d’étude conventionnel.

Les illustrations font d’ailleurs plus qu’accompagner le texte, elles introduisent une polyphonie dans l’album: images suivies de textes. Les auteurs décrivent, explicitent et commentent les illustrations de l’époque. La reproduction de la première page des journaux français et allemand publiés cette journée funeste du 4 août 1914 est éloquente. »Le Matin« annonce à Paris: »L’Allemagne déclare la guerre à la France«, et le »Morgenpost« à Berlin: »Frankreich greift an!« (»La France attaque!«). Deux vues de l’événement différentes, une propre à la France, l’autre à l’Allemagne, qui pourraient paraître contradictoires, alors qu’elles sont complémentaires et s’inscrivent dans un autre registre. Il s’agissait dans chaque pays en guerre de dénoncer l’ennemi en utilisant différents supports, dont les journaux et les images, pour frapper les esprits, au risque d’exagérations et manipulations.

C’est aussi à cela que s’intéressent les nombreux historiens et historiennes ayant participé à l’élaboration de ce livre. Outre les événements tragiques qui se succèdent pendant quatre années, un arrière-plan est évoqué, l’engrenage funeste dans les années d’avant-guerre qui conduit au conflit et, après la guerre, »la politique mémorielle« différente des deux pays en raison des nouveaux événements survenus.

Des quelques mois qui précèdent l’entrée en guerre, les auteurs retiennent deux faits qui devaient précipiter, parmi d’autres, l’éclatement du conflit: d’abord le voyage de Raymond Poincaré en Russie, illustré par une photo du président du Conseil assis aux côtés de Nicolas II. Ce rapprochement affiché entre la France et la Russie confirmait, aux yeux des Allemands, l’imminence du danger, qu’avait voulu éviter Bismarck et que Guillaume II avait traité à la légère, le danger de l’encerclement de l’Allemagne par des forces ennemies.

Le poids des alliances, vu d’Allemagne, c’est celui unissant l’Allemagne et l’Autriche, auquel se joint épisodiquement l’Italie, comme le montre Holger Afflerbach. Le deuxième fait grave retenu est celui de l’assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914. La photo de ses obsèques à Paris est commentée par Gilles Candar. Jaurès était un ardent défenseur de la paix, si bien que l’écho donné à sa mort en Allemagne par les partisans de la paix est surprenant par son ampleur dans la sphère des sociaux-démocrates allemands. Elisa Marcobelli évoque alors brièvement les développements des mouvements pacifistes français et allemand durant les quatre années de guerre sans mentionner l’attrait qu’a pu exercer la révolution d’Octobre sur la partie dissidente du SPD et le Spartakusbund de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg après 1917.

On a souvent vu dans les manuels d’histoire les photos de ces foules en liesse saluant la déclaration de guerre, en France et en Allemagne. Prises dans les grandes métropoles, ces photos ne donnent qu’une vue partielle et probablement fallacieuse de la mobilisation des esprits, voilà pourquoi certainement elles ne figurent pas dans l’album. Mais comment expliquer alors que tous ces hommes, jeunes et moins jeunes, en France et en Allemagne aient voulu sur-le-champ s’engager volontairement? Un paragraphe allant dans ce sens aurait été certainement apprécié, même si Gerd Krumeich y revient ensuite, en écrivant: »L’enthousiasme de guerre tant souligné et tant critiqué, existait bel et bien.« Les accords entre les mouvements pacifistes des différents pays, qui n’étaient pas exactement de même nature en France et en Allemagne, sont venus se fracasser sur cet écueil. On pense à Roger Martin du Gard qui illustre cet échec des pacifistes dans le volume intitulé »L’Été 1914« de sa saga »Les Thibault«.

Jean-Jacques Becker et Gerd Krumeich dans leurs commentaires de la une du »Matin« de Paris et du »Berliner Morgenpost«, montrent une sorte d’improvisation dans les faits qui se déroulent; tout se passe comme si une série de hasards malheureux s’enchaînaient inexorablement pour mettre le feu aux poudres, jusqu’à l’attentat de Sarajevo. Personne ne voulait vraiment la guerre et personne n’a su l’empêcher car tous se sentaient menacés. Pour les Belges et les Français qui sont envahis, l’agression de leur pays est évidente. Les autorités allemandes quant à elles vont s’employer à démontrer la même chose en dénonçant le dessein d’agression de la Russie. La population allemande ne mit pas en doute la véracité de ces dires.

