Cet ouvrage est la publication d’une thèse de doctorat soutenue par l’autrice en 2014 auprès de l’université de Bonn, et qui a vu le jour en lien étroit avec l’édition par son directeur, Theo Kölzer, des actes de Louis le Pieux dans la série des »Diplomata Karolinorum« aux MGH. Ce travail prend aussi place dans le contexte d’un intérêt renouvelé des diplomatistes pour le genre représenté par les recueils. Celui-ci s’est traduit, par exemple, tant dans les travaux d’Alice Rio sur les formulaires du haut Moyen Âge que dans la publication en 2016 des actes du XIIIe colloque de la Commission internationale de diplomatique consacré aux formulaires (en ligne: http://elec.enc.sorbonne.fr/cid2012/), auxquels tant Alice Rio que Sarah Patt ont du reste donné un article.
S’il est une chose que ce contexte a permis de mettre en évidence, c’est bien que ces questions sont très loin d’être aussi simples qu’il n’y paraît. Outre les problèmes posés au cas par cas par la tradition des textes et leur compréhension, il a été montré qu’il est impossible d’associer une manière de fonctionner ou un rôle identique aux différentes compilations rassemblées sous l’appellation de »formulaire«: selon les époques, les lieux et les circonstances, ils peuvent être aussi bien des outils d’exercice professionnel que des moyens d’enseignement, et autant des instruments de gestion que des objets mémoriels.
Ce sont ces difficultés que présente tout d’abord Sarah Patt, lesquelles s’ajoutent aux embûches représentées par l’objet même de son étude pour former un ensemble redoutable à affronter. Si l’intérêt du recueil a été remarqué depuis longtemps, il n’avait jamais fait l’objet d’une étude approfondie, et si l’on avait également remarqué le fruit qu’il y aurait à une comparaison systématique avec les actes de Louis le Pieux, celle-ci n’avait jamais été entreprise. Afin de la mener à bien dans les meilleures conditions possibles, l’autrice s’interroge tout d’abord sur la terminologie à employer. Les chausse-trappes sont nombreuses – si Sarah Patt en traite logiquement du point de vue de la langue allemande (tout en se référant à d’autres langues, notamment par l’intermédiaire du »Vocabulaire international de la diplomatique«), un bon nombre de ses remarques valent également pour le français.
Elle note ainsi le fait que les termes de formules (Formeln) et de formulaire (Formular) sont d’une utilisation rendue difficile par la grande plasticité de ces termes en diplomatique; ainsi, le second peut désigner tant un recueil de modèles qu’un ensemble d’habitudes ou de formulations constatées (ce qui, en allemand, le rapproche du terme Diktat). Elle choisit, avec raison, de réserver pour l’objet de son étude le terme de Formeln, et Formular pour le sens plus général, gardant pour l’ensemble représenté par le genre de compilation qu’elle étudie Formelsammlung (ou Formelbuch). Il n’y a, finalement, pas de solution absolument claire et idéale; il est intéressant de constater, du point de vue français, que bien des ambiguïtés subsistent y compris dans une langue qui dispose d’un vocabulaire plus étendu. Quoi qu’il en soit, le présent compte rendu adoptera, lui, le terme de recueil de formules pour traduire le Formelsammlung dont use l’autrice.
Après ces premières réflexions, elle se penche sur le type de la source qu’elle explore et les caractéristiques qui peuvent lui être supposées, en rappelant, sans les suivre dans toutes leurs conclusions, les travaux d’Alice Rio et, notamment, le péril qu’il y a à faire de tels recueils des œuvres qui auraient été fixées définitivement à un stade de leur histoire et pour lesquelles il serait possible de reconstituer un Urtext de pure tradition lachmanienne. De manière plus générale, elle rappelle les difficultés qu’il y a à évaluer l’usage, le rôle et les fonctions remplies par de tels recueils, leur »Sitz im Leben« pour reprendre cette heureuse expression allemande, tout en soulignant leur utilité fondamentale pour l’étude du haut Moyen Âge. Suit un aperçu des recueils de formules transmis pour ce même haut Moyen Âge, de leur réception et de leur historiographie.
