Le présent ouvrage veut réagir contre une tendance de l’historiographie qui, selon l’auteur, néglige le vécu et les attitudes de ceux qui, entre 1517 et 1540, voulaient rester fidèles à la foi traditionnelle. Marc Mudrak estime qu’on les a trop souvent considérés comme des conservateurs attachés au Moyen âge, alors que les protestants auraient été des progressistes. Et si on traite de ces fidèles, c’est trop souvent sous l’angle institutionnel ou théologique, alors qu’il faudrait étudier aussi les pratiques de la base et l’image que les uns se font d’eux-mêmes et des autres.
Pour une telle approche, l’auteur procède en deux temps. Il étudie d’abord les pamphlets par lesquels protestants et catholiques se combattaient avec acharnement et qui sont révélateurs de bien des manières qu’avait chacun de définir sa propre identité. En second lieu, il propose cinq études de cas (Fallstudien) qui abordent la problématique en épluchant les nombreuses sources dont dispose l’historien, en particulier les rapports d’inspection.
Depuis plusieurs décennies, les pamphlets ont retenu l’attention des historiens. Mais l’auteur observe à juste titre que les pamphlets catholiques, d’ailleurs moins nombreux, ont été moins étudiés que les pamphlets protestants. Il note aussi qu’il y en a davantage dans l’Empire qu’en France. Lui-même présente cent écrits de langue allemande et quinze de langue française. Son propos est de dégager la manière dont les catholiques, mais aussi les protestants, expriment les différences. Inévitablement, l’auteur est obligé de donner la parole à des clercs tels qu’Eck, Emser, Cochlaeus et Murner. On ne peut donc pas dire que ce soit la voix du peuple qui s’exprime dans les pamphlets. Il n’empêche que les pages consacrées à ces textes sont éclairantes.
L’auteur tient compte des recherches les plus récentes, il met bien en évidence les différences entre l’espace français et l’espace germanique et la manière dont les différences respectives, entre catholiques et protestants, sont exprimées, jusque dans le vocabulaire employé au sujet des autres. À juste titre, il évoque aussi le problème de la censure, ainsi que la diffusion des textes. Il note ainsi qu’un tiers des pamphlets est originaire du sud de l’Empire et a été édité dans des villes comme Augsbourg, Strasbourg et Bâle.
L’auteur ne se limite pas à des définitions que les pamphlets procatholiques se font des protestants et de leur propre foi catholique, il traite aussi de la présentation des différences rituelles. Il est ainsi question de la pratique de la messe, en particulier de la communion sous une ou deux espèces, des indulgences et de la pénitence, du baptême, de la vénération de Marie et des saints sous l’angle des images.
La seconde partie de l’ouvrage se fonde sur l’étude de cinq cas, c’est-à-dire des localités ou des territoires. Il s’agit de la Bavière orientale (Ratisbonne, Passau), d’Ulm, de la Westphalie orientale (le comté de Lippe et la ville de Lemgo), de Rouen et de Paris. Ces entités sont présentées brièvement dans l’introduction (p. 32–76). Une partie plus étoffée (p. 281–566), intitulée »Pratiques des différences«, montre de manière synthétique comment les différences sont vécues dans la vie ecclésiale. Il est question d’abord des prêtres, de leurs prébendes et de leur lien avec les autorités, de leurs conflits avec le clergé protestant, mais aussi de la pastorale et de l’offre rituelle. En second lieu, l’auteur traite des »pratiques du salut et de la sanctification«, en exposant comment l’eucharistie et la messe sont comprises et célébrées, toujours sous l’angle de la différence avec les pratiques protestantes. Il est question ensuite de la confession et de la justification, du carême, des rites non sacramentels puis de la manière dont l’Église accompagnait la vie et la mort des fidèles. Marie et les saints retiennent également l’attention. L’auteur relève des différences entre divers lieux et se demande si en France la vénération de la Vierge ne constitue pas une marque distinctive du vécu catholique.
Une dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux lieux et espaces sacrés. Il s’agit à la fois de préciser l’accès quelquefois conflictuel aux églises et chapelles ou encore la décoration de ces locaux.
Bref, l’ouvrage éclaire bien des aspects d’un sujet souvent peu traité. Le monde catholique de base ainsi mis en évidence n’est pas aussi conservateur qu’on l’a souvent dit. Et avant même le concile de Trente, des pratiques émergent qui, à la différence des (mais peut-être aussi en parallèle avec les?) démarches protestantes expriment une réelle vitalité religieuse.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Marc Lienhard, Rezension von/compte rendu de: Marc Mudrak, Reformation und alter Glaube. Zugehörigkeiten der Altgläubigen im Alten Reich und in Frankreich (1517–1540), Berlin, Boston, MA (De Gruyter) 2017, 623 S. (Ancien Régime, Aufklärung und Revolution, 43), ISBN 978-3-11-048962-0, EUR 99,95., in: Francia-Recensio 2018/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.3.51951