L’histoire classique se passionnait pour la guerre. Depuis une vingtaine d’années, la paix est entrée dans l’aire de recherche des historiens, en tant que projection, idéal ou nostalgie, représentation ou pratique, état ou tension. S’il existe des études d’histoire locale sur la paix ou la pacification, il n’existe pas encore de recherche sur la paix à l’intérieur des cercles familiaux. C’est cette lacune qu’Inken Schmidt-Voges entend combler, en exploitant l’intégralité des registres judiciaires du conseil de la ville d’Osnabrück, exhaustifs entre 1759 et 1808, ainsi que des sources complémentaires (registres de mariage et testaments notamment). Elle justifie le choix du lieu par sa singularité – Osnabrück fut le seul territoire d’Empire où la biconfessionnalité fut à partir de 1650 juridiquement fixée, tandis que la ville en essor d’Osnabrück tentait d’affirmer une large autonomie – et simultanément sa nature de cas »normal« (p. 41). Plus que d’une étude locale, il s’agit toutefois d’une étude microhistorique de la sémantique de la paix mise en œuvre dans les conflits familiaux qui passèrent en tribunal; d’après l'étude par le sociologue Robert Emerson de micropolitiques de la déviance (»micro-politics of trouble«), l’auteur définit sa démarche de »micropolitiques de la paix«.
Le dépouillement exhaustif des registres judiciaires du conseil de ville d’Osnabrück livre 3876 cas, dont 362 de nature domestique; dans 100 cas, une rhétorique spécifique de la paix en tant que tranquillité, unité et ordre est mobilisée. Cette rhétorique de la paix est spécifique du traitement par le conseil de ville. Elle est absente des archives du consistoire protestant comme de celle de l’archidiaconat de même que des autres types de sources mobilisées. La rhétorique de la paix est donc en relation directe avec l’intervention des tribunaux judiciaires de la ville, et liée aux gestes de violence corporelle, ou à leur menace (à la violence verbale donc). En filigrane transpercent dans les procès les questions de l’emploi de la violence légitime, de la différence entre potestas et violentia. Loin de s’imposer per se, l’autorité du père de famille est toujours négociée, notamment lorsque les enfants atteignent l’âge adulte et contribuent de façon essentielle aux revenus du foyer. Lorsque les juges identifient l’origine et la cause du conflit, ils appellent le plus souvent les acteurs à de nouveau s’accorder à l’avenir. La paix domestique importe donc au conseil de ville en tant que garante de la paix civique. Inken Schmidt-Voges l’étudie dans ses dimensions spatiales (l’arrangement de la maison reflétant la hiérarchie du foyer), pratiques et éthiques. Il en va en effet toujours du foyer en tant que cadre de survie économique et sociale de vie, voire de survie. Contre l’historiographie héritée des textes d’Otto Brunner qui présentait le cadre domestique comme statique, l’auteur met en évidence sa nature communicative. Elle s’inscrit dans les travaux qui présentent la paix comme une construction sans cesse évolutive. Elle fait précéder son étude d’une ample première partie sur les réflexions juridiques et théologique sur la paix domestique.
L’auteur a découvert et traité un thème nouveau et éclairé une littérature juridique peu connue. Il n’existe pas seulement une paix entre les États ou une paix en tant qu’utopie, mais aussi une paix quotidienne à l’échelle des foyers. Si les résultats généraux sont certainement généralisables, on ne peut toutefois que regretter que l’analyse se limite à des cas où la paix civique n’a pas réellement été remise en cause. Qu’en fut-il en cas de récolte urbaine ou de guerre civile? L’auteur ne connait pas les travaux sur ces questions. Ni les travaux de Barbara Diefendorf, ni ceux de Pierre-Jean Souriac ou de Jérémie Foa ne sont cités dans la bibliographie. Or le traitement de tels cas (qui auraient nécessité un autre site d’observation et une période plus précoce) aurait livré de précieux renseignements sur les liens entre paix internationale, paix comme norme et utopie, et paix domestique, et permis d’affiner le terme de »guerre« absent du vocabulaire des tribunaux judiciaires, où l’on ne parle que d’Unfrieden. Dans le cadre d’un souci général de variation des échelles, depuis les travaux de Jacques Revel sur les »jeux d’échelles« (1996), il aurait conféré une dimension plus réflexive aux résultats. On peut donc encourager l’auteur à poursuivre son enquête en ce sens.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Claire Gantet, Rezension von/compte rendu de: Inken Schmidt-Voges, Mikropolitiken des Friedens. Semantiken und Praktiken des Hausfriedens im 18. Jahrhundert, Berlin, Boston, MA (De Gruyter) 2015, XII–370 S. (bibliothek altes Reich, 18), ISBN 978-3-11-040216-2, EUR 72,95., in: Francia-Recensio 2018/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.2.48533