Les »Formulae imperiales«, objet de son étude, présentent plusieurs spécificités. Tout d’abord, elles sont transmises par un unique manuscrit, provenant de Saint-Martin de Tours (Paris, BNF, ms lat. 2718, disponible en ligne: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105000058). Ensuite, le texte transmis par ce manuscrit est principalement composé de notes tironiennes, au milieu desquelles émergent quelques mots en minuscule caroline. Comme le recueil est assez visiblement proche des milieux gravitant autour de la chancellerie pour justifier d’une comparaison minutieuse avec les actes issus de cette dernière, c’est fort logiquement qu’est dressé ensuite un tableau des actes de Louis le Pieux, 418 documents dont 95 originaux et 25 pseudo-originaux.
Le nombre des deperdita se montre à 231; on note un corpus de 21 lettres, qui n’ont pas été reprises dans la partie principale de l’édition des actes (où quatre documents proches sont en revanche publiés), mais signalées sous forme de regestes ou éditées dans une annexe. L’autrice se penche ensuite sur le formulaire des actes (ici entendu comme la manière de les rédiger), avec en arrière-plan une brève histoire de la chancellerie sous Louis le Pieux et de la normalisation de son expression, impliquant un détachement net par rapport aux pratiques du temps de Charlemagne, ce qui en fit l’une des chancelleries les plus remarquables du haut Moyen Âge.
Ayant exposé ces arrière-plans multiples, Sarah Patt peut alors se consacrer à l’objet principal de l’étude: le recueil connu sous le nom de »Formulae imperiales«. Elle en retrace, tout d’abord, l’histoire éditoriale, entamée en 1747 par l’»Alphabetum tironianum« de Pierre Carpentier, poursuivie par Ulrich Friedrich Kopp en 1817 puis Eugène de Rozières en 1859–1871, pour aboutir à la collaboration entre Wilhelm Schmitz et Karl Zeumer, le premier publiant ses propres résultats en 1881–1882 pendant que le second intégrait le recueil à son édition sous le nom de »Formulae imperiales e curia Ludovici Pii«. Il lui donnait ainsi le nom sous lequel il est toujours connu.
C’est ensuite la tradition du texte qui est l’objet des attentions de l’autrice, et plus particulièrement le manuscrit unique qui transmet le recueil, le manuscrit latin 2718 de la Bibliothèque nationale de France. Provenant de Saint-Martin de Tours et daté des environs de 830, c’est un manuscrit hétérogène dans son contenu et la taille de ses feuillets. Les »Formulae« y sont dispersées en huit groupes textuels (fol. 72r–v, 73r–76r, 78r, 80r–v, 84v–85v, 111v, 125r–127v, 134v), et n’en forment même prises ensemble qu’une très petite partie (le manuscrit compte 140 folios) Le codex comprend surtout des textes patristiques, des capitulaires datant de 817 à 821, accompagnés d’une lettre de Charlemagne ou d’une généalogie des Mérovingiens.
Tant dans le contenu global du manuscrit que dans les »Formulae«, l’on peine à reconnaître un ordre raisonné. Au sein de ces dernières, tout comme dans le reste du manuscrit, l’on constate de nombreux changements d’encre; Sarah Patt interprète ce fait comme le signe d’une copie par étapes. La question d’éventuels changements de main est difficile à résoudre; David Ganz et Rosamond McKitterick voyaient deux scribes associés à la copie des »Formulae«, mais l’autrice reste quant à cette question sur une prudente réserve. Elle estime néanmoins que le manuscrit dans son entier est principalement l’œuvre d’une seule personne, à laquelle quelques autres individus ont sans doute prêté assistance.
Il ne semble pas que l’œuvre ait connu une diffusion très large, au contraire de recueils tels que les célèbres »Formulae Marculfi«. Sarah Patt se penche sur le manuscrit nouv. acq. lat. 204 de la BnF (également accessible en ligne: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100322325), de même époque et de même provenance supposée, qui comporte des parties communes avec le lat. 2718, notamment dans les copies de capitulaires, ainsi qu’une formule isolée (Form. Imp. 15). La copie de cette dernière présente néanmoins un certain nombre de différences, notamment le remplacement surprenant d’un Provincie par Burgundiae. L’on retrouve quelques autres exemples de ce type, dans lesquels telle ou telle formule se retrouve dans un autre contexte; mais cela reste toujours isolé et, forcément, limité.
