Le présent volume rassemble huit études publiées à la suite d’une journée d’études organisée à l’École française de Rome (26–27 octobre 2015). Il est consacré aux douze compilations pauliniennes de Florus de Lyon († v. 855), désignées sous le titre de »Collection des douze Pères« et connues grâce à deux manuscrits: l’un provenant de la Grande Chartreuse (premier tiers du XIIe s; aujourd'hui Lyon BM 504), et le deuxième de l’abbaye de Trois-Fontaines (XIIe s; BM Vitry-le-François 2; disparu en 1944, connu grâce à des photographies, numérisées par l’IRHT). Ces deux manuscrits fondent l’édition donnée par Paul-Irénée Fransen, Bertrand Coppieter’s Wallant et Roland Demeulenaere, »Collectio ex dictis XII Patrum« du Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis (vol. 193, 193A et 193B, respectivement publiés en 2002, 2006 et 2007) qu’éclaire très précieusement le présent volume.
La Collection des douze Pères rassemble 1081 explications exégétiques sur les épîtres de Paul, tirées de 200 œuvres différentes, et propose une lecture des épîtres à travers douze dossiers qui constituent chacun une unité. Pierre Chambert-Protat souligne que cette démarche est unique dans l’œuvre de Florus qui offre ainsi »douze itérations d’un même projet: douze séries parallèles d’extraits sur l’Apôtre, tirées chacune d’un corpus bien circonscrit« (p. 22). Les auteurs constituant ces dossiers sont Cyprien de Carthage, Hilaire de Poitiers, Ambroise de Milan, Pacien de Barcelone, Théophile d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Éphrem le Syrien, Léon le Grand, Fulgence de Ruspe, Paulin de Nole et Avit de Vienne.
Le dossier transmis sous le nom de Cyrille d’Alexandrie, intercalé entre ceux de Léon et de Fulgence, est en fait composé de 24 extraits divers (dont 6 de Cyrille), empruntés à la »Collectio Dionysio-Hadriana« et des textes que Florus avait consultés pour sa collection canonique et patristique »De fide« (p. 39–45). Le titre »Collection des douze Pères«, finalement inexact, ainsi que l’insertion du nom de Cyrille d’Alexandrie dans le titre du 9e dossier, remontent aux travaux de Pierre-François Chifflet (1592–1682). Le choix des corpus compilés ne présente pas de cohérence: il s’agit »d’une situation de fait et non d’un projet concerté« (p. 48). La »Collection«, telle que nous la lisons, résulte de choix ou de hasards éditoriaux postérieurs.
Les dossiers patristiques, préparés par Florus et rassemblés dans cette »Collection«, offre un point de vue unique sur la vie intellectuelle carolingienne: ils permettent de caractériser les méthodes de travail et les ressources mises en œuvre par un lettré exceptionnel; ils procurent ensuite un éclairant témoignage sur la transmission des œuvres patristiques citées. Les intervenants réunis sont des spécialistes des Pères cités par Florus dans sa »Collection«. Chacun examine le dossier de l’auteur dont il est spécialiste avec un double objectif: éclairer la tradition textuelle d’un Père et caractériser »des constantes susceptibles d’éclairer le contexte florien: sa bibliothèque, ses partis pris, ses méthodes, son legs« (p. 9). Quatre sections de la »Collection« ne sont cependant pas évoquées dans le détail: il s’agit des dossiers de Pacien de Barcelone, Léon le Grand et Avit de Vienne ainsi que la 9e section, faussement attribuée à Cyrille d’Alexandrie. Enfin, deux contributions aux visées différentes encadrent le volume: Pierre Chambert-Protat récapitule l’état des connaissances sur cette »Collection« florienne et établit des points importants sur le rôle des éditeurs modernes. Shari Boodts réfléchit, dans une perspective comparatiste, à la manière dont Florus utilise l’œuvre d’Augustin dans l’»Expositio epistolarum beati Pauli apostoli ex operibus sancti Augustini«, florilège qui offre un commentaire suivi des épîtres pauliniennes à partir de 2218 extraits augustiniens. Elle montre, avec l’exemple des »Sermones ad populum«, que l’étape de travail entre la sélection et l’annotation des extraits dans le manuscrit-source et la rédaction finale du florilège est plus complexe que ce qu’on pensait, et complète ainsi les constats de Louis Holtz, qui a d’ailleurs préfacé le volume.
