L’ouvrage de Caroline Campbell s’inscrit dans une dynamique de recherche – essentiellement anglophone – sur les Croix-de-Feu/Parti social français (PSF), organisation de masse de droite nationaliste de sa naissance en 1926 à sa disparition en 1940. L’autrice situe son propos en dehors du débat sur le fascisme français qui a marqué jusqu’ici l’historiographie des Croix-de-Feu/PSF. Elle propose une nouvelle interprétation historiographique à partir du genre et de l’impérialisme. Dans une introduction bien construite et étayée par une bibliographie essentiellement anglophone, elle formule deux hypothèses centrales dans l’ouvrage: d’une part, l’évolution des Croix-de-Feu, ligue de vétérans, vers le Parti social français, organisation de masse visant à réformer la société, s’opère par la présence importante des femmes; d’autre part, le nationalisme des Croix-de-Feu puis du PSF est à comprendre en incluant l’ensemble du territoire de la République, y compris les colonies.
Le premier chapitre, intitulé »The culture of war and the masculine world of the early Croix de Feu (1927–1934)« rappelle la structuration de l’association autour d’une hiérarchie militaire et de genre. À côté des Croix-de-Feu (CdF), les vétérans décorés, on trouve des groupes satellites dont l’adhésion dépend du statut martial et du sexe. Les Briscards, créés en 1929, désignent les anciens combattants ayant servi au moins six mois; les fils et filles des Croix-de-Feu – puis fils des CdF – constituent l’organisation de jeunesse fondée en 1931; le Regroupement national autour des Croix-de-Feu rassemble des hommes et des femmes qui n’ont pas combattu; tandis que les Volontaires nationaux désignent en 1933, les jeunes gens de plus de 16 ans qui n’ont pu partir au front.
Les filles de Croix-de-Feu, comme les femmes du Regroupement national, n’ont pas les mêmes activités militantes que les hommes. La masculinité martiale est alors hégémonique, reléguant dans des tâches périphériques celles et ceux qui n’ont pas pris part au combat. L’organisation participe ainsi à la diffusion d’une culture de guerre. Caroline Campbell évoque ainsi une »mystique« des vétérans qu’entretiennent les messes des maréchaux, leur présence aux cérémonies militaires et surtout les célébrations de Jeanne d’Arc, récemment canonisée en 1920. Dans ce contexte, la légitimation de la place des femmes s’appuie sur une référence à la Pucelle d’Orléans, symbole d’une féminité nationale catholique, résolument différente des modèles de féminité proposés par les féministes, comme en témoignent les écrits de Colette Yver dans les pages du »Flambeau«, bulletin du mouvement.
La place des femmes dans le mouvement occupe le second chapitre, »Building a social action movement. Women, catholicism, and the Croix de Feu/PSF’s social first strategy 1934–1939«. Sous l’égide d’Antoinette de Préval (née en 1892), l’association développe des opportunités pour les militantes. En 1934 les vétérans ne sont plus qu’un tiers des adhérents, et cette évolution morphologique appelle une transformation des rôles et des activités. Pour Caroline Campbell, le tournant social des Croix-de-Feu est d’abord le fruit de cette présence importante des femmes dans l’association et de certaines femmes à son sommet. C’est au lendemain de l’émeute du 6 février 1934 que de Préval organise une section féminine. Deux militantes sillonnent alors la France pour fonder des sections locales, Marie-Claire de Gérus et Germaine Féraud.
L’action sociale se donne à voir dans des initiatives étudiées par Kevin Passmore: soupes populaires, vestiaires, dispensaires ou encore un centre de convalescence à Pau1. Les œuvres sociales font l’objet du chapitre »Challenges to Women’s authority and autonomy. Health, financing and civic action«, dans lequel Caroline Campbell met en évidence l’autonomie des femmes dans l’institution paloise, en dépit d’une situation financière précaire et d’un manque de personnel qualifié, et les difficultés que rencontre la dirigeante de l’Action civique de l’Isère, face à la reprise en main par la section masculine. Le chapitre suivant, »Transforming French Physical Culture. Social Darwinism, bodily fitness, and gender«, s’attache à montrer les ressorts du nationalisme des Croix-de-Feu. La conception de la nation promue par le mouvement, qui se veut le creuset d’une »réconciliation« nationale, diffère sensiblement du racisme national-socialiste.