Les 55 formules à considérer doivent donc être étudiées dans le contexte du seul manuscrit qui les transmette véritablement. Elles sont sans doute issues d’actes ayant véritablement existé, et ne constituent pas des exemples totalement inventés à partir de modèles donnés. Les textes sont normalement dépourvus de leurs parties initiales et finales, et anonymisés ou neutralisés, souvent de manière partielle. Elles permettent de compléter la tradition des actes de Louis le Pieux de manière assez substantielle; trois d’entre elles reprennent, en outre, des actes privés. L’on y trouve des privilèges d’immunité ou de protection impériale, des actes concernant des donations ou mouvements de biens, des exemptions de tonlieux, des privilèges pour des juifs ou des Italiens, des actes concernant les biens, les privilèges ou la liberté personnelle des bénéficiaires – pour ce qui est de ces derniers, l’autrice note que ces bénéficiaires étant laïcs et les actes les concernant ayant été tous perdus, les »Formulae« représentent une énorme aubaine pour l’historien du droit.
Se pose alors la question de la naissance de cette compilation, des raisons qui y ont mené et de la personne ou des personnes concernées. Là encore, l’autrice remonte haut et convoque l’historiographie de son sujet, notant qu’avant Sickel, l’on ne s’y était pas vraiment intéressé. Ce dernier avait daté le manuscrit d’entre 828 et 840, avant de mettre la compilation en relation avec le cancellariat de Fridugise et de rétrécir sa fourchette de datation à 828–832. La recherche postérieure a souvent fait du recueil une sorte de collection officielle, un instrument de travail de la chancellerie, de manière presque tacite ou spontanée, sans s’interroger vraiment sur l’objet, avant que l’on ne revienne sur cette idée, de Robert-Henri Bautier à Alice Rio en passant par Peter Johanek et Mark Mersiowsky, pour penser plutôt à un recueil compilé à des fins personnelles à partir de documents expédiés. Steffen Patzold, lui, mettait le manuscrit au nombre des résultats d’une volonté réformatrice dirigée depuis la tête de l’Empire.
L’on a pensé, en partant du rôle éventuel de Fridugise, que le manuscrit aurait pu être composé au moins en partie par le notaire Hirminmaris, moine de Saint-Martin de Tours et attesté de 816 à 839; Sarah Patt se montre peu convaincue par cette idée. Cela ne peut selon elle que rester une hypothèse, qu’elle juge invérifiable. Elle en pense autant de l’idée selon laquelle le manuscrit aurait été créé dans le contexte du »scriptorium des leges«, un atelier d’écriture qui aurait été spécialisé dans la production de textes juridiques au service de la cour impériale; l’idée même de cet atelier, développée par Rosamond McKitterick à partir d’une intuition de Bernhard Bischoff, ne la convainc pas plus que Karl Ubl, qui est revenu sur la question dans un article récent. Elle conclut à la probabilité de la naissance du manuscrit dans l’orbite de la chancellerie impériale, à partir de documents existants, vers 830, en lien avec Saint-Martin de Tours (dont le diplôme d’immunité est reproduit dans les »Formulae«), mais sans lien avéré avec Fridugise ou Hirminmaris. Elle se montre également assez dubitative quant à l’existence d’une compilation antérieure dont les feuillets du manuscrit latin 2718 n’auraient été qu’une copie.