Difficile à admettre pour un esprit français, mais tel est bien le cas. C’est en ce sens que l’album est efficace pour enclencher, au-delà des faits, une meilleure compréhension bilatérale de la Grande Guerre: les deux peuples étaient intimement persuadés de mener une guerre »défensive«. L’évolution de la guerre qui, de guerre de »position«, devient une guerre de »mouvement« est mise en évidence par Markus Pöhlmann qui compare et commente deux estampes réalisées à des moments différents du conflit.

Dans le deuxième chapitre consacré aux acteurs et personnages symboliques de la guerre, Sébastien Bertrand et Martin Kohlrausch s’arrêtent sur les représentations graphiques de l’empereur Guillaume II, une caricature française féroce et une peinture de 1915 sur laquelle Guillaume II, portant l’uniforme allemand, déclare ne pas avoir voulu la guerre: constat pathétique de son échec, puisqu’il avoue ainsi indirectement mais clairement ne pas être en mesure de l’arrêter. Si pour les Français, il représentait le coupable par excellence de la tuerie sur lequel se focalisaient toutes les haines et détestations, son champ d’action fut en fait bien réduit au fur et à mesure que la guerre se prolongeait. Charles Ridel commente ensuite la reproduction de la couverture du journal satirique parisien »Le Rire«, qui, en janvier 1915, représente le général Joffre en père de la victoire, alors que pour l’Allemagne, Jesko von Hoegen s’intéresse au mythe de Hindenburg en décrivant une carte postale de la même année représentant »Le Hindenburg de fer à Berlin«. Dans les deux pays, il s’agissait de donner confiance à la population dans la prochaine victoire en instaurant un culte des héros de la guerre.

Dans la façon dont furent appréhendés pendant la guerre les soldats venus d’autres parties du monde, on note une différence entre les pays qui s’explique par le fait que la France et l’Angleterre étaient des puissances coloniales plus anciennes et plus importantes que l’Allemagne. Jacques Frémeaux revient sur le rôle joué par ces troupes issues des colonies et leur ressenti en essayant de corriger quelques idées fausses qui circulent encore aujourd’hui en France. En Allemagne, le recours de l’Entente à ces troupes non-européennes pour combattre contre les soldats allemands provoqua un certain émoi décrit par Christian Koller, ce qui est certainement dû, on peut penser, à la rareté de contacts à cette époque avec des non-européens, l’inconnu étant toujours source de méfiance et de fantasmes.

On peut en revanche constater, des deux côtés du front, l’irruption d’un nouvel héros au cours de la guerre, l’aviateur. Son aura était telle qu’aussi bien Georges Bernanos qu’Ernst Jünger avaient souhaité faire partie de ce nouveau corps d’élite, sans que leur projet se réalise. Que ce soit en France ou en Allemagne, les images d’aviateurs furent alors rapidement utilisées par la propagande pour exalter le courage des combattants et montrer que la guerre ne pouvait déboucher que sur une victoire, c’est ce que montrent Bénédicte Chéron et Bernd Hüpphauf pour leur pays respectif.

Au cours des quatre années du conflit, la perception de la guerre par la population civile évolua. Si en 1914, comme le montre la carte postale décrite et commentée par Emmanuelle Cronier, les Français se réjouissaient de ne manquer de rien, les restrictions qui suivirent ne tardèrent pas à les rappeler à la dure réalité de cette guerre qui n’épargnait pas les civils. Mais c’est certainement en Allemagne que les problèmes d’approvisionnement, en raison du blocus anglais, allaient se révéler les plus aigus.

La photo de 1917 décrite par Silke Fehlemann montre un attroupement impressionnant devant une épicerie; les personnes sont en quête de denrées alimentaires: la pénurie devait provoquer disettes et révoltes. Dans ce contexte, la vie des enfants était bien difficile. De la photographie commentée par Manon Pignot, on peut déduire que, près du front, les conditions de vie et d’étude ne pouvaient être qu’improvisées et précaires. En Allemagne, loin des théâtres d’opérations, il fallait aussi expliquer aux enfants ce qui était en train d’arriver en adaptant le récit de la guerre à ce qu’ils pouvaient comprendre. Rainer Bendick souligne le rôle contrasté que jouèrent les pédagogues en Allemagne.

Le troisième chapitre nous informe sur les »objets emblématiques« de la guerre dont la particularité, mise en évidence par les historiens dans ce chapitre, est d’avoir été conçus pendant la guerre en fonction de la terrible expérience vécue au jour le jour. L’impréparation des armées pour affronter cette guerre d’un nouveau type est évidente. Les uniformes du siècle passé, pas plus que les couvre-chefs, trop légers, ne pouvaient convenir. C’est alors que l’on eut recours aux casques d’acier, qui apparaissent presque au même moment dans les deux armées face à face, dans le but de mieux protéger les soldats. Thomas Weißbrich décrit l’apparition de ce nouvel objet de la guerre qui prend rapidement une valeur emblématique. Outre les casques pour protéger, il fallait aussi introduire un nouvel objet pour récompenser les actes de bravoure, maintenir le moral des troupes, et c’est ainsi que l’on (ré-)imagina une nouvelle décoration, la croix de guerre pour les Français et une nouvelle version de la croix de fer pour les Allemands.

