Cet ouvrage est l’édition attendue d’une thèse remarquée; sa parution met à disposition de la communauté des médiévistes une synthèse solide et argumentée sur les emporia de la Manche, de la mer du Nord et de la Baltique, dont l’historiographie se plaît à souligner le rôle depuis de nombreuses décennies, sans jamais pour autant avoir tenté de les envisager tous des confins de la Rus ou du fjord d’Oslo jusqu’aux rives du Boulonnais ou du Solent. Si on reconnaît depuis longtemps que c’est dans cet espace qu’apparaît un nouvel élan à l’origine d’une croissance avérée, si on s’est plu à souligner le dynamisme des Frisons puis des Vikings, si les historiens et les archéologues des pays concernés ont focalisé leur attention sur les ports de leur propre contrée, on ne disposait pas encore d’un ouvrage qui tentait de les présenter tous, d’en saisir les phases chronologiques et d’établir au mieux leurs relations avec leur environnement maritime comme avec leur arrière-pays.

Ouvrant encore plus la perspective déjà bien amorcée par les travaux de Stéphane Lebecq, Lucie Malbos donne une vision générale du phénomène avec un essor dès le VIIe siècle en Manche qui gagne vers le nord et vers l’est aux VIIe et IXe siècles, avant de progressivement se transformer au Xe, certains sites devenant des villes pérennes, tandis que d’autres s’estompent ou sont remplacés.

L’ouvrage se caractérise par une solide introduction qui pose les bonnes questions en matière de vocabulaire, de modèles historiographiques et de méthodes. Viennent ensuite trois parties bien charpentées sur l’horizon documentaire et l’organisation matérielle des emporia, sur la redistribution et les pouvoirs qu’on y rencontre et enfin sur les réseaux qui s’articulent en ces lieux, ouvrant la perspective jusqu’à une histoire globale bien au-delà des mers qui bordent le nord et l’ouest de l’Europe. Une solide bibliographie (p. 367–390) complète ce texte écrit dans une langue fluide, simple et efficace, mais on apprécie encore plus les autres annexes, avec un atlas de 21 cartes et 2 plans, qui donnent toutes les précisions topographiques mais aussi numismatiques disponibles, deux schémas de synthèse qui montrent les processus qui régissent les emporia, et des tableaux qui présentent les chartes disponibles pour Hamwic et Lundenwic (Londres), ainsi qu’un catalogue sélectif de tous les sites portuaires secondaires (p. 416–436) pour lesquels l’information est parfois ténue mais retrouve tout son sens quand on l’insère dans la problématique générale de l’ouvrage.

Disons le tout net, on a là un volume hautement recommandable qui contribue avec efficacité à la réappréciation du dynamisme européen du haut Moyen Âge, trop longtemps empêtré dans une vision statique d’une société agricole et violente sans grande volonté d’ouverture. Est-ce à dire pour autant qu’on ne pourrait pas élever quelques réserves? C’est certes toujours possible, mais l’auteur les désamorce d’emblée en étant le plus souvent prudente et en soulignant les limites de nos connaissances; et puis, quand bien même elle se laisse un peu aller à l’enthousiasme pour son sujet, qualité historique fondamentale pour faire partager ses travaux, cela n’est pas péché majeur. On peut ainsi craindre que l’ouverture à l’histoire connectée esquissée en troisième partie jusqu’aux mers de la Chine de l’Inde ou de la côte orientale de l’Afrique ne soit un peu excessive, fleurant parfois sur la reconstitution, mais ce thème actuellement sous le regard de la communauté historienne a bien des attraits et répond largement aux thématiques des emporia.

Et puis l’essentiel, c’est de voir que jamais les tâches les plus ardues n’ont été esquivées, avec la prise en compte réfléchie de la numismatique, science aride et donc peu pratiquée par nombre de médiévistes qui n’osent s’y engager, ou de la synthèse des travaux archéologiques que des fouilleurs négligent encore parfois, produisant nombre de notices et de descriptions techniques locales parfois pas toujours insérées dans un discours historique à échelle plus large. Or la synthèse que réalise cet ouvrage remet ces questions en perspective et montre bien que sur les marges maritimes à l’occident et au septentrion de l’Europe se lève bel et bien un nouvel élan, qui s’affirme aussi dans le monde carolingien et postcarolingien, ainsi qu’aux marges orientales de l’Europe.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Olivier Bruand, Rezension von/compte rendu de: Lucie Malbos, Les ports des mers nordiques à l’époque viking (VIIe–Xe siècle), Turnhout (Brepols) 2017, 453 p., 31 ill., 5 tab. en n/b (Haut Moyen Âge, 27), ISBN 978-2-503-57580-3, EUR 85,00., in: Francia-Recensio 2018/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51770