C’est alors à une comparaison approfondie entre le contenu des »Formulae Imperiales« et la production de la chancellerie de Louis le Pieux que s’attache l’autrice. Elle en rappelle tout d’abord les traits fondamentaux, notant que le recueil couvre les différents types de la production ordinaire de chancellerie, ainsi que des documents qui concernent surtout la protection impériale accordée à des personnes, mais non la liberté personnelle. L’on remarque dans le recueil une surreprésentation des destinataires laïcs par rapport au témoignage des actes qui nous sont parvenus. Les documents dont le type n’est pas représenté dans les »Formulae« ou qui sont soit des forgeries, soit des rédactions par les destinataires, ne trouvent pas d’équivalent significatif dans la compilation. Sur cet arrière-plan, c’est à des comparaisons plus fines et approfondies, basées sur les technologies numériques, que se livre ensuite Sarah Patt.
Pour juger, après ce premier pas, des points de rencontre entre les textes, il a été fait usage d’une indexation de type KWIC (Keywords in context), qui permet d’aligner des occurrences de termes dans leur environnement textuel immédiat, au moyen de listes automatisées donnant au centre d’une ligne un mot donné, accompagnés de ceux qui l’entourent (dans ce cas, huit avant et huit après). En choisissant avec soin ses mots-clés (ce qui nécessite une expérience préalable des corpus étudiés), l’on peut ainsi avoir de rapides aperçus de la variété ou, justement, de la stabilité de certains usages, notamment dans le cadre a priori contraint qui est celui de la rédaction des actes.
Un certain nombre des documents issus de la chancellerie de Louis le Pieux marquent une correspondance complète dans leur formulaire avec les modèles transmis par les »Formulae imperiales«, au-delà du cas des actes aujourd’hui connus qui ont été eux-mêmes intégrés au recueil. Cette correspondance se constate notamment dans les actes d’échange. Si, néanmoins, certains documents de ce type ne correspondant pas à ce qui a été repris par les »Formulae«, il semble bien que l’on puisse parler d’une certaine normalisation de leur formulation. Ce sont, après ceux-ci, les diplômes d’immunité, de concession de la protection royale ou de libre élection de l’abbé qui répondent le plus à ceux qui sont compilés dans les »Formulae«, mais d’une manière qui se fait couramment assez lointaine. C’est encore plus le cas pour les actes concernant des dons, restitutions ou confirmations de biens.
Les documents d’exemption de tonlieux présentent des points communs entre les deux corpus à comparer, mais ils ne sont jamais systématiques et difficiles à interpréter vraiment; à l’inverse d’Alain J. Stoclet, elle ne pense pas qu’il ait existé un grand nombre de diplômes perdus et rédigés sur le même modèle. Les appennes sont eux nettement plus standardisés, à l’inverse des mandements.
Ces correspondances exactes restent relativement rares, concernant soixante cas au plus. Des correspondances partielles sont à signaler pour cinquante documents: si la catégorie des correspondances exactes concernait surtout les actes d’échange (la moitié des cas), il n’y a pas ici de tendance aussi marquée: les échos textuels ne s’accompagnent pas de ressemblances juridiques ou typologiques. Il est à noter que ces correspondances partielles peuvent soit se concentrer sur une partie du texte d’un acte, soit y être pour ainsi dire saupoudrées.
Une troisième catégorie est représentée par les actes qui associent des formules pouvant être trouvées dans plusieurs des modèles repris dans les »Formulae imperiales«. Ils sont, couramment, issus de la catégorie des privilèges d’immunité, de protection impériale ou de libre élection de l’abbé; c’est aussi la catégorie la plus nombreuse, dépassant de loin celles des correspondances complètes ou partielles avec un seul modèle: elle représente environ 300 actes (rappelons que le corpus entier des actes de Louis le Pieux est de 418 documents). Il n’y a donc presque aucun document qui ne présente pas, d’une manière ou d’une autre, une quelconque ressemblance avec le matériau donné dans les »Formulae imperiales«.
Il semble bien qu’il faille conclure que les rédacteurs des actes disposaient librement du matériau rédactionnel mis à leur disposition. Rien ne permet en outre d’affirmer que le recueil dont il est ici question aurait constitué un modèle normatif pour la chancellerie ludovicienne. Il est probable que les rédacteurs travaillaient comme avec les pièces d’un puzzle, et que la mémoire jouait un important rôle dans l’appropriation par les notaires des différents éléments textuels dont ils se servaient, ce à quoi s’ajoutaient peut-être un certain nombre d’écrits intermédiaires (brouillons, modèles informels, recueils personnels …).
