Si les révolutions se font, à partir de la fin du XVIIIe siècle, contre la monarchie, ce système politique reste pourtant vivace au siècle suivant, même si son organisation évolue avec le temps. Tout se passe néanmoins comme si cette présence forte de la monarchie intéressait peu les historiens, pressés de ne voir là qu’un héritage archaïque et embarrassant du passé. Le pari de Volker Sellin vise à rappeler la survie de cette organisation du pouvoir en étudiant ses remises en cause et ses métamorphoses. L’historien part d’une citation de Benjamin Constant pour qui il y a deux pouvoirs, l’un illégitime, c’est la force, l’autre légitime, c’est la volonté générale. Il se fonde ensuite sur une définition de la légitimité comme »acceptation sociale du droit«.

Avant les révolutions de la fin du XVIIIe siècle, le régime monarchique semblait naturel et efficace, ayant souvent de très anciens fondements religieux et s’appuyant sur des hiérarchies sociales solidement établies. Ces certitudes subissent un grand ébranlement, en particulier après la Révolution française, mais les monarchies ne disparaissent pas pour autant et survivent souvent jusqu’à la Première Guerre mondiale, ou bien elles se reconstituent, mais sont fragiles et contestées. Volker Sellin fait l’histoire de cette incertitude pour une longue période historique où les monarchies sont remises en cause, surtout lorsqu’elles tentent de se maintenir en utilisant la violence. L’auteur étudie ces confrontations qui donnent naissance à des changements plus ou moins rapides, à des transitions politiques. Volker Sellin, dans un précédent ouvrage (2001), s’est penché sur la restauration en France comme porteuse d’un modèle qui s’avère utile à d’autres princes européens au cours du siècle.

Dans le livre qui nous occupe, il regroupe des études de cas sous des thèmes qu’il juge essentiels: violence, dynastie, religion, succès militaire, Lumières, constitution, nation, réforme sociale, charisme. Ce sont autant de questions fondamentales qui viennent animer et structurer cette ample enquête sur la monarchie. Pour chaque chapitre, Volker Sellin présente différents cas historiques, en quelques pages, parcourant ainsi l’espace de l’Europe et un long XIXe siècle. Il présente des souverains à des moments cruciaux, heureux ou dramatiques, et il analyse, en intensifiant la lumière, ce qu’est le pouvoir princier. Chaque tableau, dans cette galerie d’histoire européenne, offre une réflexion originale et profonde qui doit aider le lecteur à mieux connaître un siècle souvent méconnu. Même s’il ne boude pas l’approche théorique, l’historien la rend la plus légère possible: il laisse l’histoire soulever des interrogations et proposer des réponses.

Reprenant les changements que la Révolution française apporte à la théorie du gouvernement, Volker Sellin étudie ainsi la quête de légitimité parcourant les monarchies européennes, qui cherchent à acquérir l’adhésion des populations tout en se confrontant aux réticences et aux résistances.

Le chapitre sur la violence par exemple s’interroge sur le conflit entre l’acceptation et la contrainte. Il s’intéresse à la révolution américaine face à George III d’Angleterre, à Charles X affrontant en France la révolution de juillet, à Frédéric-Guillaume IV de Prusse accablé par la répression d’un mouvement contre la censure, à Mirabeau évoquant la force des baïonnettes, au massacre de manifestants dit de Peterloo en 1819, à la répression à Milan en 1898, enfin à celle à Saint-Pétersbourg en 1905.

Analysant la notion de dynastie, Volker Sellin montre comment les règles issues du passé évoluent au XIXe siècle mais aussi comment les mêmes crises demeurent, par exemple autour de la succession royale en Espagne. En même temps, l’auteur souligne que la dynastie perd sa capacité à légitimer seule le pouvoir royal, la présence d’une constitution ou l’affirmation d’une nation devenant des éléments prépondérants.

De plus, tous ces événements participent d’une mémoire collective de l’Europe car ils ont marqué l’histoire pour les pays concernés. Ce poids de la mémoire apparaît bien dans une des dernières études portant sur les monuments érigeant un monarque en héros. L’idée de célébrer 1812 en Russie n’aboutit qu’en 1883, alors que le Vittoriano de Rome s’impose au contraire comme un modèle. La statue destinée à commémorer la fondation du Reich, ne célèbre que Guillaume Ier et sa dynastie.

L’ouvrage de Volker Sellin s’impose parce qu’il s’intéresse à une structure politique un peu négligée par les historiens pour la période considérée, parce qu’il propose des questionnements subtils et des éclairages nouveaux pour comprendre la survie de la monarchie et son évolution, parce qu’il choisit avec détermination un cadre européen pour étudier cette réalité fluctuante.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Lucien Bély, Rezension von/compte rendu de: Volker Sellin, Violence and Legitimacy. European Monarchy in the Age of Revolutions, München (De Gruyter Oldenbourg) 2018, 336 p., ISBN 978-3-11-055839-5, EUR 79,95., in: Francia-Recensio 2018/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51941