Paris, capitale du royaume de France, est au début du XIVe siècle la plus grande ville d’Occident. Cette position prééminente repose sur une expansion urbaine et démographique continue depuis le XIIe siècle, soutenue par les seigneurs implantés dans la ville et les bourgs suburbains, notamment les établissements monastiques. Elle n’appartient en effet pas seulement au roi, mais est partagée entre plusieurs seigneurs: plus de cent au milieu du XIVe siècle, dont dix-huit ont le droit de haute justice jusqu’en 1674. Dans le contexte de concurrence et de coopération entre le roi, les grands seigneurs et les bourgeois de Paris, le pouvoir royal ne cesse de se renforcer, tout en confirmant les droits des grands seigneurs ecclésiastiques.

À travers ce livre sur la naissance d’une métropole, Jörg Oberste se donne pour objectif de comprendre le rôle des institutions monastiques dans l’urbanisation et la métropolisation de Paris, alors que les plus grands monastères sont implantés en dehors de la ville. Comment ces propriétaires fonciers s’associent-ils à ces mécanismes? Quelle est l’influence de la croissance des bourgs suburbains sur leur environnement? Quels sont les processus d’intégration réciproque entre la ville et ces bourgs? Enfin, quel est le rôle des murailles construites au XIIIe et au XIVe siècle? Pour traiter ces thèmes, l’auteur a choisi de partager son propos en quatre parties.

Dans la première (»Grundlagen«, p. 9–35), il pose les fondements de sa démarche en cherchant à savoir à qui appartient Paris au Moyen Âge (p. 13–22), puis il entame une réflexion méthodologique sur les espaces, la métropolisation et le développement urbain (p. 23–30), avant de présenter la richesse des sources disponibles (p. 30–35). C’est une partie consacrée à la fois au rappel d’une historiographie focalisée sur le roi de France et aux nouvelles méthodes de travail, développées notamment par les chercheurs de Ratisbonne autour du Forum Mittelalter et du DFG-Graduiertenkolleg 2337 »Metropolität in der Vormoderne«, mais aussi par l’équipe du projet ALPAGE (AnaLyse diachronique de l’espace PArisien: approche GEomatique), dont de nombreuses cartes apparaissent dans cet ouvrage (http://alpage.huma-num.fr/fr/).

La deuxième partie se concentre sur l’espace parisien en lui-même et son évolution depuis l’Antiquité tardive jusqu’au milieu du XIVe siècle (»Pariser Räume«, p. 37–103). Partant du constat que Paris est divisé à la fin du Moyen Âge entre trois noyaux (l’île de la Cité comme centre du pouvoir royal et épiscopal, l’Université sur la rive gauche et la ville bourgeoise sur la rive droite), l’auteur souhaite étudier le mécanisme de différenciation sociale et fonctionnelle pour les périodes les plus anciennes. Il s’intéresse d’abord aux espaces du passé, au Paris d’avant les Mérovingiens, à la cité de Lutèce s’étalant sur l’île de la Cité et sur la rive gauche, mais aussi aux nécropoles suburbaines dans lesquelles se sont implantées les premières églises et chapelles chrétiennes (p. 38–41).

Les établissements religieux apparaissent en effet à ses yeux comme des éléments essentiels du développement urbain de Paris. À l’époque mérovingienne, Paris devient le »siège du royaume« pour reprendre l’expression de Grégoire de Tours et la nouvelle topographie sacrale modifie complètement son aspect. Le choix de Clovis n’est pas un caprice mais repose sur l’évaluation de la position stratégique et militaire de la ville et surtout sur son importance sur le plan religieux. Sous les Carolingiens qui ont déplacé leur centre politique en Austrasie, Paris passe au IXe siècle sous l’influence des comtes puis des ducs robertiens qui font de la ville la pièce maîtresse de leur politique. Leurs successeurs capétiens continuent dans cette voie en s’appuyant sur les monastères qui dominent l’espace parisien (p. 42–66).

