Gerhart Hirsch, alias Horst, a publié sous plusieurs pseudonymes: André Gorz, Michel Bosquet, Gérard. Juif autrichien, c’est à Paris qu’il se fit un nom – Michel Bosquet – en tant que journaliste, co-fondateur et rédacteur du »Nouvel Observateur«. Le sociologue critique et autodidacte se fit connaître en France dans le milieu des nouveaux mouvements sociaux et des syndicats. Les textes rassemblés, traduits et commentés dans ce volume par Claus Leggewie, Wolfgang Stenke, mais aussi des intervenants qui appartiennent à la génération des petits-enfants qu’il n’a pas eus, donnent une idée de la diversité des thématiques auxquelles Gorz s’est intéressé: le développement durable, les médecines douces, le tournant énergétique, le revenu universel, pour n’en nommer que quelques-unes.

C’est à Wolfgang Stenke qu’il revient de faire une biographie succincte de Gorz qui naquit à Vienne en 1923 sous le nom de Hirsch, abandonné au profit de celui de Horst, moins à même de susciter des réactions antisémites pour une famille qui s’était convertie au catholicisme et dont le père dirigeait une petite entreprise de tonnellerie. La situation devint dramatique après »l’Anschluss« en 1938, sans que le père envisage pour autant l’émigration. Même après la Nuit de cristal, il garda sa confiance en l’État, envoyant cependant dans un internat suisse son fils âgé de 16 ans et »demi-juif«.

En 1941, Gorz put s’inscrire à l’université pour faire des études de chimie, reconnues à l’étranger. Il était aussi membre de la Société des belles-lettres de Lausanne où il commença à faire ses classes de journaliste. Après quelques emplois alimentaires, il entra à »Paris-Presse« avant l’»Express« en 1955 et obtint la nationalité française. En 1964, il fonda le »Nouvel Observateur« avec, entre autres, Jean Daniel et Claude Perdriel, s’occupant de la partie économique sous le nom de Michel Bosquet, mais intervenant également aux »Temps modernes«. L’historien Willy Gianinazzi (cf. son interview dans l’ouvrage) le considérait comme un pionnier de l’écologie politique.

On trouvera encore dans ce volume sept articles significatifs de Gorz dans leur traduction allemande, augmentés de commentaires. Ralph Bollmann adhère à la critique formulée par Gorz sur la capacité du capitalisme à démotiver les jeunes à s’investir dans la vie de la cité. Un autre texte de 1978 qui évoque une irréversible montée du chômage témoigne d’une clairvoyance qu’admire Constanze Kurz. En 2005, Gorz s’interroge sur le poids du »capital humain«, c’est-à-dire des collaborateurs dans une entreprise, texte anticipateur pour Sarah Speck.

En 1986, Gorz revendique le droit de chacun à se nourrir, même pour celui qui est sans emploi; c’est l’idée du revenu universel, saluée par Stephan Lessenich. Les médecines douces qui respectent le corps – voilà un article de 1980 qui est pour Petra Gehring la réflexion d’un philosophe sur la mort. Karena Kalmbach présente à son tour la pensée anti-nucléaire de Gorz (texte de 1976). En 1993, Gorz s’exprime dans la »Frankfurter Allgemeine Zeitung« sur les perspectives libératrices de la gauche, un texte que Claus Leggewie rapproche d’»Adieux au prolétariat« (1980)1.

En 1982, le »Spiegel« interviewa Gorz en tant que Français et »théoricien de la nouvelle gauche« à propos des manifestations contre le stationnement en Europe de l’Ouest des fusées américaines à moyenne portée dans le cadre de l’OTAN. En effet, Gorz prit résolument parti contre les pacifistes qui se faisaient – à son avis – des illusions sur le rôle émancipatoire de l’Union soviétique dans le monde.

Avec sa femme, Dorine, il se retira en 1983 à Vosnon, un petit village à l’orée de la Champagne. Après leur suicide en 2007, ils léguèrent leurs biens à une association, la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués. Service œcuménique d’entraide), destinée à aider les réfugiés, les migrants et les demandeurs d’asile. Des amis, Otto Kallscheuer et Michel-Édouard Leclerc, leur rendent hommage. Toutes ces prises de position donnent une image vivante et très positive d’un penseur engagé aux idées souvent prémonitoires.

1 André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, Paris 1980.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Claus Leggewie, Wolfgang Stenke (Hg.), André Gorz und die zweite Linke. Die Aktualität eines fast vergessenen Denkers, Aus dem Französischen von Eva Moldenhauer, Berlin (Verlag Klaus Wagenbach) 2017, 173 S. (Wagenbachs Taschenbücherei, 785), ISBN 978-3-8031-2785-3, EUR 13,90., in: Francia-Recensio 2018/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51869