Gomes Eanes, fils d’un notaire de Lisbonne proche de la famille royale portugaise, est allé étudier le droit civil à Padoue vers 1409. Cependant, il ressentit une vocation religieuse, et, en 1414, entra dans le monastère bénédictin de Sainte-Justine à Padoue, dont était abbé le réformateur Ludovico Barbo. Celui-ci l’envoya en 1418 au monastère de Sainte-Marie à Florence, connu aussi comme la Badia Fiorentina, pour y diriger les réformateurs, et l’année suivante, à la mort du père abbé, il fut élu pour lui succéder.

Il était toujours en contact avec le Portugal, où il se rendit de 1424 à 1426 pour y introduire la réforme (qui échoua) et de 1435 à 1436 sur ordre du pape Eugène IV (à propos des Canaries et du Maroc), et le roi D. Duarte (1433–1438) en fit un de ses conseillers (il participait aux discussions par sa correspondance). En 1439, il fut nommé à la tête de l’ordre des Camaldules, une branche érémitique des Bénédictins, à la succession de son ami Ambrogio Traversari. La fonction ne semble pas lui avoir plu et, dès 1441, il demandait d’être l’abbé du monastère des chanoines réguliers de Saint-Augustin de Santa Cruz, à Coïmbre, l’un des plus importants monastères du pays (notons que déjà en 1427, puis en 1430, il avait été sollicité de devenir abbé du monastère cistercien d’Alcobaça). Il y mourut en 1459.

De son séjour à Florence, on conserve non une correspondance (très peu de lettres de lui-même ont été conservées), mais une collection de 550 lettres et 62 documents, s’étendant de 1415 à 1463, et dont près de la moitié est écrite en portugais, le reste étant en latin et en italien. Cette collection a été rassemblée par l’abbé Gomes pour le monastère, où elle est restée après son départ. Entre 1650 et 1754, elle a été reliée en plusieurs volumes – il y en avait trois en 1754 –, qui ont été réarrangés et reliés à nouveau par la suite; aujourd’hui l’un se trouve à la Biblioteca Medicea Laurenziana (cod. Ashburnham 1792, 2 vol.), l’autre à la Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze (cod. Conventi Soppressi da ordinare, Badia 4), et le troisième de 1754 a disparu.

Ces lettres ont attiré l’attention des historiens depuis longtemps, certaines ont été publiées au cours du XXe siècle et une édition complète était attendue depuis longtemps. Cette édition est le résultat de nombreuses années de travail de Rita Costa-Gomes. Signalons cependant un projet parallèle, mais concernant uniquement le manuscrit de la bibliothèque Laurentienne par Martin Malcolm Elbl et Ivana Elbl1.

Rita Costa-Gomes publie seulement les deux volumes conservés à Florence, n’y intégrant pas les lettres envoyées ou reçues par l’abbé Gomes que l’on peut retrouver ailleurs. Cette collection renferme des styles différents de lettres: écrites dans le monastère, dans un milieu de cour ou aristocratique, dans les chancelleries urbaines, lettres de conseil (spirituel ou politique), lettres d’instruction (mémoriaux).

Ces lettres renseignent le chercheur d’abord sur l’action de Gomes Eanes en tant qu’abbé de la Badia, sur les liens de la Badia avec le pape et la Curie (où il avait un procurateur), d’autres monastères ou institutions religieuses, telle la congrégation de Sainte-Justine (pour conserver son autonomie vis-à-vis d’elle), les monastères de San Donnino à Pise, de Saint-Georges-le-Majeur et de Saint-Nicolas du Lido à Venise, mais aussi avec l’Église de Florence. Dans des lettres avec des hommes d’Église (notons une correspondance continue avec Ludovico Barbo), les sujets sont de toutes sortes: réforme des monastères, dépôts d’objets, tels des barrettes ou des livres, paiement d’aumônes, de dons, circulation d’informations, recommandations, nominations, plaintes, dénonciations, allant jusqu’à un moine quittant son monastère afin de s’occuper de ses parents âgés, d’un autre se plaignant de sa pauvreté et étant obligé de vendre ses effets, ou encore d’un autre qui s’était échappé de son monastère et qui demandait son pardon.

