Au sommaire de ce 49e numéro des annales consacrées depuis 1964 au travail des bibliothèques se trouvent pas moins de quatorze articles qui, en ces temps de commémoration luthérienne, s’intéressent aux relations entre bibliothèque, livre et Réforme au XVIe siècle. Placés en tête du volume, le sommaire et les résumés – en allemand et en anglais – permettent d’emblée une orientation facile du lecteur.

Analysant la relation qui existe entre les premiers manuscrits de Luther et le texte imprimé, l’article de Thomas Kaufmann met en évidence l’excellente connaissance de la chaîne de production dont le réformateur fait preuve dès le départ. La lecture des manuscrits révèle en effet le soin apporté à son travail afin de faciliter la tâche de l’imprimeur. L’élaboration de l’ouvrage apparaît ainsi avec force, le manuscrit étant transmis au fur et à mesure à l’imprimeur, alors que l’impression de l’ouvrage a déjà commencé: ce travail très professionnel qui montre une parfaite connaissance des techniques d’impression révèle aussi la relation de confiance qui existait entre auteur et imprimeur à cette époque.

Rédigé en anglais, l’article de Valentina Sebastiani consacré à Érasme est assez bref, mais n’en révèle pas moins une proximité similaire entre auteur et imprimeur: expert en matière de mécanismes de production, de circulation et de réception des œuvres imprimées, Érasme exerce un contrôle permanent sur toutes les phases d’élaboration de son ouvrage, depuis sa rédaction jusqu’à sa sortie des presses.

Elmar Mittler part de la publication de la traduction du Nouveau Testament par Luther en 1522 pour montrer l’émulation ainsi suscitée entre diverses mouvances religieuses. C’est ainsi que naissent ces fameuses »bibles patchwork«, assemblage de livres bibliques traduits par des auteurs différents, tels Hätzer et Denck (une coquille s’est glissée dans le résumé, Denck devenant »Dencker«). Révélatrices de la très forte demande du public, ces éditions »mêlées« s’arrêtent avec la publication de la première bible protestante complète parue chez Hans Lufft en 1534. L’article, intéressant et très fouillé, met en particulier l’accent sur les influences croisées de ces diverses mouvances. On regrettera que les tableaux fort complexes mettant en parallèle diverses versions de la Bible (Luther, Zwingli, Bibles catholiques, etc.) ne soient guère commentés: en l’état, ils sont d’une utilité limitée, sans parler de la conclusion de l’article qui tient davantage de l’hagiographie luthérienne que de la rigueur scientifique.

Présentant une autre facette de la production du livre, Wolfgang Schmitz s’intéresse à la situation spécifique des imprimeurs de Cologne, une ville résolument restée dans le giron du catholicisme. Si cette étude révèle en particulier les difficultés à publier des textes luthériens en terre catholique, elle montre aussi que nombre d’imprimeurs, soucieux avant tout de répondre à la demande, n’hésitent pas à publier indifféremment livres catholiques et ouvrages protestants à seule fin de répondre aux attentes d’un marché en expansion.

Après Cologne, Thomas Fuchs se tourne vers la ville de Leipzig où les problèmes d’impression, de vente et de constitution de bibliothèques ont un caractère spécifique en raison de la politique anti-réformatrice menée de 1519 à 1539. En étudiant trois exemples de bibliothèques (le couvent des dominicains et deux bibliothèques d’intellectuels humanistes), cette étude révèle que la politique du duc Georges de Saxe a eu des influences contrastées: si l’imprimerie a pu être très touchée, de même que le commerce des livres à certains moments, en revanche la possession de livres n’est affectée ni chez les catholiques ni chez les protestants.

Rédigé en anglais l’article de Andrew Pettegree repose sur une comparaison de la situation de l’imprimerie à Wittenberg et à Londres au début du XVIe siècle: en mettant en évidence les différences d’évolution – Wittenberg devient en peu de temps grâce à Luther un centre de production important, alors que la très puissante corporation des imprimeurs à Londres empêche l’imprimerie de tirer profit des controverses confessionnelles – l’article montre l’influence décisive des facteurs locaux sur l’émergence du livre et de l’imprimerie.

Pour être bref, l’article suivant n’en contient pas moins une très intéressante analyse de Gerald Chaix sur l’évolution du livre dans un tout autre contexte national: la France de la Réforme et de la Contre-Réforme. Les transformations des différents centres de production au cours du XVIe siècle – Paris, mais aussi Lyon et surtout Genève avec Calvin – sont présentées avec beaucoup de rigueur: impression, possession et usage du livre sont autant d’éléments essentiels pour mettre au jour la dimension politique de l’imprimerie et mieux comprendre l’installation de cultures confessionnelles divergentes; les pistes évoquées dans cet article gagneraient à être explorées afin de contextualiser la production, la diffusion et l’usage du livre tout au long de cette époque.

Si l’article de Marieke van Delft présente l’intérêt d’ouvrir le débat sur une nouvelle aire géographique, les Pays-Bas, cette petite dizaine de pages n’en propose qu’un survol bien rapide. Récapitulant diverses bases de données et s’appuyant surtout sur la publication d’ouvrages protestants dans la première moitié du XVIe siècle, l’étude présente des aperçus statistiques qui auraient pu être intéressants si les schémas censés visualiser la situation (voir notamment le schéma totalement indéchiffrable p. 165) avaient été lisibles. En outre l’absence totale de problématique conduit à un résultat très décevant.

