L’histoire et les évolutions du Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens (CV), la plus grande organisation de défense juive sur le territoire allemand, fondée en 1893, ont déjà fait l’objet de divers ouvrages scientifiques. Outre les brèves études sur les dernières années de l’association de Daniel Fraenkel et Jürgen Matthäus, il faut notamment citer l’analyse détaillée de l’historien israélien Avraham Barkai qui retrace l’histoire du Centralverein, de sa fondation à sa dissolution par les nazis en 19381.
L’ouvrage de Johann Nicolai, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2014 à l’Université de Potsdam, s’inscrit dans le prolongement de ces recherches. Mais, comme l’auteur l’explique dans son introduction, il entend élargir la perspective: d’une part en élucidant certains aspects du travail de l’association, jusque-là marginalisés, à savoir le travail de protection juridique et d’aide à l’émigration que l’association a assuré aux Juifs allemands entre 1933 et 1938. Et, d’autre part, en basant son étude sur l’exploitation des archives moscovites de l’organisation, jusque là insuffisamment valorisées (p. 19).
Le premier grand chapitre de l’ouvrage couvre la période jusqu’à l’adoption, en 1935, des lois de Nuremberg ouvrant la voie à une politique antisémite qui ne va cesser de se radicaliser jusqu'à la guerre. Nicolai y décrit l’attitude ambiguë du Centralverein à l’égard du nazisme montant. Tout en condamnant les mesures répressives prises par les nazis contre les juifs, comme la loi sur la restauration de la fonction publique (7 avril 1933), celui-ci aurait plutôt adopté, du moins au début du régime nazi, une attitude attentiste à l’égard des événements qui pouvait aller, en mars 1933, jusqu’à la dénonciation de la »propagande abominable contre l’Allemagne nazie à l’étranger« (p. 36), voire jusqu’à l’invitation à voter pour le NSDAP (novembre 1933).
Comme l’auteur le montre dans la seconde partie de son livre, consacrée à la période entre 1935 et 1938, les lois de Nuremberg, en anéantissant tous les espoirs »d’un traitement égalitaire des juifs allemands sous Hitler« (p. 25), représentent »une profonde césure dans l’histoire du CV« (p. 14). Elles conduisent en effet le Centralverein non seulement à un changement de politique (p. 126) mais aussi à une restructuration de son organisation et une réorientation idéologique, dont le premier reflet est le changement de nom en Jüdischer Centralverein (p. 217). Alors que, pendant les 30 premières années de l’association, marquées par la foi en une possible synthèse entre judaïsme et culture allemande et en l’obtention d’une véritable égalité des juifs allemands, il s’agissait de combattre l’antisémitisme et de faire des juifs allemands des citoyens allemands de confession juive (p. 10), le Centralverein voit sa mission maintenant avant tout dans le renforcement de l’identité juive (p. 218) et dans l’aide concrète à l’émigration (p. 222).
À en croire Johann Nicolai, l’aide à l’émigration aurait constitué le principal champ d’action du Centralverein durant ses dernières années d’existence. Si, comme le montre l’auteur, l’association a en effet subventionné la ferme d’entraînement à l’émigration Gross-Breesen (Brandebourg), créée en 1936 dans l’objectif de préparer des jeunes juifs à l’émigration outre-mer, et informé les lecteurs de son hebdomadaire, la »CV-Zeitung«, sur les possibilités d’émigration, notamment au Brésil et en Afrique du Sud, il faut cependant nuancer cette thèse. Car le Verein n’a à proprement parler ni appelé explicitement à l’émigration ni été officiellement impliqué dans la coordination et l’organisation de celle-ci. On pourrait également regretter que l’auteur ne cite pas davantage les sources des archives de Moscou, comme annoncé en introduction, mais qu’il appuie sa démonstration presque exclusivement sur des articles publiés dans la »CV-Zeitung«.
Enfin, des incorrections doivent être signalées: ainsi, le secrétaire de l’ambassade allemande, assassiné en novembre 1938 par Herschel Grynszpan, s’appelait Ernst vom Rath (et non von Rath) (p. 268, 296). Contrairement à ce qu’indique Nicolai, le directeur de la revue »Der Morgen«, fondée en 1925, n’était pas le conseiller juridique du CV, Ludwig Holländer. De même, Eva Reichmann n’est devenue rédactrice en chef du magazine qu’en 1933 et non en 1929 (p. 13). Avant, cette fonction était occupée par Julius Goldstein, puis, après sa mort en 1929, par sa veuve Margarete Goldstein.
En dépit de ces remarques, l’étude de Nicolai offre des pistes intéressantes sur les dernières années du Centralverein pour tout lecteur s’intéressant à l’histoire des juifs allemands sous le nazisme, à un moment où les possibilités d’action des juifs se sont trouvées réduites à néant.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Heidi Knörzer, Rezension von/compte rendu de: Johann Nicolai, »Seid mutig und aufrecht!«. Das Ende des Centralvereins deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens 1933–1938, Berlin (be.bra wissenschaft verlag) 2016, 314 S. (Potsdamer Jüdische Studien, 1), ISBN 978-3-95410-072-9, EUR 34,00. , in: Francia-Recensio 2018/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48520