Les études maritimes intermédiaires entre les ouvrages d’histoire maritime en général ou plus spécialisés sont plutôt restreintes. Le sujet est clairement énoncé dans le titre et va même plus loin puisqu’il concerne tous les ports d’Hendaye à Ardenbourg en Flandres, de la frontière atlantique sud du royaume de France à sa frontière nord sur la mer du Nord.

L’introduction présente l’objet de son étude comme un exercice d’érudition où il critique globalement ses sources en insistant sur la part de renseignements fournie par les érudits locaux du XIXe siècle. Faute de pouvoir fournir une définition acceptable d’un port maritime, il franchit cette impossibilité par une acception a minima: »Ce sont les sites qu’employaient les maîtres de navire pour le transport par voie de mer«.

Son travail se concentre non dans l’étude complète d’un port mais vise à l’étude du site, à ses évolutions et à son inscription dans son contexte régional voire international. La période considérée débute au XIe siècle parce qu’elle correspond à celle de la réactivation de nombreux ports marquant le début d’une expansion maritime s’étalant jusqu’au XVe siècle, période déjà clairement identifiée pour les ports du Ponant. En dernier lieu, il précise son plan s’attachant à constituer des ensembles géographiques dont certains de tailles réduites car ils correspondent à des entités littorales spécifiques comme les embouchures des grands fleuves.

Logiquement, la présence ou l’absence s’explique par le relief: les côtes rectilignes ou rocheuses sont par essence vides de port. En Guyenne, du port d’Albret, au sud, à la Chambrette, à l’embouchure de la Gironde, mis à part trois exceptions, il n’y a aucun port sur près de 150 km de côtes. Entre Chef-de-Caux, à l’embouchure de la Seine, englouti sous les flots suite à un effondrement de la falaise à la lisière de la période, et Le Tréport, à la limite sud du Ponthieu, les ports se développent dans les valleuses, simples ports d’échouage pour les navires de pêche, l’un d’eux, Dieppe fondé vers 1015, connaît, par la suite, une destinée remarquable. À l’inverse, la Bretagne occidentale, Cornouailles et Léon, composée essentiellement de côtes rocheuses déchiquetées par les éléments comporte une soixantaine de sites portuaires. Jusqu’au XIIIe siècle un bon nombre d’entre eux végètent, spécialement dans le Léon où les habitants préfèrent la sécurité à l’intérieur des terres.

Ce dernier élément renvoie à des caractéristiques qui se retrouvent, en quelques sortes, synthétisés dans les ports de Flandres: un ou plusieurs sites portuaires datant de l’Antiquité, comme Bruges, un héritage dégradé par les invasions scandinaves, phénomène plus local, d’un dynamisme commercial du haut Moyen Âge, des modifications du relief liées à la constitution d’un cordon dunaire piégeant les cours d’eau en amont en lien avec la troisième transgression flandrienne créant de nouvelles anses où se refugie la population ainsi que la volonté politique des comtes de Flandres, au XIIe siècle, de promouvoir l’économie de la plaine maritime. Pour cela, les marais sont drainés de manière à rejoindre les fleuves côtiers dont l’élévation du débit permet de nettoyer les nouveaux sites portuaires par un effet de chasse. Tous sont en lien avec des sites plus anciens: Saint-Omer avec Gravelines ou Furnes avec Dixmude. Le cas plus spectaculaire étant celui de Bruges avec ses deux prolongements successifs: Damme puis l’Écluse, avant de sombrer sous l’effet de l’ensablement au début du XVIe siècle.

Dans tous les cas, les comtes se sont donné les moyens de leur politique en accordant statuts et privilèges urbains comme dans le cas de Nieuport, en 1163, ou de Dunkerque, en 1183. Leurs successeurs continuent leur politique d’entretien et d’amélioration des sites ne serait-ce que pour recevoir des navires dont la jauge augmente en lien avec la croissance du trafic maritime. Pour cela, soit ils règlementent soit ils financent eux-mêmes les travaux soit ils autorisent les communautés d’habitants à prélever des taxes ou des aides pour les réaliser.

Un autre ensemble pourrait s’en approcher: l’estuaire de la Seine avec ses 90 ports identifiés. À un détail près, les actions royales ne concernent que le complexe de Leure-Harfleur relevant de son domaine à partir de 1281 et le port de Graville relevant du seigneur du lieu. Cette volonté du duc puis du souverain provient du fait qu’il constitue l’avant-port et le point d’accueil des plus gros navires qui ne peuvent remonter jusqu’à Rouen. Cette nécessité de disposer d’un avant-port se trouve ailleurs comme dans le cas de Quimper, datant de l’Antiquité, avec Bénodet, peut-être originaire du haut Moyen Âge, mais dont la croissance est liée à une donation de 1231. Un autre exemple est celui du port de Brouage qui apparaît en 1399 disposant d’un plan d’eau suffisant pour accueillir de grosses unités, il devient un point nodal pour tout les petits ports du bassin salicole de la Seudre qui pour une bonne part ne sont pas installés auprès d’une communauté d’habitants.

La plupart des ports sont installés hors des villes comme le démontrent les nombreuses notices intégrées dont la longueur est plus ou moins importante en fonction des sources. Ce constat doit être modéré par des exceptions notables comme Bruges, Abbeville ou Honfleur. Tous doivent faire face à l’ensablement, à l’envasement ou au déchargement de lest indélicat des navires. Certains sites ne sont pas liés organiquement à la ville ou village voisin comme dans le cas de l’activité saunière; cela n’empêche pas l’intervention seigneuriale. Les salines de la bie de Bourneuf apparaissent dès le VIIe siècle, les ports sont regroupés en 1468 par le duc François II sous la désignation de »havre et port de la Bae« composée de cinq à six zones de mouillage pour les gros vaisseaux vers lequel se dirigent des navires plus petits provenant de ports se trouvant aux limites ou à l’intérieur des marais.

Il serait possible de citer quelques faiblesses qui relèvent plus du détail qu’autre chose: l’hypothétique fondation d’une paroisse sur le Roc de Granville, en 1113, ou le placement de Grannona ou Grannonum à Bernières, Calvados, alors que nul ne sait où placer ce port antique. Parfois les descriptions d’une région sont quelque peu désordonnées comme dans le cas des ports de Bretagne méridionale où l’auteur passe allègrement du nord au sud et du sud au nord. Certains ouvrages utilisés ont une réputation surfaite comme celui de Gerville. Malgré cela, le travail tient ses promesses. Il constitue un excellent inventaire, en attendant la suite, qui permettra de confirmer quelques éléments clés: 623 sites répertoriés – sans tenir compte des oublis assumés –, la réussite d’un port relève des conditions géographiques et économiques, la phase d’expansion la plus importante se situe entre le XIe et le XIIIe siècles, les espaces portuaires présentent un aspect hétéroclite et les populations consentent parfois des efforts colossaux pour le maintien de l’activité.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Mathias Tranchant, Les ports maritimes de la France atlantique (XIe–XVe siècle). Volume 1: Tableau géohistorique, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2018, 261 p. (Histoire), ISBN 978-2-7535-5533-4, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2018/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51781