Sébastien Bertrand et Ralph Winkle apportent des détails peu connus sur une sorte d’inflation dans l’attribution de cette décoration aussi bien dans les rangs français qu’allemands. Inflation entraînant une dévaluation des décorations que les anciens combattants de la Grande Guerre que j’ai connus, ignoraient ou bien négligeaient. Il devient difficile aujourd’hui de concilier l’attachement silencieux et profond de certains poilus français pour leurs décorations avec leur engagement résolu pour le pacifisme. Difficulté d’appréhension qui résulte du basculement des temps héroïques dans notre ère »posthéroïque« et de la mutation de paradigme y afférent.

La décoration qui récompensait les mérites des soldats contribuait également à la cohésion nationale: pour les civils, elle était le signe de l’esprit de sacrifice des soldats pour sauver leur nation. Parmi les objets de guerre, on range aussi les trophées, des armes et des canons pris à l’ennemi. Pierrick Hervé commente une photo des trophées exposés en France aux Invalides en 1915 et Gerhard Hirschfeld une photo prise le 20 août 1914 à Strasbourg, représentant des canons confisqués aux Français. Ce sont des prises de vue qui ont lieu au début de la guerre, et qui deviennent vite inactuelles en raison de l’enlisement des hommes dans les tranchées.

Les emprunts de guerre furent les objets immatériels de la guerre. Les dépenses engagées étaient pharaoniques, aussi les États devaient-ils recourir à des emprunts pour couvrir leurs dépenses et payer les intérêts des emprunts précédents. Les affiches de propagande appelant les citoyens en France et en Allemagne à souscrire à ces emprunts sont décrites et commentées par Patrice Baubeau et Gerold Ambrosius. Ils détaillent les problèmes financiers dans les deux pays belligérants et montrent les incidences que cela devait avoir sur l’économie des pays, la guerre une fois terminée.

Si la guerre vit l’émergence d’une arme nouvelle, les chars d’assaut, elle contribua également au perfectionnement des armes anciennes comme le canon. C’est dans ce domaine que l’armée allemande mit beaucoup d’espoirs comme l’expliquent Stéphane Audoin-Rouzeau et Gerd Krumeich en rappelant cet épisode de la fin de la guerre, un peu oublié, la destruction de certains immeubles de Paris par ce nouveau canon fabriqué en Allemagne ayant une portée permettant d’atteindre la capitale française: les civils n’étaient plus à l’abri.

C’est en ce sens que cet épisode préfigure la guerre »totale« qui devait suivre, deux décennies plus tard, mobilisant l’ensemble de la population. Le chapitre se termine sur le paragraphe de Nicolas Beaupré consacré aux best-sellers de guerre écrits par Barbusse, »Le Feu« (1916), et Remarque, »À l’Ouest rien de nouveau« (1929), livres aux incroyables tirages et aux nombreuses traductions en différentes langues. On a oublié aujourd’hui que, dans l’entre-deux-guerres, comme le rappelle à bon escient Beaupré, »les best-sellers nationalistes consacrés à la période 1914–1919 furent beaucoup plus nombreux et connurent des tirages bien plus importants – Remarque mis à part – que les livres pacifistes«. On peut trouver davantage d’informations à ce sujet dans le livre de Matthias Schöning »Versprengte Gemeinschaft. Kriegsroman und intellektuelle Mobilmachung in Deutschland 1914–1933« (Göttingen 2009).

Le quatrième chapitre regroupe les études qui montrent la violence ou la tentative de la cacher. Annette Becker, s’appuyant sur un magnifique dessin de Raoul Dufy, publié dans »Le Mot« en 1915, résume les sentiments, émotions et croyances largement répandus cette année-là en France, provoqués par les exactions des troupes allemandes au cours de l’invasion de la Belgique et du Nord de la France, en faisant la part du mythe et de la réalité.

Concernant les mêmes faits, Larissa Wegner montre l’inconfort et les difficultés des Allemands à répondre aux accusations, quelquefois fantasmées, des Français devant le tribunal mondial de l’opinion. Les troupes allemandes ont bel et bien envahi deux pays: c’est la réalité que l’on ne peut nier. Pour contrer cette mauvaise presse, les Allemands utilisent des cartes postales mettant en scène la générosité et l’amabilité des troupes allemandes vis-à-vis des populations sans que cela soit vraiment convainquant, si ce n’est en Allemagne même.

