La biographie de Volker Koop sur Martin Bormann vient combler un vide surprenant en considération de l’inflation des travaux sur les principaux dirigeants du »Troisième Reich«, mais dont l’explication est assez évidente. Dénué de charisme, n’ayant pas tenu un journal, prononcé des discours ou rédigé des mémoires, ce bureaucrate à la froideur glaciale se tint constamment dans l’ombre de Hitler pour conquérir une position de pouvoir éminente qui en fit le véritable numéro deux du régime national-socialiste dans la seconde partie de la guerre. L’éminence brune du führer est ainsi demeurée une personnalité mystérieuse, dont la disparition dans la nuit du 1er au 2 mai 1945 laissa place à d’innombrables rumeurs et supputations, avant que l’identification de son squelette en décembre 1972 à Berlin ne vienne confirmer les témoignages sur sa mort au cours des dernières heures de l’agonie du régime.

Les sources sur celui qui fut l’exécuteur des ordres de Hitler ne manquent pourtant pas, avec la correspondance que Bormann entretint avec sa femme Gerda, publiée en 1954 par l’historien britannique Hugh Trevor-Roper, et surtout avec la véritable inflation de circulaires, de décrets, d’ordres et de notes que produisit en permanence la Chancellerie du parti sous la direction de Bormann.

Le parcours de Martin Bormann, né en 1900, fils d’un fonctionnaire des postes, est emblématique de celui des dirigeants nazis nés au tournant du siècle et trop jeunes pour avoir pris part aux combats de la Première Guerre mondiale. Démobilisé en mars 1919, Bormann se rendit dans le Mecklembourg pour y étudier l’agriculture puis se trouva entraîné dans l’agitation de la mouvance völkisch, qui lui valut une condamnation à une peine de prison en 1924. Libéré, il se rendit à Weimar et adhéra au NSDAP en 1927. Il était alors sans profession, mais studieux, discret et bon organisateur il gravit rapidement les échelons du parti et des organisations satellites.

Il bénéficia bientôt de la bienveillance de Hitler, témoin à son mariage en septembre 1929 en compagnie de Rudolf Hess. En 1933, Bormann rejoignit l’état-major de l’adjoint du führer (Stab des Stellvertreters des Führers), et devint en en octobre l’un des 18 Reichsleiter du NSDAP qui dépendaient directement de Hitler et de Hess. Il avait désormais intégré la direction du parti à la Maison brune de Munich et le proche entourage d’Hitler. Signe manifeste de confiance, le führer lui confia l’administration de sa fortune privée et Bormann devint le maître tout puissant mais secret de l’Obersalzberg à la construction duquel son nom resta étroitement associé.

Le départ insensé de Rudolf Hess pour l’Écosse, le 10 mai 1941, lui offrit l’opportunité de devenir le porte-parole de Hitler. Bormann sut saisir sa chance. Dès la fin du mois, le führer le gratifia d’un titre de ministre du Reich et ordonna l’édification de la Chancellerie du parti. Tous les Gauleiter étaient désormais subordonnés à Bormann. Le contrôle de la politique intérieure glissa entre ses mains. L’ordonnance du 16 janvier 1942 renforça la position du chef de la Chancellerie du parti et la toute puissance de Bormann fut couronnée le 12 avril 1943 du titre de »secrétaire particulier« du führer. Il avait acquis une position dominante au quartier général en étant en mesure de décider qui pouvait avoir directement accès à Hitler, privilège incommensurable dans le mode de fonctionnement du régime national-socialiste.

Avec Wilhelm Keitel (Oberkommando der Wehrmacht) et Hans Lammers (Chancellerie du Reich) il constitua le comité des Trois qui s’assura une position hégémonique auprès de Hitler. Le sang-froid dont il fit preuve le 20 juillet 1944 lui permit encore de se positionner comme le sauveur du régime et d’apparaître comme l’un des »vainqueurs« de la crise, en mesure de conforter sa position dans l’entourage du führer en obtenant les pleins pouvoirs sur le contrôle des mesures ordonnées par le décret du 25 juillet 1944.

