Après François d’Assise et, plus récemment, Catherine de Sienne, c’est à Élisabeth de Hongrie (ou de Thuringe) qu’André Vauchez a consacré temps et énergie. Il livre, cette fois, aux chercheurs et à un public éclairé »documents et sources historiques« utiles pour apprécier le singulier personnage qu’est la fille d’André II de Hongrie et l’épouse de Louis IV de Thuringe. Secondé par Armelle Le Huërou qui assure, avec Jacqueline Gréal, les traductions des divers textes, André Vauchez offre une anthologie de 39 textes médiévaux, traduits, intégralement ou non, du latin surtout, mais aussi de l’ancien français et du moyen haut allemand.
L’ouvrage s’ouvre sur une introduction qui permet de rappeler la vie, brève, d’Élisabeth (1207–1231) et de souligner ce qui la caractérise: son choix de l’état pénitentiel après le décès de son époux en 1227, son »appartenance au courant franciscain« (p. 13) – et il est fort justement noté qu’elle ne fut ni tertiaire franciscaine, ni clarisse – mais aussi son attention à la charité et, enfin, son souci de perfection évangélique qui la conduit à connaître une »expérience concrète de la pauvreté« (p. 18) avant de vivre, ultimement, l’»expérience de Dieu« (p. 20). L’introduction précise trois autres éléments, singuliers et importants pour saisir pleinement le personnage: 1, Élisabeth fut une des premières femmes à parvenir à la sainteté sans entrer dans un monastère ou un couvent; 2, la disparition de son mari n’est pas à considérer comme une véritable rupture car Élisabeth a déjà, bien avant, manifesté sa volonté de vivre en se conformant à l’idéal évangélique; 3, Élisabeth fut épouse et mère, n’éprouvant »aucune répugnance vis-à-vis de la vie conjugale« (p. 11).
Le culte de sainte Élisabeth est aussi présenté, se diffusant rapidement hors d’Allemagne et profitant, après 1250 et jusqu’à la fin du Moyen Âge, de l’encouragement des mendiants, franciscains comme dominicains. Après la Réforme protestante, son succès est moindre: ce sont, jusqu’au XIXe siècle, souvent des congrégations religieuses, hospitalières en particulier, qui se réclament d’Élisabeth et se placent sous son patronage, dans le monde germanique et en Flandre notamment.
Les 39 textes retenus sont présentés en trois parties: »Vers la canonisation (1228–1235)«, puis »Quelques Vies d’Élisabeth (1236–1307)« et, enfin, »Témoignages (1236–circa 1370)«, chacune ouverte par une introduction qui expose les choix opérés tant pour la sélection des textes que pour la présentation de ceux-ci. La première partie rassemble 11 écrits qui, du plus ancien au plus récent, »font connaître celle qui va devenir sainte Élisabeth« (p. 45).
Les textes choisis permettent de voir »Élisabeth en vie«, avec deux lettres du pape Grégoire IX, dont celle qu’il adresse à Élisabeth elle-même, puis d’apprécier le processus aboutissant à sa canonisation, avec des écrits antérieurs au procès, des lettres et récits de miracles qui constituent le dossier de canonisation, et, enfin, les écrits du pape actant sa décision (bulle de canonisation du 1er juin 1235 et lettre du pape à Béatrice de Castille écrite quelques jours plus tard) et le »Procès et l’ordo de la canonisation de la bienheureuse Élisabeth« rédigés dans le courant du mois de juin 1235.
La deuxième partie offre des extraits ou l’intégralité de »quelques Vies d’Élisabeth«, dix en l’occurrence, datées pour la plupart du XIIIe siècle. Le classement est, là, plutôt thématique. Il accorde néanmoins la priorité à l’une des premières Vies d’Élisabeth, celle que rédige Césaire de Heisterbach dans les années 1236–1237, avant de proposer quatre textes dominicains, avec des passages originaux dus à Jean de Mailly et à Barthélemy de Trente, puis deux Vitae de la »tradition franciscaine«, manifestant l’appropriation de la sainte par les Frères mineurs, la »vie de référence« qu’est celle du dominicain Thierry d’Apolda et, enfin, deux textes en français, dont celui de Rutebeuf.
La troisième partie réunit 18 »Témoignages«, variés par leur nature puisqu’il y a des lettres (celle de Frédéric II à frère Élie et à l’ensemble des Frères mineurs en 1236 ou d’Innocent IV à l’archevêque de Mayence en 1249), des sermons (de Césaire de Heisterbach pour la translation d’Élisabeth en mai 1236 ou d’Aldobrandino de Toscanella après 1280), des chroniques (de celle d’Aubri de Trois-Fontaines à celle d’Arnaud de Sarrant en passant par celle de Mathieu Paris), mais aussi des extraits des révélations de Brigitte de Suède et de récits plus biographiques comme la »Vie de Grégoire IX« ou celle de saint Louis par Jean de Joinville. La présentation, sans sous-partie cette fois, est chronologique et ne masque pas la forte différence qu’il y a entre un sermon, tel celui de Césaire de Heisterbach, et une simple référence à Élisabeth susceptible de servir de prétexte pour aborder un autre sujet, comme chez Salimbene de Adam ou Jourdain de Giano.
Le volume offert à la communauté scientifique est précieux: il n’empêche pas, évidemment et loin s’en faut, la consultation des écrits originaux – la référence de l’édition ayant servi pour la traduction est systématiquement indiquée – mais il permet de consulter rapidement et en même temps des textes de nature fort diverse, de voir aussi les liens que ceux-ci entretiennent car des notes signalent différences comme correspondances, complétant ainsi un apparat critique déjà substantiel. L’utilisateur apprécie la bibliographie proposée après l’introduction et, peut-être plus encore, les annexes de l’ouvrage: une chronologie de la vie et du culte de sainte Élisabeth (qui intègre les documents traduits), des concordances entre les miracles posthumes, un tableau des miracles non-attestés dans la documentation officielle, mais communs à plusieurs Vitae, une présentation des données biographiques apportées par une seule Vie et des premières occurrences de nouveaux épisodes biographiques, puis un index des sources traduites par ordre alphabétique, puis chronologique et, enfin, un index des noms de lieux et de personnes.
La lecture et l’utilisation de l’ouvrage engendrent cependant un regret: le livre contient un cahier avec des photos, en couleurs et de très bonne qualité, du château de la Wartburg, de l’église Sainte-Élisabeth de Marburg, puis de la châsse d’Élisabeth, de vitraux, d’une statue et de peintures, mais l’indication »toutes les photos suivantes sont prises dans l’église Sainte-Élisabeth« ne suffit pas. Étant donné l’ampleur et la qualité du travail fourni pour la présentation des documents écrits, on aurait aimé que la précision et le soin s’appliquent également aux sources iconographiques.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Esther Dehoux, Rezension von/compte rendu de: André Vauchez (dir.), Sainte Élisabeth de Hongrie. Princesse, servante, sainte. Vies et documents, Paris (Salvator éditions) 2017, 600 p. (Sources franciscaines), ISBN 978-2-850-20651-1, EUR 25,00. , in: Francia-Recensio 2018/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51783