Le recueil n’est donc pas un modèle imposé, ne semble avoir eu aucune réception postérieure et, sans doute, ne doit pas être compté au nombre des instruments de réforme utilisés par les milieux impériaux. Si son auteur doit certainement être cherché au sein de la chancellerie, il n’est pas possible de l’identifier précisément, pas plus qu’un éventuel donneur d’ordre ou commanditaire. L’autrice estime peu plausible qu’il s’agisse de la copie privée d’une compilation officielle. En revanche, elle pense que son existence en tant que recueil est établie, et qu’il ne s’agit pas d’une simple reconstruction issue d’une tradition scientifique basée sur le fait que Karl Zeumer avait édité ensemble ces formules dispersées dans le manuscrit; ceci étant, cette observation ne s’étend peut-être pas à sa nature. Si c’est un ensemble cohérent, il n’est pas du tout sûr qu’il ait été considéré par son compilateur ou par d’autres comme un recueil de formules établi.
Sarah Patt se demande, du reste, si les »Formulae imperiales« ne pourraient pas avoir été un instrument destiné à la formation des futurs notaires – ce qui se heurte, il est vrai, à la forme sous laquelle elles ont été transmises; elle estime également possible que, dans un certain nombre de cas, elles aient pu servir véritablement de modèle.
Une annexe donne, d’une part, une description précise du manuscrit, d’autre part, la collation des textes sur lesquels se base l’étude, donnant tous les cas de correspondance exacte, un choix de correspondances partielles et de formes mixtes, ainsi qu’un exemple de comparaison entre actes et recueil. L’ouvrage se conclut sur un index des manuscrits, des actes et des formules citées; il n’y a pas d’index de noms ou de matières.
De manière générale, les arguments présentés par Sarah Patt sont fort convaincants. Ses remarques sur les liens textuels entre les actes de chancellerie et les documents du recueil de formules emportent l’adhésion, tant dans la méthode que dans la prudence qu’elle met à les présenter. Si elle aboutit à un résultat qui n’est finalement pas aussi satisfaisant qu’elle aurait pu le souhaiter, n’ayant finalement pas pu totalement »briser la noix« qu’elle se proposait d’ouvrir, il faut bien reconnaître que c’est assez souvent le résultat de l’analyse approfondie de bien des objets historiques, surtout de ce type – les spécialistes de cartulaires ou d’écrits de gestion en savent quelque chose.
Le seul point qui paraisse traité de manière moins convaincante que le reste serait celui des analyses paléographiques et codicologiques. L’on a, en fait, parfois l’impression que l’autrice tend à tourner autour d’elles et, paradoxalement, tout en en parlant abondamment, à les éviter en fait. Il est dommage de ne pas revenir de manière plus détaillée et analytique sur les notes tironiennes qui transcrivent l’essentiel du recueil. Sarah Patt explique bien que l’objectif de son travail n’était pas de refaire une édition du recueil, ce qui est tout à fait légitime; mais il reste curieux de voir les textes et le manuscrit examiné sous toutes leurs coutures, sauf celle qui saute le plus aux yeux.
À plusieurs reprises, des opinions sont critiquées d’une manière finalement un peu curieuse, qui paraît remettre fondamentalement en question la possibilité, par exemple, de différencier des mains, sans argument véritablement frontal ni concret. Or, il me semble par exemple, à jeter un œil sur la version numérisée du manuscrit, que le changement de main identifié par David Ganz au fol. 59r est justifiable par un traitement différent du g, qui tend dans les passages qui suivent à user d’une boucle inférieure assez déportée sur la gauche et tracée de manière nettement plus aiguë qu’avant. Je ne prétends pas ici résoudre la question à l’aide de ce seul critère, ni même en affirmer la pertinence (ainsi, il ne permet sans doute pas de résoudre la question d’un changement au fol. 65r), mais simplement illustrer le type d’arguments dont il aurait mieux valu user à mon avis.
