Cet ouvrage est représentatif d’une part croissante de la production des éditeurs scientifiques allemands. Le marché du livre a en effet réagi avec sensibilité à l’introduction des diplômes universitaires bachelor et master et à la réforme de Bologne. De nombreux maisons d’édition ont profité de l’occasion pour introduire sur le marché une multitude de livres ayant vocation à faciliter la vie des étudiantes et étudiants (et de leurs enseignantes et enseignants par ailleurs). Des collections ont été élargies ou fondées récemment. Le nombre de synthèses plus ou moins descriptives est en constante augmentation1.

Cela dit, Manuel Schramm présente un remarquable résumé de l’histoire économique et sociale de l’Europe depuis 1945. En introduction, il constate la complexification d’une telle entreprise face à une historiographie qui a entre-temps multiplié les perspectives au sens d’une histoire sociale élargie (»Sozialgeschichte in der Erweiterung«), incluant l’histoire de la vie quotidienne et du genre, le développement d’attitudes politiques ou, entre autres, l’histoire de l’environnement.

Schramm réagit en cherchant des divergences et des convergences européennes. Au regard du nombre de pages limité, il n’est pas en mesure de rendre justice à chaque pays européen. Son livre est divisé en trois blocs chronologiques, dans lesquels il se concentre sur des problèmes qui caractérisent selon lui la signature spécifique des périodes: les années de la faim, de la consommation de masse et de la mondialisation. Pour des raisons pragmatiques, Schramm exclut l’ensemble du bloc de l’Est, qui relève d’une dynamique sociale et économique bien différente et ne rentrerait pas dans sa périodisation. Malheureusement, la péninsule Ibérique est aussi presque absente de l’Europe de Schramm.

Pour la longue phase d’après-guerre (1945–1950), Schramm confirme l’interprétation des sociétés rationnées (»Rationen-Gesellschaften«, Rainer Gries), mais la combine avec le complément nécessaire des »sociétés de marchés noirs« (p. 13). Le »post-war consensus« se serait dissous dès la fin des années 1940. Cependant, l'ère de la consommation de masse de 1950 à 1970 serait caractérisé par un large consensus libéral-conservateur. Schramm nous présente ce »Zeitalter des Massenkonsums«, dont il est un spécialiste, en se reposant sur ses indicateurs habituels (voitures, électroménager, alimentation, commerce de détail avec filialisation et libre-service, publicité). Finalement, il décrit la globalisation en Europe (1970–2000) comme un processus social fondamental et multidimensionnel (»gesellschaftlicher Basisprozess«, p. 93). La convergence mondiale serait pourtant accompagnée d’une fragmentation des groupes sociaux, des pratiques culturelles, des systèmes de valeurs et des partis politiques.

À plusieurs reprises, Schramm se réfère à la consommation – déficiente, émergente, en forte croissance, de plus en plus différenciée – en abordant des thèmes sociaux, véritable basso continuo traversant les trois sections de l’ouvrage. Cela s’applique, par exemple, au changement des formes de la religiosité2, à la révolution sexuelle ou aux cultures alternatives.

Une multitude de concepts clés du débat des contemporains et de la recherche sont repris et mis en perspective en vue des différenciations nécessaires. Cet effort est cependant parfois trop succinct pour rendre justice aux débats complexes et en même temps parfois trop étoffé pour que les interprétations, pourtant falsifiées, ne s’enlisent pas chez les lecteurs. Par ailleurs, les interprétations de la discussion allemande semblent par instants dominer le récit – société des rations, »Vergangenheitspolitik« ou politique du passé, »Wertewandel« ou changement de valeurs.

Compte tenu du peu d’espace disponible, il est surprenant que Schramm discute souvent minutieusement des questions politiques (dénazification et épurations politiques, guerre froide et détente, les systèmes de partis, actes de terrorisme). Même dans le souci d’une histoire sociale élargie, moins aurait pu être plus ici. En revanche, des sujets supposés classiques auraient mérité plus d’attention: l’urbanisation, le monde rural et l’agriculture; le développement industriel, les services et l’informatisation, etc. La stratification sociale et les milieux sont abordés, sans toutefois répondre aux attentes du lecteur envers une histoire sociale et économique de l’Europe.

Les références bibliographiques sont très sélectives. Quelques titres en français sont cités, au moins dans la traduction anglaise. La plupart des graphiques sont extraits d’Internet (en particulier de Wikimedia Commons), mais s’avèrent souvent inchangés et non standardisés, et de fait en certains cas fastidieux à lire.

Dans l’ensemble, Schramm présente les convergences et les divergences de l’histoire sociale et – dans une moindre mesure – de l’histoire économique européenne d’une manière informée et succincte. Somme toute, cette brève introduction est réussie, notamment parce que l’auteur intègre de nombreux éléments de son récit dans des contextes plus larges et corrige des mythes persistants: le prétendu miracle économique, le nivellement de la société par la classe moyenne selon Helmut Schelsky (»nivellierte Mittelstandsgesellschaft«) et les postulats trop affirmatifs d’une société des savoirs ou »Wissensgesellschaft«.

1 La collection UTB (Uni-Taschenbücher), une coopération d’une quinzaine d’éditeurs germanophones, facilement reconnaissables dans leur jaquette rouge, affichent pour l’instant 181 titres disponibles pour les seules sciences historiques (cf. http://www.utb-shop.de/shop/geschichte.html). L’emblématique »Oldenbourg Grundriß Geschichte«, l’un des vaisseaux amiraux de longue date de l’historiographie allemande, et sa petite sœur »Enzyklopädie deutscher Geschichte« (actuellement environ 150 volumes au total) font le bonheur des enseignantes et enseignants grâce à leur division tripartite permettant d’approcher aisément de nouveaux sujets: une narration hyper-comprimée, suivie par un résumé précis des conjonctures de la recherche et des débats académiques et, finalement, une riche bibliographie. D’autres éditeurs se sont investis pendant la dernière décennie: les »Akademie Studienbücher« de l’Akademie Verlag (auparavant partie de la groupe Oldenbourg qui elle-même vient d’intégrer les éditions de Gruyter); la »Siedler Geschichte Europas« et la nouvelle et dixième édition du »Gebhardt. Handbuch der deutschen Geschichte« sont déjà complètes; la »C.H. Beck Geschichte Europas« ainsi que la »Geschichte der Welt« des éditions C.H. Beck et Harvard Up sont en cours d’être achevées; la »Neue Fischer Weltgeschichte« vient d’être lancée. À ceci s’ajoute un nombre non négligeable d’introductions dans la théorie, la méthodologie et la pratique de l’historiographie. Environ la moitié de ces livres disponibles dans une bibliothèque universitaire moyenne ont été publiés depuis le millénaire; selon le catalogue de l’université d’Augsbourg, c’est le cas pour 328 des 769 livres répertoriés dans la systématique NB 1100 à NB 2800 (tous les sites Internet ont été consultés le 18 juillet 2018).
2 Par ailleurs, l’encyclique avec laquelle Pie IX a condamné la modernité libérale en 1864 ne s’appelle pas »Syllabus errorum« mais »Quanta cura« (Avec quel soin). Le recueil des erreurs n’était que l’appendice.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jürgen Finger, Rezension von/compte rendu de: Manuel Schramm, Wirtschafts- und Sozialgeschichte Westeuropas seit 1945, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2018, 168 S., 43 Abb. (UTB, 4837), ISBN 978-3-8252-4837-6, EUR 19,99., in: Francia-Recensio 2018/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51846