Les cartes postales connaissent un engouement sans précédent au cours de la guerre et il en est de même pour les photos prises sur le front par les soldats photographes-amateurs et ensuite par les armées elles-mêmes pour tenter, sans y parvenir, de contrôler les images qui s’échappent du front. On apprécie le commentaire nuancé des photos reproduites dans l’album de Benjamin Gilles et Arndt Weinrich. Ils s’interrogent sur le probable effet, à l’époque, de ces photos vues dans la presse, en évoquant plusieurs possibilités. Difficile de savoir aujourd’hui. Une différence culturelle entre les deux pays est soulignée à propos de la liberté, de la tolérance implicite de chaque pays à reproduire ou non ces photos de soldats morts.

Et puis il y aussi les affiches qui s’adressent au plus grand nombre de citoyens pour véhiculer finalement le même message, que cela soit en France ou en Allemagne, la légitimité du combat mené, la nécessité des sacrifices consentis au regard de cet ennemi terrible contre qui l’on combat. Marie-Christine Bonneau-Darmagnac commente une affiche qui reprend les thèmes en vogue vers la fin de la guerre pour instiller dans la population la peur de l’ennemi: l’Allemagne représentée par une pieuvre, une façon de rejeter l’entière responsabilité de la guerre sur l’Allemagne. Michael Epkenhans a choisi, dans le même ordre d’idées, une affiche qui, comme l’affiche française, se réfère au passé, pour montrer que ce n’est pas l’Allemagne qui est la plus militariste, mais bien les pays de l’Entente, la responsabilité de la guerre leur échoit donc logiquement, contrairement à ce que prétendent les ennemis.

La façon dont les pays belligérants traitaient leurs prisonniers de guerre devint vite un des éléments de la propagande pour montrer »l’inhumanité« de l’ennemi et la générosité de son propre camp dans le traitement des soldats capturés. C’est ainsi que nait, comme l’écrit Alexandre Lafon, »une guerre psychologique«. Il faut aussi démontrer par l’usage des cartes postales que, dans chaque pays, les prisonniers sont bien traités, pour contrer les accusations de l’ennemi. En réalité, Uta Hinz, explique que l’Allemagne a bien du mal à gérer ce flot impressionnant de prisonniers. Là encore, au cours des premières années de guerre, comme l’écrivent les historiens, les deux pays doivent se préoccuper de l’image qu’ils renvoient au monde, dans l’espoir de gagner de nouveaux alliés. Dans cette guerre psychologique, il n’était pas rare, selon Yves Ternon, que les revues utilisent des caricatures parues dans des journaux étrangers lorsqu’elles pouvaient servir leur propagande interne.

C’est plutôt les pays non encore impliqués dans la guerre qui se préoccupent du sort des Arméniens poursuivis et massacrés par les autorités turques, sans prendre vraiment la mesure du génocide perpétré, comme le montre Yves Ternon. Quant aux Allemands, alarmés par l’ampleur des crimes, ils choisiront pourtant en haut lieu de ne rien faire qui pourrait nuire à leur allié turc, se conformant à une circulaire officielle de 1915, mentionnée par Oliver Stein.

Le cinquième chapitre est consacré à la longue sortie de la guerre. L’armistice est signé le 11 novembre 1918. Élise Julien décrit une photo prise ce jour-là à Paris: la joie est manifeste et générale dans le cortège dépareillé. Mais bientôt, une certaine déception apparaît chez les Français, explique-t-elle, même s’ils sont vainqueurs. La photo, prise à Berlin, date du 9 novembre 1918, le jour de la révolution; d’une certaine façon, c’est la victoire des opposants à la guerre qui espèrent un changement radical, bientôt contré par d’autres forces. Ce n’est que le 7 mai 1919 que l’Allemagne devait apprendre le résultat de la conférence de la paix de Paris et les dispositions prévues par le traité de Versailles; elle n’avait pas participé à son élaboration.

Nicolas Patin revient sur cet épisode en montrant à travers un dessin et une photo les débuts difficiles et violents du temps de paix. Moins connue du grand public est cette coopération militaire entre l’armée française et des soldats polonais à laquelle participa le général de Gaulle, décrite par Frédéric Guelton et Andrzej Nieuwažny. En Allemagne, les corps francs continuent également une lutte armée dans la république fraîchement proclamée. Elle a eu recours à eux pour prévenir un risque de révolution bolchevique tout en étant dans l’incapacité de contrôler leur action. Pour Jan-Philipp Pomplun, ce fut un problème majeur auquel la jeune république de Weimar fut confrontée à ses débuts.

