Depuis que Franklin D. Roosevelt en a fait le slogan de sa campagne présidentielle de 1932, partisans, adversaires et historiens n’ont cessé de s’interroger sur le programme, la mise en œuvre et les résultats du New Deal. Dans »The New Deal. A Global History«, Kiran Klaus Patel entend relever le défi en resituant l’expérience américaine dans le contexte mondial des années 1930 et 1940.

Patel se démarque aussi bien des interprétations canoniques qui insèrent le New Deal dans la tradition exclusivement nationale du réformisme américain – qu’il s’agisse de mettre en évidence une continuité ou au contraire une rupture – que d’études plus ciblées sur ses aspects locaux et populaires. Il proclame en revanche la parenté de sa démarche avec les travaux d’historiens ayant étudié les réalisations et les échecs de la présidence de Roosevelt dans une perspective transnationale – il cite notamment Daniel T. Rodgers et Ira Katznelson – et exprime son ambition d’offrir au lecteur une vision synthétique et mondiale.

S’inscrivant dans une collection intitulée »America in the World«, l’ouvrage apporte une contribution importante à l’histoire du capitalisme en s’attachant à la crise la plus profonde qu’il ait jamais traversée. Dépassant le cadre étroit de l’histoire politique, il embrasse le champ plus large de la »gouvernementalité« – l’inspiration de Michel Foucault est revendiquée dans le prologue. Dans ce but, l’auteur convoque une vaste historiographie, qui inclut non seulement l’histoire politique, mais encore l’histoire sociale, économique et culturelle de plusieurs pays.

L’ouvrage est organisé en cinq chapitres. Dans un tableau introductif aux dimensions du monde, Patel souligne la nature »globale« de la crise économique, sociale et politique de l’entre-deux-guerres; l’importance des questions monétaires, notamment, est soulignée à juste titre. Le deuxième chapitre évoque, à propos des réalisations du »premier New Deal«, l’élaboration et la circulation transnationale d’expérimentations de toutes natures, qu’il s’agisse des réformes bancaires, de l’agriculture, de la politique industrielle, des grands travaux, ou encore de la planification; Patel rappelle à ce propos que l’utilisation de la radio par Roosevelt est l’un des moyens qui lui ont permis de s’affirmer comme un modèle de leader démocratique.

Le troisième chapitre analyse la stratégie souvent incohérente des États-Unis de l’immédiate avant-guerre avec leurs partenaires étrangers: la politique du bon voisinage à l’égard de l’Amérique latine et le rôle du secrétaire d’État Cordell Hull, apôtre du libre-échange, sont bien mis en valeur; plusieurs pages sont aussi consacrées à l’immigration, aspect parfois négligé du New Deal. Le quatrième chapitre, plus centré sur la seconde moitié des années 1930, insiste sur le besoin de sécurité qui est au cœur des politiques publiques pensées et mises en œuvre par les New Dealers et leurs contemporains. C’est le moment d’évoquer, dans des pays très différents les uns des autres, les avancées en matière de protection sociale. L’ouvrage s’achève sur la présentation convaincante du New Deal comme moment inaugural du »siècle américain«: l’effort de guerre a contribué à renforcer les innovations des années 1930, qui en retour ont constitué les fondations du leadership des États-Unis après 1945.

Les développements approfondis sur des points très précis, comme le logement ou la mise en valeur du potentiel hydroélectrique de la vallée du Tennessee, sont agrémentés de croquis incisifs des principaux acteurs – Frances Perkins ou David E. Lilienthal, par exemple – et le propos est enlevé. Le lecteur français relèvera une erreur mineure lorsque Patel, dans le but d’illustrer l’internationalisation progressive du New Deal, laisse entendre que Roosevelt s’est rendu en France à la fin de sa présidence (p. 9) – c’est inexact, sauf à assimiler à la France le protectorat marocain, où s’est tenue à Casablanca la conférence d’Anfa en janvier 1943, ou l’Algérie coloniale, où le navire ramenant le président de Yalta a fait une brève escale en février 1945.

Ce détail est sans importance en regard de l’originalité de l’ouvrage, qui tient à sa perspective résolument transnationale. Récusant toute forme d’eurocentrisme, Patel ne se limite pas aux seuls échanges transatlantiques et s’intéresse aussi à l’Amérique latine et à l’Asie. La Grande Dépression, qu’il analyse comme »une crise générale de la modernité (occidentale)«, a confronté les nations souveraines à des problèmes similaires, auxquels toutes ont tenté de trouver des solutions nouvelles. Son point de vue lui permet d’identifier les sources d’inspiration communes aux politiques publiques nationales – ou les éventuelles divergences – dans des domaines aussi divers que la construction de l’État providence ou l’émergence d’un leadership politique charismatique. Les contemporains ne l’ignoraient pas, qui étaient attentifs aux expériences menées dans d’autres régions du monde et trouvaient dans la presse américaine de l’époque, à propos du Front populaire par exemple, des expressions telles que »French New Deal« ou »New Deal à la Blum«.

S’il préfère le vocable d’»insulationism« à celui d’»isolationism«, Patel ne méconnaît pas les conséquences des choix stratégiques qui furent ceux des États-Unis de l’entre-deux-guerres: en privilégiant la scène nationale, les élites américaines ont alors refusé d’assumer les responsabilités que leur conférait le rang de leur pays dans l’économie mondiale. Roosevelt, cependant, a très tôt eu conscience du caractère international des problèmes auxquels son pays était confronté; comme en attestent plusieurs passages de ses discours, il s’est efforcé de faire partager cette prise de conscience à ses compatriotes. Menacé par la Grande Dépression, concurrencé par les dictatures de droite ou de gauche, le New Deal a administré la preuve qu’il était possible de conjuguer, au moyen paradoxal d’un renforcement du rôle de l’État, capitalisme et démocratie – le prestige international de cette dernière en a bénéficié pendant plusieurs décennies.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Yves-Marie Péréon, Rezension von/compte rendu de: Kiran Klaus Patel, The New Deal. A Global History, Princeton, Oxford (Princeton University Press) 2016, XII–435 p., ISBN 978-0-691-14912-7, USD 35,00., in: Francia-Recensio 2018/3, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51874