En revanche, l’étude suivante présentée par Urs B. Leu sur l’imprimerie au service de la Réforme apporte une vision très éclairante et très documentée de la collaboration entre l’imprimeur Christoph Froschauer l’Ancien et les réformateurs Zwingli et Bullinger à Zürich. La mise en évidence de l’engagement de Froschauer pour la cause réformatrice, grâce notamment aux nombreux échanges épistolaires, livre une vision passionnante du travail d’imprimeur: des conditions de production à la commercialisation en passant par les tirages, la diffusion et les honoraires versés aux auteurs, etc. On notera en particulier les deux pages présentées face à face qui permettent de visualiser le passage du manuscrit au livre imprimé (p. 190–191) en révélant l’intense collaboration entre imprimeur et auteur déjà entrevue dans les deux premiers articles présentés ici et consacrés à Luther et à Érasme.

L’article de Martin Rothkegel s’intéresse pour sa part à la production et à la diffusion des livres dans les milieux de la Réforme radicale (anabaptistes, spiritualistes). Si les premières années de la Réforme (1520/1530) sont caractérisées par des tentatives pour diffuser leur foi à travers le livre imprimé, il révèle que, en raison de la censure et des difficultés nées de l’affaire dite du »royaume de Münster«, ces groupes non conformistes élaborent peu à peu des stratégies plus clandestines où le livre est réservé à la diffusion interne et où les manuscrits jouent un rôle prépondérant. En témoignent les exemples des Églises »invisibles« de Caspar Schwenckfeld, de David Joris ou encore de Hendrik Niclaes.

L’étude de Matthias Dall’Asta tente d’analyser les stratégies d’acquisitions d’ouvrages entre humanisme et Réforme. Si l’exemple de la bibliothèque de Reuchlin, non transmise à Melanchthon, est bien connu, ce sont pas moins de 500 bibliothèques particulières qui ont fait l’objet de recherches jusqu’à présent. Ces études ont permis de mettre en évidence un véritable »entrecroisement« d’ouvrages d’obédiences confessionnelles diverses dans les premières années de la Réforme. Grâce aux catalogues, aux annotations manuscrites et aux dédicaces d’ouvrages luthériens, on découvre ainsi l’existence de véritables réseaux d’acquisition. Malheureusement cet article, intéressant au départ, se transforme peu à peu en une simple accumulation factuelle.

Konrad Amann s’intéresse à la bibliothèque de l’université de Wittenberg, considérée comme un temple du savoir, et à la politique d’acquisition de Spalatin destinée à en faire un instrument susceptible de donner l’avantage à la Réforme. Cet intéressant article sur la progressive naissance de la bibliothèque de l’université de Wittenberg montre comment, à partir de 1548, la bibliothèque, à présent à Jena, devient le »trésor de la Réforme«. L’article montre ainsi l’évolution de cette bibliothèque qui d’un ‘temple du savoir’ devient peu à peu un »sanctuaire de la foi« pour la génération suivante.

Enfin l’ouvrage s’achève sur deux articles qui s’intéressent aux pays scandinaves: tous deux pointent les mêmes difficultés, liées notamment à l’absence de sources fiables et à la relative pauvreté de la production locale.

Wolfgang Undorf met en évidence ces difficultés en analysant la situation du livre imprimé dans le contexte du Danemark et de la Suède: peu d’imprimeries et une production locale très faible. En se fondant sur quelques exemples particuliers, il essaie avec prudence de mettre en évidence les origines des ouvrages trouvés dans certaines bibliothèques … On relèvera que là encore les schémas sont peu lisibles, les deux graphiques p. 266 et p. 267 où s’entremêlent toutes les nuances de gris sont des modèles à éviter!

Otfried Czaika reprend cette même problématique pour la Suède et la Finlande. Le manque d’imprimeries et le caractère transnational des transferts, les incendies, le butin de livres rapporté pendant la guerre de Trente Ans conduisent à la plus grande prudence dans les tentatives de reconstructions hasardeuses des fonds des bibliothèques locales au XVIe siècle. La modification profonde de la production qu’entraîne l’année 1525, qui ne laissera subsister qu’une seule imprimerie, l’imprimerie royale, ne doit pas selon lui être surinterprétée dans un sens historico-romantique de construction nationale!

Enfin, à la fin de l’ouvrage, le lecteur trouvera une dizaine de pages récapitulant les nouvelles acquisitions des bibliothèques allemandes pour l’année 2015.

En conclusion, cet ouvrage est un outil intéressant pour une meilleure connaissance de l’interaction entre l’imprimerie, le livre imprimé et la Réforme au cours du XVIe siècle: les nombreuses facettes présentées, tant géographiques que politiques, constituent un apport indéniable et, par bien des aspects, novateur sur ce sujet et certains articles ouvrent des pistes fort intéressantes aux futurs chercheurs. On relèvera quelques coquilles et erreurs diverses: ainsi p. 285 où la date de naissance de Kort Rogge est erronée (1525–1501, pour 1425–1501), p. 16 où l’on trouve »Oevre« pour Œuvre ou encore p. 292 où l’ouvrage de Vésale devient »De humani coproris (sic!) fabrica«. Pour finir, on regrettera aussi que la taille de police utilisée soit nettement trop petite pour permettre une lecture confortable de cet ouvrage: elle gagnerait à être »revue et agrandie« pour les prochaines publications de cette intéressante série.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Claude Colbus, Rezension von/compte rendu de: Thomas Kaufmann, Elmar Mittler (Hg.), Reformation und Buch. Akteure und Strategien frühreformatorischer Druckerzeugnisse, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2016, VI–313 S. (Bibliothek und Wissenschaft, 49), ISBN 978-3-447-10544-6, EUR 99,00., in: Francia-Recensio 2018/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48498