En quoi et pourquoi le national-socialisme est-il marginal dans les chroniques locales (Ortschroniken)? Dans quelle mesure ces chroniques, ainsi que les Heimatbücher dans l’Allemagne de l’Ouest tout d’abord, puis les Heimatgeschichten, les histoires locales, dans l’Allemagne de l’Est, constituent-ils un genre?

La présente publication est le fruit d’un projet postdoctoral consacré à l’étude du souvenir du national-socialisme et de la Seconde Guerre mondiale dans les chroniques de village. Dirk Thomaschke y analyse le modèle du récit historique sur la période nationale-socialiste, afin de comprendre, à travers les chroniques locales, comment se construit l’histoire culturelle du quotidien et du local.

Le travail de l’auteur complète les connaissances sur l’histoire culturelle et sur la culture du souvenir du national-socialisme et de la Seconde Guerre mondiale au niveau local. En effet, beaucoup de critiques envers les chroniqueurs locaux sont concentrées sur la façon dont ils traitaient cette période. De plus, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, on observe la multiplication des livres sur l’histoire des communes écrits par leurs habitants, des amateurs, sans méthodes historique et scientifique. Ainsi un nouveau genre historique apparaît : l’histoire du quotidien (Alltagsgeschichte).

Pour mener à bien sa recherche, Dirk Thomaschke a étudié une centaine de livres d’histoire des communes dans de nombreux Länder, à travers toute l’Allemagne et toutes les décennies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour en définir des modèles.

Le livre se divise en six parties. Les deux premières sont consacrées à la définition du concept d’»Ortschroniken«. D’abord, l’auteur retrace la genèse et l’évolution du genre. Il étudie son contenu, avec sa variété thématique, qui, tout en gardant plutôt la même structure, s’est enrichi de nouveaux sujets au fil du temps. L’ensemble était très largement illustré, notamment par des photographies. L’étude se poursuit avec l’évolution du profil des auteurs. Dans un premier temps, les auteurs souvent issus de la commune étaient des notables instruits, pour évoluer ensuite vers des groupes d’auteurs intergénérationnels avec une importante représentation féminine et des participants issus de toutes les catégories socioprofessionnelles. Ils étaient donc autant acteurs qu’auteurs. De plus, la genèse du récit se trouvait souvent dans un projet communal ou une exposition, dont le financement pouvait être très varié. On peut observer deux principes dans ce genre : d’une part, celui d’un recueil de souvenirs pour le village, et d’autre part, une nette séparation entre le village, son proche environnement et son milieu.

Ensuite, il replace les chroniques locales dans une perspective historiographique, de l’origine à nos jours. Thomaschke s’attache à distinguer trois genres voisins: les Ortsgeschichten, les Ortschroniken et les Heimatbücher. Les Ortsgeschichten sont très éclectiques. Cet éclectisme, constaté au début des années 1960, a encouragé à mettre en place une instruction pour la structure du genre. Toutefois, les méthodes et les compétences historiques font souvent défaut. Les Ortschroniken sont un inventaire issu d’un projet collectif d’auteurs et de lecteurs, qui sont à la fois des amateurs et des experts de leur propre histoire. Ces dernières sont un mélange entre de la nouveauté et du connu, montrant le plus souvent la richesse et la diversité de leur histoire, surtout à travers les illustrations, mais elles dévoilent aussi une histoire autarcique, qui montre une certaine stabilité. En effet, pour l’auteur, ces chroniques sont le récit d’une histoire immuable, que seule la simplification du quotidien vient altérer. On peut ainsi dire qu’au lieu d’écrire l’histoire du village, les Heimatbücher, plus académiques, adoptent une perspective plus large : l’histoire dans le village. Cette dernière variante du genre dépeint une vie communautaire sans problèmes, solidaire et idyllique, avec un engagement pour la communauté villageoise. Ces travaux veulent aussi mettre en avant une certaine transparence sociale de la commune.

La troisième partie, la plus longue, traite de la façon dont la période de 1933 à 1945 est relatée. Les différents auteurs mettaient l’accent sur les bombardements et les soldats morts au front, mais aussi sur la séparation entre le village et son environnement tant géographique qu’historique. La localité apparait dans ce contexte comme une île au milieu de la tempête. Ainsi, malgré le trouble provoqué par le »IIIe Reich«, le caractère des villages n’aurait pas changé. Cette période apparaît pour les auteurs des récits locaux comme une phase de l’histoire des communes, mais qu’il serait inutile de développer dans les Ortsgeschichten. En effet, Thomaschke avance l’idée que l’histoire de 1933 à 1945 semble ne pas appartenir à l’histoire locale, mais aux chercheurs. L’histoire du national-socialisme serait donc une histoire nationale, car l’État agirait et le village subirait. Ainsi, on observe dans les chroniques une forte victimisation des villages et des personnes, que l’on nomme aisément, sans évoquer des coupables.

C’est sans doute en raison d’une tendance nationaliste des auteurs jusqu’aux années 1970, mise en avant dans la quatrième partie, que le national-socialisme était d’abord omis, puis marginalisé à partir des années 1980. Par ailleurs, l’auteur remarque que les sources des récits sont pour l’essentiel des archives, même s’il souligne l’utilisation de témoignages oraux.

Ensuite, la cinquième partie met en lumière l’essor des Heimatgeschichten et des Ortschroniken au courant des années 1970, après leurs premiers développements à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, qui devaient renforcer l’identification nationale et, sous le nazisme, la communauté du peuple (Volksgemeinschaft). Le thème de la Heimat, le lieu d’origine, serait alors devenu un objet de consommation engendrant l’Alltagsgeschichte, ainsi que l’histoire régionale se sont développées à partir des années 1970.

Pour finir, la sixième et dernière partie pose la question des Ortschroniken en Allemagne de l’Est, qui ont dû être reprises après la chute du Mur. De fait, la Heimat y était vue par le prisme du socialisme, et les chroniques étaient tournées vers la nature et réglementées. Les histoires locales de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est peuvent donc être comparées, même si on peut parler de pratique locale. Cette comparaison peut se faire sur huit points différents.

En conclusion, l’auteur constate la mise en place, à partir des années 1950, du modèle des chroniques locales pour arriver vers la fin des années 1970 au développement d’un genre à part entière.

L’ensemble de l’étude est bien structurée, et les nombreux exemples et citations documentent de façon pertinente les propos de l’auteur, même si l’exhaustivité, qui rend le travail complet, en complique la compréhension. Pour finir, selon l’auteur, on ne peut porter de jugement sur ces récits locaux, qui constitueraient plutôt le point de départ d’une nouvelle discussion.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Pascal Schneider, Rezension von/compte rendu de: Dirk Thomaschke, Abseits der Geschichte. Nationalsozialismus und Zweiter Weltkrieg in Ortschroniken, Göttingen (Vandenhoeck & Ruprecht) 2016, 356 S., 4 Abb. (Formen der Erinnerung, 60), ISBN 978-3-8471-0536-7, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2018/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48527