En dehors de l’Église en Italie et des conciles de Constance, de Bâle, et de Ferrare (où l’abbé Gomes était convoqué, mais où il ne s’est pas rendu), les lettres nous informent sur les affaires portugaises, dont la part augmente à partir du séjour comme envoyé papal de l’abbé Gomes en 1436–1437. Du point de vue religieux et en lien avec la papauté (le roi de Portugal avait un représentant à la Curie), il y a la question des diocèses portugais dépendants de la Castille, abordée par les Castillans au concile de Bâle), les demandes de nominations ecclésiastiques au Portugal (de la part du roi D. Duarte, de la reine D. Leonor, des infants D. Pedro, D. João, D. Fernando; notons l’intervention de la noble dame Guiomar de Castro pour solliciter la nomination de sa fille comme abbesse d’Arouca).

On trouve aussi des sollicitations de protection de Portugais en Italie, de l’étudiant à l’homme d’Église ou au noble, des demandes de nouvelles de ces personnes, des informations (financières) sur le voyage de l’infant D. Pedro en Europe (en 1425–1427), sur le mariage des infants D. Duarte et D. Pedro (1428 et 1429). L’abbé Gomes était lié à un marchand portugais résidant à Pise, Afonso Eanes, auquel Rita Costa-Gomes a déjà consacré une étude publiée en 20092, ce qui donne des informations sur ses affaires commerciales. Pour l’année 1437, la collection de lettres est une source importante sur la malheureuse expédition de Tanger.

On peut trouver des nouvelles légères, telle celle des blessures reçues par le roi d’Aragon en 1426, victime de la famille d’une femme qu’il pourchassait. Plus intéressantes sont les mentions d’envoi, au Portugal, d’œuvres d’art (mention du peintre Benedetto à Florence en 1427), de réalisation ou copie de livres, livres d’heures ou »Épîtres« de Coluccio Salutati.

À travers ces lettres, l’abbé Gomes apparaît comme un homme apprécié par le pape Eugène IV, mais impécunieux, et entier (cf. ses réactions contre le général de l’ordre bénédictin de Vallombreuse à propos de la nomination d’un abbé, ou contre l’archevêque de Braga qui l’aurait traité d’homme hypocrite et faux). Nous devons féliciter Rita Costa-Gomez de s’être attelée à la tâche difficile d’éditer la collection des lettres de l’abbé Gomes Eanes, qui met à jour des réseaux religieux, spirituels, intellectuels, politiques, et commerciaux dans l’Europe du XVe siècle.

1 Martin Malcolm Elbl, Ivana Elbl, The Private Archive (Carteggio) of Abbot Gomes Eanes (Badia di Firenze): An Analytical Catalog, with Commentary, of Codex Ashburnham 792 (Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence), dans: Portuguese Studies Review 21-1 (2013), p. 19–151; 21-2 (2013), p. 137–202.
2 Rita Costa-Gomez, Between Pisa and Porto: Afonso Eanes, Merchant of the King of Portugal (1426–1440), dans: Diogo Ramada Curto, Eric R. Dursteler, Julius Kirshner, Francesca Trivellatodans (dir.), From Florence to the Mediterranean and Beyond. Essays in Honour of Anthony Molho, Florence 2009, p. 235–248.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Rita Costa-Gomes (ed.), A Portuguese Abbot in Renaissance Florence. The letter collection of Gomes Eanes (1415–1463), Firenze (Casa Editrice Leo S. Olschki) 2017, XLVIII–580 p. (Biblioteca dell’»Archivum Romanicum« – Serie I: Storia, Letteratura, Paleografia, 472), ISBN 978-88-222-6516-6, EUR 65,00., in: Francia-Recensio 2018/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57367