C’est par sa discrétion et sa puissance de travail, mais aussi par son goût de l’intrigue que Bormann parvint à s’imposer. Cet aspect de sa personnalité n’est pas particulièrement reluisant. Servile et attaché au führer jusqu’à l’aveuglement, Bormann n’hésita pas à se comporter de manière blessante et humiliante à l’égard des membres de la direction nazie avec lesquels il se retrouva en compétition. Ses relations avec Lammers, Alfred Rosenberg (ministre du Reich aux Territoires occupés de l'Est) mais aussi Heinrich Himmler (SS) et Reinhard Heydrich (Reichssicherheitshauptamt, RSHA) furent mauvaises sinon exécrables. Puissant et solitaire, manifestant en permanence un insatiable appétit de pouvoir, il eut peu d’amis en dehors de Hermann Fegelein et une multitude d’ennemis à proportion de sa brutalité.

Il avait été tenu à l’écart de la préparation de l’opération Barbarossa. À la direction de la Chancellerie du parti, il s’impliqua entièrement dans la lutte contre les Églises et dans la persécution du christianisme. Il se retira lui-même de l’Église évangélique en 1936. Alors que Hitler chercha à préserver, par pragmatisme, un état de paix civile avec les Églises pendant la durée de la guerre, Bormann agit de manière perfide, en tentant d’enrôler la Gestapo dans son combat contre les Églises. Jusqu’à la fin de la guerre, il multiplia circulaires, décrets et ordres contre les Églises.

À l’intérieur de la Chancellerie du parti, l’office de la politique raciale du NSDAP (Rassenpolitisches Amt, RPA) participa à la mise en œuvre de la politique. Bormann manifesta une haine profonde à l’égard des Polonais et, bien sûr, un aveuglement contre tout ce qui était juif, en apportant une attention particulière au sort des métis et en jouant un rôle important dans la persécution des juifs hongrois en 1944. Mais Bormann se soucia également de l’état de la population allemande et de l’eugénisme, préoccupations qu’il partageait avec sa femme Gerda.

Cette nazie fanatique était favorable à la polygamie et voulait obliger chaque allemande à donner naissance à quatre enfants. Les Bormann eurent eux-mêmes dix enfants, dont un couple de jumeaux. Mais Bormann n’entendait pas pour autant promouvoir la famille comme une institution et voulait encourager, contre l’état de l’opinion, les mères célibataires. Lui-même eut d’innombrables relations extraconjugales, en particulier avec l’actrice Manja Behrens, de 14 ans sa cadette, qui est mentionnée dans la correspondance entre Martin et Gerda, laquelle rencontra même Manja au mois de septembre 1944.

Dans les dernières semaines de la guerre, Bormann se tint au côté du führer dans le bunker de la Chancellerie du Reich. Il intriguait toujours pour conforter son pouvoir et eut la satisfaction de provoquer, le 23 avril 1945, la chute de Göring qu’il détestait depuis longtemps. Dans la nuit du 28 au 29 avril, Bormann fut témoin au mariage de Hitler et d’Eva Braun. Il devint ministre du Parti dans le testament politique du führer dont il devait être l’exécuteur. À la différence de Joseph Goebbels, Bormann n’avait pas planifié son suicide. Le 1er mai, avant de tenter de s’échapper du bunker, il informa l’amiral Karl Dönitz, éphémère président du Reich, par radio de l’entrée en vigueur du testament et puis du décès de Hitler. Pour assoir son insatiable soif de pouvoir et garantir son statut de seul porte-parole de la volonté du führer, il n’avait pas peu contribué à isoler Hitler et à le couper des réalités du monde extérieur.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Michel Fabréguet, Rezension von/compte rendu de: Volker Koop, Martin Bormann. Hitlers Vollstrecker, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2012, 373 S., 23 Abb., ISBN 978-3-412-20942-1, EUR 29,90. , in: Francia-Recensio 2018/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48518