Le séjour des Soufflotines, ces étudiantes militantes qui se retrouvent au foyer de la rue Soufflot, près de la Sorbonne à Paris, est révélateur de ces différentes manières d’envisager l’appartenance à la nation. L’observation des camps de jeunesse de l’Allemagne nazie tempère l’enthousiasme à l’égard du régime et suscite de vives critiques chez les jeunes femmes tant sur l’organisation des camps, loin du professionnalisme affiché, que sur l’idéologie païenne qui les sous-tend. Le mouvement participe à l’encadrement de la jeunesse et la promotion des activités physiques et sportives, que l’on retrouve dans la plupart des organisations de cette période. Selon Caroline Campbell, l’inexistence de telles structures en Afrique du Nord est essentiellement liée aux représentations politiques des militants des Croix-de-Feu puis du PSF, comme le montre le chapitre 6 sur »Social and political action in North Africa«.
Le projet assimilationniste des Croix-de-Feu se heurte aux hiérarchies ethno-religieuses qui structurent l’ordre colonial en Algérie. Le mouvement, qui ne laisse aucune place aux femmes, tente de recruter des musulmans dans l’ensemble des territoires du Maghreb: rares sont ceux qui rejoignent le mouvement, essentiellement motivés par l’anticommunisme. Après 1936, la politique du gouvernement de Léon Blum suscite une très vive hostilité des colons. La main tendue aux musulmans cesse dès lors que les mobilisations en faveur de l’autonomie se font plus fortes. La rhétorique du PSF dénonce l’alliance supposée entre musulmans, juifs et l’Internationale communiste. À partir de 1936, François de La Rocque nomme une commission des affaires indigènes, avec à sa tête Augustin Iba-Zizen, Berbère converti au catholicisme. La ligne du mouvement est celle de l’adaptation et de l’assimilation.
La guerre et la défaite de juin 1940, puis le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, ouvrent une période de collaboration intense des militantes du PSF avec les autorités. Les Auxiliaires de la défense passive (ADP), étudiées par Laura Downs, participent à la prise en charge des civils déplacés durant l’exode2. La souveraineté française est le fil conducteur du parti, qui devient le Progrès social français après sa dissolution par le gouvernement de Vichy. Des cadres du parti collaborent aux cabinets ministériels, et les militantes et militants sont les auxiliaires des politiques sociales du nouveau régime.
Le Secours national supervise le travail des ADP, qui se développe: de 50 centres sociaux en 1941 à 250 en 1944. Le chapitre » ›The army of the good‹. Social and political action in North Africa« souligne l’importance du catholicisme dans le nationalisme ethno-religieux du PSF, qui voit dans le régime de Vichy le rempart de la chrétienté. Progressivement, à partir de 1942 – rafle du Vel d’Hiv – les ADP font aussi office de couverture pour le Klan, ce réseau de renseignement lié à la Résistance. En mars 1943, la Gestapo arrête 152 membres du PSF, majoritairement des hommes et quelques femmes – Renée Binet et Marie Jouanneau, qui sera déportée à Ravensbrück. Pour autant, en dépit de la suspicion, les ADP continuent à fournir repas et œuvres sociales. Après le débarquement de 1944 et le rétablissement d’un régime démocratique, le PSF et les ADP sont dans le collimateur. Les subventions sont retirées, la structure est démantelée. À la mort du colonel de la Rocque, Antoinette de Préval se retire dans le Cantal, au château d’Olmet où elle entretient le souvenir du fondateur du PSF à travers différentes institutions.
L’ouvrage, d’un style clair et concis, offre la première synthèse d’ampleur sur les Croix-de-Feu/Parti social français qui embrasse l’ensemble des territoires de l’empire colonial français et ses activités. Il confronte les différentes interprétations des Croix-de-Feu et s’appuie sur les recherches les plus récentes menées sur ce mouvement. Il conforte les thèses de Kevin Passmore et Laura Lee Downs sur le rôle de l’action sociale chez les Croix-de-Feu, en conférant une importance principale aux militantes, tout comme Daniella Sarnoff. Cela permet de rendre compte de la faible implantation au Maghreb, où les femmes étaient exclues des activités militantes3. Le livre prolonge ainsi les enquêtes de Samuel Kalman sur les ligues en Afrique du Nord dans l’entre-deux-guerres et souligne la dimension ethno-religieuse du nationalisme du mouvement. Sa lecture est importante pour qui s’intéresse aux Croix-de-Feu/Parti social français et à l’histoire politique française du XXe siècle.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Magali Della Sudda, Rezension von/compte rendu de: Caroline Campbell, Political Belief in France, 1927–1945. Gender, Empire, and Fascism in the Croix de Feu and Parti social français, Baton Rouge, LA (Louisiana State University Press) 2015, XIV–286 p., b/w ill., 1 map, 4 scores, ISBN 978-0-8071-6097-8, USD 48,00., in: Francia-Recensio 2018/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48469