Les contributions sur les différents dossiers patristiques sont très riches et apportent toutes des résultats très concrets. Sur Cyprien de Carthage, Laetitia Ciccolini montre que le texte du »De habitu virginum« et du »De laude martyrii« utilisé est excellent et situe un des exemplaires de Florus dans la tradition de Cyprien; la qualité des extraits prouve que Florus a mené un véritable travail éditorial en combinant plusieurs sources. Pour Hilaire de Poitiers, Marc Milhau suggère que Florus n’a utilisé qu’un seul manuscrit du »Tractatus super Psalmos« et du »De Trinitate«; pour le »Liber in Constantia imperatorem«, le texte de Florus présente des leçons singulières. Le dossier le plus volumineux de la »Collection«, sur Ambroise, est abordé par Camille Gerzaguet. Florus cite des extraits de trois œuvres, »De bono mortis«, »De fuga saeculi« et »De Iacob et vita beata«, toujours transmises ensemble (avec un 4e traité, »De Isaac vel anima« dans une »tétralogie«) dans les deux familles, »française« et »germano-italienne«, de la tradition manuscrite. Les citations du »De Iacob et vita beata« et du »De fuga saeculi« témoignent de l’usage d’un manuscrit de la famille »germano-italienne«, d’un état supérieur à celui de l’archétype utilisé par Gérard Nauroy dans son édition – peut-être un manuscrit très ancien copié en Italie. Mais les variantes des extraits du »De bono mortis« indiquent une filiation différente, probablement un archétype plus tardif, originaire de la région de Constance. Florus ne s’est donc pas appuyé sur un manuscrit contenant la tétralogie mais a utilisé au moins deux manuscrits, l’un pour le »De fuga saeculi« et le »De Iacob et vita beata«, et un second, où le »De bono mortis« était transmis en dehors de son corpus habituel. La contribution d’Emanuela Colombi, sur Théophile d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze et Éphrem le Syrien, examine la construction des dossiers et les liens entretenus par les extraits sélectionnés avec les versets bibliques, pour montrer que Florus aspirait à relever les trésors des textes patristiques plus que de proposer une lecture suivie de Paul. Jérémy Delmulle souligne la grande importance de Florus pour la conservation et la transmission des œuvres de Fulgence en situant les extraits floriens dans la tradition du »Contra Fabianum«, de l’»Ad Monimum«, de l’»Ad Scarilam« et de la lettre 14, à Ferrand de Carthage. Il relève que les extraits de Fulgence ont été choisis pour compléter la compilation augustinienne sur Paul: ce dossier a été préparé dans le cadre de la controverse sur la prédestination, après l’achèvement de la compilation augustinienne. Dans l’étude du dossier Paulin de Nole, constitué d’extraits de 21 lettres, Franz Dolveck situe le texte des extraits floriens dans la tradition textuelle de Paulin et formule une audacieuse hypothèse: Florus aurait complété la collection de lettres de Paulin dont il disposait avec une lettre isolée dont il a pris connaissance dans un manuscrit italien très ancien. Il aurait aussi corrigé son manuscrit et serait ainsi à l’origine d’une branche de la tradition des »Epistolae« de Paulin dont témoigneraient deux manuscrits rhodaniens conservés.
La tâche définie était ambitieuse mais le présent volume tient largement ses promesses: l’examen des dossiers patristiques, fondé sur une connaissance fine des témoins manuscrits et sur des hypothèses novatrices, éclaire notre connaissance de la tradition textuelle des Pères et la méthode de travail du clerc lyonnais. Ces contributions sont unanimes: Florus joue un rôle essentiel dans la transmission des Pères qu’il étudie car il travaille souvent à partir de plusieurs manuscrits et n’hésite pas à corriger le texte dont il dispose.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Caroline Chevalier-Royet, Rezension von/compte rendu de: Pierre Chambert-Protat, Franz Dolveck, Camille Gerzaguet (dir.), Les douze compilations pauliennes de Florus de Lyon. Un carrefour des traditions patristiques au IXe siècle, Roma (École française de Rome) 2017, 224 p. (Collection de l’École française de Rome, 524), ISBN 978-2-7283-1218-4, EUR 27,00., in: Francia-Recensio 2018/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51755