En ce qui concerne les passages les plus pertinents du manuscrit pour ce dont il est ici question, l’autrice met en doute l’identification (par David Ganz et Rosamond McKitterick) de deux mains dans les transcriptions des documents du recueil, et déplore à leur sujet l’emploi du terme »somewhat clumsy« qu’elle juge contradictoire avec l’emploi d’une tachygraphie, estimant de plus que les notes tironiennes, par leur nature, seraient rebelles à ce type d’analyse. Outre que le très peu que je sais des notes tironiennes ne me semble pas permettre une telle pétition générale de principe (sans préjudice du cas d’espèce), je suppose que les remarques concernées valaient, au moins aussi, pour les mots écrits en carolines, qui peuvent en effet donner, à l’occasion, l’impression de maladresse: les lettres en sont anormalement écartées, et parfois irrégulièrement disposées sur le plan vertical.
Là encore, un premier coup d’œil me semble rendre l’idée de plusieurs mains assez vraisemblable. Si, bien évidemment, les analyses paléographiques peuvent être délicates, notamment dans le domaine des écritures carolines, de même que les notes tironiennes représentent un défi considérable, il est dommage qu’il ne leur soit, finalement, adressé qu’une fin de de non-recevoir, toutes les suggestions de la recherche passée en la matière étant présentées comme des tentatives vouées à l’échec.
Or, je ne peux pas m’empêcher de me demander si, finalement, ce n’est pas dans de telles analyses, dans le cadre de l’étude codicologique, qu’un certain nombre des questions non résolues auraient pu trouver leur solution. Sarah Patt réfute un certain nombre d’hypothèses, sans pour autant leur trouver de remplacement, ce qui en soi n’a rien d’illégitime, mais laisse un goût d’inachevé en raison d’une argumentation insuffisamment étayée. Il n’est pas impossible, ceci étant, que ce soit aussi la conséquence de la situation historiographique, et notamment d’études paléographiques qui présentent leurs résultats sans beaucoup plus d’arguments que la compétence et l’autorité de la personne qui les a obtenus.
Même quand ils sont parfaitement justes, ils restent ainsi difficiles à appréhender et, surtout, à intégrer de manière critique et scientifique dans les raisonnements de ceux qui souhaitent en faire l’exploitation ultérieure. Sarah Patt signale à plusieurs reprises que des positions antérieures en la matière ne sont pas ou peu argumentées, et l’on a l’impression que c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles elle-même, qui n’est peut-être pas spécialiste de l’histoire des écritures, tend à tourner autour du pot paléographique.
La longueur relative de ces quelques critiques, due surtout à la nécessité de les argumenter, ne doit pas cacher les mérites du livre. Il présente, sur un sujet épineux, une mise au point fort bienvenue avec une incontestable profondeur historiographique, qui est de très bon aloi. En effet, comme c’est souvent le cas, les traditions interprétatives ont un rôle important dans l’appréhension spontanée des dossiers; à plusieurs reprises, il est bien montré combien les interprétations contemporaines sont dépendantes, de manière parfois abusive, d’explications anciennes sur lesquelles l’on n’est pas assez revenu.
Sur la plupart des points qu’il aborde, notamment celui du contenu du recueil et de ses relations textuelles avec les actes de chancellerie, l’ouvrage est très solide. Il n’a, certes, pas pu répondre à toutes les questions posées, mais, au-delà des remarques formulées plus haut, il eût été surprenant que ce soit véritablement possible, tant ces problèmes sont complexes. Cet ouvrage est donc tant la présentation de résultats qu’une invitation à poursuivre et à approfondir (Sarah Patt annonce du reste d’autres publications à ce sujet), ce qui est le propre d’une contribution scientifique réussie.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Sébastien Barret, Rezension von/compte rendu de: Sarah Patt, Studien zu den »Formulae imperiales«. Urkundenkonzeption und Formulargebrauch in der Kanzlei Kaiser Ludwigs des Frommen (814–840), Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2016, XXXIV–348 S., 1 Abb., 3 Diagr., 7 Tab. (Monumenta Germaniae Historica. Studien und Texte, 59), ISBN 978-3-447-10560-6, EUR 58,00., in: Francia-Recensio 2018/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51773