Entre la fin du XIIe siècle et le milieu du XIVe siècle, Paris connaît une croissance démographique et urbaine considérable que Jörg Oberste cherche à quantifier en utilisant les sources habituelles pour ce faire, notamment les rôles des tailles de la fin du XIIIe siècle ainsi que l’état des paroisses et des feux de 1328 (p. 66–93). Il estime ainsi que Paris compterait environ 200 000 habitants dans la première moitié du XIVe siècle avant les grandes saignées de la Peste noire et de la guerre de Cent Ans. En étudiant les espaces les plus dynamiques, il souligne l’importance du développement de la rive droite autour de la place de Grève, du Châtelet et du marché des Champeaux (les Halles) en lien avec la construction de la muraille sous Philippe Auguste. En effet, les remparts servent de protection, mais ce sont aussi des symboles de pouvoir.

À travers cette partie, Paris apparaît à la fois comme un centre économique majeur avec le développement de marchés et de foires à l’intérieur de ses remparts et dans les bourgs en lien avec Saint-Denis, et comme un lieu de pouvoir et de savoir. En bref, elle concentre toutes les fonctions d’une métropole. Pourtant, selon l’auteur, les bourgs suburbains autour des grands monastères apparaissent comme des acteurs majeurs de l’urbanisation (p. 93–101). C’est ce point de vue qu’il développe dans sa troisième partie en s’appuyant sur l’exemple de Saint-Martin-des-Champs (p. 105–273).

Cette partie, cœur de son étude, est intitulée: »Die Leute von Saint-Martin-des-Champs – soziale Praktiken und Urbanisierung in einem Pariser Stadtteil«. Après un rappel des circonstances de la fondation du monastère et de son affiliation à Cluny en 1079 (p. 105–114), il étudie la genèse de la seigneurie de Saint-Martin à Paris depuis l’octroi d’un diplôme par Louis VI en 1128 (connu seulement par des copies dans les cartulaires du prieuré) (p. 115–155). Cet acte est essentiel puisqu’il accorde au prieur et aux moines la mainmise sur les hommes et les hôtes qui vivent dans le bourg, en octroyant des droits de justice étendus. À partir de là, la censive est structurée de manière rigoureuse par les religieux qui rédigent ou font rédiger des censiers dont les plus anciens datent des années 1263–1300. Ces censiers, comme la Déclaration du temporel de 1532 ou les plans de Paris des XVIe–XVIIIe siècles, soulignent l’urbanisation progressive du bourg. Surtout, comme les livres de comptes rédigés au cours du XIVe siècle, ce sont des instruments de pouvoir et de contrôle des hommes. Cet espace ainsi organisé et protégé est pourtant l’objet de contestations par d’autres seigneurs et juridictions, sachant que les plus offensifs sont les agents royaux.

L’urbanisation est un processus de longue durée qui repose à la fois sur des règles et des expériences pratiques comme le montre le développement du bourg Saint-Martin (p. 155–216). Surtout, dans cette censive se rassemble une population diverse socialement qui profite de la protection du prieuré et se trouve sous sa juridiction (p. 217–273). Dans cette sous-partie, Jörg Oberste propose une étude sociologique des habitants du bourg et de leurs pratiques religieuses. Il rappelle également que la croissance démographique repose sur l’arrivée de migrants depuis les campagnes environnantes, mais aussi de l’ensemble du royaume et même de l’étranger. Cet essor ne se ralentit que dans la seconde moitié du XIVe siècle.

Enfin, dans la quatrième partie, en forme de conclusion, Jörg Oberste se demande comment naît une métropole (»Paris imaginaire, oder: Wie entsteht eine Metropole?«, p. 275–293) en examinant l’évolution des représentations littéraires et picturales de Paris. Dès le XIIe siècle, la capitale du royaume de France, grand centre économique et démographique, exerce une force d’attraction considérable sur les savants, lettrés et étudiants, qui diffusent autour d’eux leur admiration pour elle. Pour l’auteur, elle a acquis dès le Moyen Âge son statut de métropole et d’icône universelle. Son livre en est finalement une illustration. La rigueur de sa démonstration devrait en faire une bonne base de réflexion pour ceux qui voudraient débuter leurs travaux sur le Paris médiéval.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Marlène Helias-Baron, Rezension von/compte rendu de: Jörg Oberste, Die Geburt der Metropole. Städtische Räume und soziale Praktiken im mittelalterlichen Paris, Regensburg (Schnell & Steiner) 2017, 320 S., 46 Abb. (Forum Mittelalter – Studien, 12), ISBN 978-3-7954-3173-0, EUR 39,95., in: Francia-Recensio 2018/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51771