Quel sens donner à la guerre celle-ci terminée? Pour l’évoquer à propos des Français et des pays vainqueurs, Yohann Chanoir se réfère à une belle carte postale qui représente la gratitude de la France envers ses alliés. En ce qui concerne les Allemands, cela s’avère beaucoup plus complexe en raison de la défaite et c’est malheureusement le national-socialisme qui se charge de réactiver les sentiments refoulés en magnifiant la conduite des »héros de la guerre« à travers de nombreuses illustrations, dont celle du peintre Elk Eber décrite par Nils Löffelbein; cela dans le but funeste que nous connaissons.

Voilà pourquoi le cinquième chapitre se termine sur les liens entre la Première et la Deuxième Guerre mondiale, surtout visibles à ses débuts, quand les autorités allemandes tentèrent, de manière détournée, d’exploiter le pacifisme de certaines organisations françaises d’anciens combattants pour assoir l’esprit de collaboration en France, comme le montre Anne-Sophie Anglaret. En Allemagne, il s’agissait pour le pouvoir nazi d’effacer la »honte« de la signature de l’Armistice, ce qui fut fait, brièvement, en 1940, par la victoire sur la France. Le wagon de l’Armistice fut alors transporté à Berlin, comme le montre la photographie commentée par Arndt Weinrich, pour rendre cette victoire encore plus visible et symbolique. Mais cela ne devait pas durer.

Le sixième et dernier chapitre sur les »lieux symboliques, lieux de mémoire« commence par des précisions apportées par Jérôme Schweitzer sur les réactions des habitants de l’Alsace-Lorraine à la fin de la guerre. Tout semble indiquer la grande joie des Alsaciens à revenir dans le giron de l’État français, mais ces retrouvailles ne furent pas sans créer des problèmes nouveaux. S’il y a bien un lieu de mémoire incontesté, dont le souvenir est particulièrement douloureux pour les deux peuples, c’est Verdun qui vit s’affronter les deux armées pendant des mois pour un résultat sur le terrain pratiquement nul, au prix de centaines de milliers de morts et de blessés parmi les hommes.

Les deux cartes postales choisies par François Cochet et Holger Afflerbach sont explicites dans leur simplicité. Celle représentant Pétain figure la détermination de tout un peuple à se défendre, résumée par ces trois mots: »On les aura!«. Cela devait déboucher sur le mythe de Pétain, vainqueur de Verdun. Quant à celle choisie par Holger Afflerbach, elle représente ce premier assaut victorieux des troupes allemandes sur le Fort de Douaumont, salué par l’opinion publique allemande, mais aux conséquences militaires fatales.

Dans son article sur Verdun, Antoine Prost met en relief l’importance de Verdun, lieu de mémoire, en décrivant la photo reproduisant la célèbre poignée de mains des deux chefs d’État, François Mitterrand et Helmut Kohl, le 22 septembre 1984, se recueillant devant l’ossuaire de Douaumont, comme si c’était à Verdun, que la réconciliation et l’amitié entre les deux peuples prenaient tout leur sens. Les politiques mémorielles des différents États, retiennent ensuite des événements en fonction de l’engagement de groupements de la société civile, qui souhaitent par exemple réhabiliter certains »fusillés pour l’exemple«, ce qu’explique Nicolas Offenstadt. Il revient également, pour clore l’album, sur la cérémonie franco-allemande du 3 août 2014 qui a réuni François Hollande et Joachim Gauck.

Donner un aperçu complet et inédit de la Grande Guerre au moyen d’une série de très courts textes commentant des images de l’époque était une gageure. Elle a été tenue et gagnée. Parmi les innombrables livres consacrés à la Grande Guerre, en particulier en France, l’album s’inscrit dans le registre de la coopération des historiens français et allemands spécialistes de l’histoire de la Grande Guerre, si bien que c’est une foule de faits et d’événements, jusque-là inconnus, mis au jour grâce aux recherches récentes, qui sont portés à notre connaissance et qui rendent la lecture de l’album passionnante.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Danièle Beltran-Vidal, Rezension von/compte rendu de: Nicolas Beaupré, Gerd Krumeich, Arndt Weinrich (dir.), La Grande Guerre vue d’en face/1914–1918, Nachbarn im Krieg/Vue d’Allemagne, vue de France/Deutsche Sicht, Französische Sicht, Paris (Albin Michel) 2016, 303 p., ISBN 978-2-226-32145-9, EUR 30,00. , in: Francia-Recensio 2018/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48465