Erich Honecker revient! Tout au moins dans les librairies allemandes.

L’ancien chef de la République démocratique allemande (RDA) vient de publier son »journal intime«. Il s’agit en fait d’un pastiche conçu par le journaliste Ralf Heimann et l’agent littéraire Daniel Wichmann, dissimulés sous un pseudonyme commun1. Certains lecteurs n’ont toutefois pas remarqué le caractère satirique de cet ouvrage qui couvre pourtant les années de 1994 à 2015, alors que Honecker est justement mort en 1994. La controverse soulevée par cette publication humoristique accroît d’autant l’intérêt de la biographie que Martin Sabrow a consacrée au dirigeant est-allemand.

Professeur d’histoire contemporaine à l’université Humboldt de Berlin et directeur du Centre d’histoire du temps présent (ZZF) de Potsdam, principal institut de recherche interdisciplinaire sur l’Allemagne divisée, Martin Sabrow se demande comment cet »homme médiocre«, pour reprendre l’expression de Helmut Schmidt, a réussi à devenir l’un des piliers du régime communiste qu’il a dirigé pendant 18 ans.

Pour comprendre l’ascension de ce piètre orateur, à l’apparence rigide et à l’élocution monocorde, il relate, dans un premier volume, les 33 premières années de sa vie, en s’appuyant sur un volumineux corpus d’archives, ainsi que sur des enquêtes approfondies auprès de sa famille et de ses camarades. Il s’attache à lui rendre sa densité historique et à le dégager de sa gangue légendaire que Honecker s’était chargé lui-même de façonner dans ses mémoires, best-seller officiel réédité à 14 reprises entre 1980 et 19892. S’il ne livre pas de révélations fracassantes, Martin Sabrow rectifie tout de même le portrait de Honecker, notamment son attitude pendant la période hitlérienne.

Né en 1912 dans une famille ouvrière d’origine suisse émigrée en Sarre, Honecker est totalement imprégné de culture communiste. Dès l’âge de 10 ans, il joue au handball dans un club communiste puis du tambour dans la fanfare du Front rouge. Jeune fonctionnaire des Jeunesses communistes, il se fait remarquer par ses talents d’agitateur, au point que le Parti communiste d’Allemagne (KPD) l’envoie, en 1930–1931, suivre les cours de l’École internationale du Komintern à Moscou. La formation qui lui y est dispensée en »conspiration« et en »sabotage« se révèle plus tard particulièrement utile dans la clandestinité. En URSS, il a l’occasion de voir deux fois Staline qui lui fait une indéfectible impression. Abandonnant son apprentissage de couvreur, il devient un fidèle apparatchik qui applique rigoureusement les consignes du KPD.

Sa carrière semble toute tracée jusqu’à ce qu’Hitler accède au pouvoir. Honecker a 20 ans en 1933 quand il entre en résistance. Pendant près de trois ans, il s’active à reconstituer dans la Ruhr des réseaux désorganisés par les arrestations, à diffuser à Berlin des tracts auprès de la jeunesse, à préparer des actions violentes comme en Sarre où il participe à un attentat à la bombe qui fait un blessé. Son activité remporte un certain »succès«, comme l’admet la Gestapo qui réussit finalement en décembre 1935 à le capturer. Le sinistre Tribunal du peuple le condamne à 10 ans de réclusion à la prison de Brandebourg – un établissement pénitentiaire moderne où les nazis internent principalement des prisonniers politiques dont plus de 1700 y sont exécutés.Martin Sabrow accorde une importance particulière à cette longue période d’incarcération durant laquelle Honecker, coupé de l’extérieur et se tenant à l’écart des autres détenus, se fige dans une mentalité stalinienne. Il émet en même temps des doutes sur la rectitude morale du jeune communiste. Il le soupçonne d’avoir été »largement disposé à coopérer avec la justice nazie«, au point que le directeur de la prison le considère comme »loyal« à l’égard du régime. Les registres du pénitencier témoignent qu’il »se comporte bien et travaille convenablement«. Il va même jusqu’à charger son camarade Hans Jennes, ancien chef des Jeunesses communistes de Sarrebruck, qui est condamné en 1941 à quatre ans de prison par le Tribunal du peuple.

La fin de la guerre donne lieu à une évasion rocambolesque que Honecker évoque dans ses mémoires de manière lapidaire. Alors qu’il travaille à Berlin sur les toits, il profite le 6 mars 1945 d’une alerte aérienne pour s’enfuir. Ne trouvant pas de cachette, il se réfugie chez la mère d’une gardienne de sa propre prison dont la fonction consiste à surveiller les prisonnières conduites à l’échafaud et qui avait essayé vainement d’adhérer au parti nazi. Il entretient une liaison avec son ancienne geôlière qui le persuade au bout de quelques semaines de retourner en prison et s’arrange pour lui éviter des ennuis. C’est l’Armée rouge qui le libère finalement le 27 avril. Même si les conditions obscures de sa fuite et sa relation avec la gardienne (qui devient sa première femme) lui valent une sévère réprimande de la part de la nouvelle direction du KPD, Honecker assume rapidement en zone d’Allemagne occupée par les Soviétiques une position prééminente, en présidant dès 1946 les nouvelles Jeunesses communistes, la Freie Deutsche Jugend (FDJ).

Couronné par le prestigieux prix Golo Mann, le premier tome de cette biographie laisse augurer d’un second volume encore plus passionnant.

1 Jorge Nicolás Sanchez Rodriguez, Hier ist alles Banane. Erich Honeckers geheime Tagebücher 1994–2015, Berlin 2016.
2 Erich Honecker, Aus meinem Leben, Berlin (Est) 1980.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Cyril Buffet, Rezension von/compte rendu de: Martin Sabrow, Erich Honecker. Das Leben davor. 1912–1945, München (C. H. Beck) 2016, 623 S., 62 Abb., ISBN 978-3-406-69809-5, EUR 27,95., in: Francia-Recensio 2018/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48523