Karoline Dominika Döring a consacré sa thèse de doctorat à la guerre contre les Turcs et à la mutation dans les médias au XVe siècle1, dans laquelle elle a publié un catalogue des imprimés concernant les Turcs jusqu’en 1500, complétant ainsi, en amont, les »Turcica. Die europäischen Türkendrucke des XVI. Jahrhunderts« de Carl Göllner (1961 et 1968). Ce livre a pour objet, à la suite des travaux de Bettina Wagner, la recension exhaustive des manuscrits latins et allemands de ces lettres apocryphes d’un sultan à des souverains chrétiens, l’»Epistola Soldani«, l’»Epistola Morbosani«, l’offre de la fille du sultan en mariage, une lettre de défi, une lettre d’invitation à un tournoi à Babylone.
L’»Epistola Soldani« date de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle: le sultan Balthazar retire son plan d’invasion et prévient le pape d’empêcher les chefs de la croisade de se sacrifier en vain; une réponse d’un pape Clément (V ou VI) est souvent jointe à cette lettre, qui est conservée dans 49 manuscrits, 11 impressions entre 1490 et 1565. L’»Epistola Morbosani« est apparue entre 1343 et 1346: c’est un appel d’un compagnon de l’émir ottoman Orhan au pape, de renoncer à ses projets de croisade; elle est conservée dans 47 manuscrits latins, plus 2 incomplets, et 15 témoins dans des archives et des bibliothèques italiennes, sans oublier 6 impressions. Les 6 versions allemandes ont suivi, en grande partie, la conquête de Constantinople.
L’offre de la fille du sultan en mariage est faite par le sultan de Babylone (Le Caire) à l’empereur ou à un souverain occidental; celle-ci recevrait une dot et se convertirait au christianisme. Un manuscrit de 1469 la conserve en latin, dix en allemand. Dans la lettre de défi, un sultan de Babylone (Mehmet II) annonce à un souverain chrétien (le duc de Bourgogne, Maximilien d’Autriche) qu’il est informé des projets de croisade et qu’il devrait s’en garder; il lui propose en échange une alliance; cette lettre est conservée dans 7 manuscrits allemands. La lettre d’invitation à un tournoi au Caire est conservée dans 1 manuscrit latin, 5 manuscrits allemands et une version abrégée2.
À la suite de ces recensions, un chapitre (p. 90–119) est consacré à l’étude formelle des lettres d’un sultan. L’auteur s’intéresse d’abord au passage du manuscrit à l’imprimé, de l’historicité à la »fictionnalité« au cours du XVe siècle, en prenant comme exemple l’»Epistola Magni Turci« de l’humaniste napolitain Laudivio Zacchia, parue en 1473 et qui a reçu 19 éditions avant 1500. Ces lettres pouvaient être des lettres types pour des formulaires d’écriture stylistique. Elles étaient aussi un aspect du traitement du danger turc après la prise de Constantinople. Elles étaient encore une veine de la fiction populaire de la fin du Moyen Âge. Enfin, elles représentent un témoin du changement du discours religieux à la suite de l’échec des croisades. Un appendice donne la liste de 7 manuscrits offrant une version différente des lettres.
Dans ce petit livre, Karoline Dominika Döring offre une recension très utile des fausses lettres de sultans aux souverains occidentaux à la fin du Moyen Âge, ainsi qu’une analyse de leur forme et de leur signification. J’exprime cependant un regret: que l’auteur n’ait pas donné une édition de ces lettres, et un souhait: qu’elle complète sa recension à l’échelle européenne, et même mondiale (il doit bien se trouver des manuscrits aux États-Unis).
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Karoline Dominika Döring, Sultansbriefe. Textfassungen, Überlieferung und Einordnung, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2017, XXXIV–138 S. (Monumenta Germaniae Historica. Studien und Texte, 62), ISBN 978-3-447-10751-8, EUR 35,00., in: Francia-Recensio 2018/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57368