Ulf Christian Ewert, lecteur d’histoire économique à l’université de Münster, et Stephan Selzer, professeur d’histoire médiévale à l’université Helmut-Schmidt de Hambourg, ont consacré de nombreux travaux à la structure en réseau du commerce hanséatique et aux mécanismes de réputation sur lesquels il s’appuie. L’ouvrage qu’ils ont publié en 2016 aux éditions Peter Lang se veut une synthèse de quinze années de recherches sur la question. Fortement inspirés par les travaux de Douglass North et d’Avner Greif, les deux chercheurs tentent d’y adapter les outils théoriques de la nouvelle économie des institutions à l’étude de l’organisation et du fonctionnement de la Hanse allemande médiévale.
L’ouvrage s’articule en sept chapitres, dont une introduction consacrée à la réception des théories et des questionnements économiques dans l’historiographie hanséatique, cinq chapitres thématiques, et enfin une conclusion présentant les tendances actuelles de la recherche ainsi que ses perspectives futures. Riche de plus de quatre cents titres, résolument interdisciplinaire, la bibliographie qui l’accompagne donne un aperçu assez complet des travaux consacrés à la Hanse depuis une quinzaine d’années.
Le constat de départ des auteurs (chapitre 1), appuyé par un aperçu des grandes tendances de l’historiographie de la Hanse depuis le milieu du XIXe siècle, est celui du divorce paradoxal des sciences historiques et économiques, dont les études hanséatiques auraient souffert depuis le milieu du siècle dernier. Les outils de la nouvelle économie des institutions, dont les principes sont brièvement présentés, sont pressentis comme une manière de combler le gouffre qui s’est progressivement creusé entre les deux disciplines.
Suivent deux chapitres visant à montrer que le commerce hanséatique fonctionne en réseau. Le premier (chapitre 2) remet en question l’idée selon laquelle, dès la fin du Moyen Âge, le commerce hanséatique aurait été »archaïque« au regard de l’organisation des firmes italiennes ou bavaroises. En mobilisant le »principe du principal-agent« ainsi que des concepts empruntés à la »théorie des jeux« et surtout à la »théorie des coûts de transaction«, les auteurs montrent de manière convaincante que »la pratique commerciale des marchands hanséatiques de la fin du Moyen Âge n’était ni ›archaïque‹ ni déjà ›moderne‹« (p. 57), et qu’à défaut d’entrer dans l’une ou l’autre de ces catégories, leurs techniques étaient efficaces et adaptées à leur environnement. Cette démonstration est complétée par le chapitre 3, qui donne de la chair à ces considérations très théoriques et des exemples de réseaux à l’œuvre au sein de la Hanse: les liens familiaux, la Zirkelgesellschaft où se rencontraient les élites lubeckoises, ou encore les Artushöfe (cours d’Artus) des villes prussiennes.
Le chapitre 4 revient sur la question de l’environnement commercial de la Hanse et de son hétérogénéité: à travers les exemples de Bruges et de Novgorod, les auteurs y mettent en lumière les considérables différences de développement existant d’une extrémité à l’autre du monde hanséatique, et montrent comment elles conduisirent les marchands à développer des stratégies pour s’y adapter, les contourner ou les harmoniser. Changeant d’échelle, ils s’intéressent ensuite (chapitre 5) à la structure de la Hanse et à la manière dont la diète, les villes et les comptoirs hanséatiques coordonnaient leur activité commerciale: passant pour structurée et cohérente aux yeux d’observateurs extérieurs, elle était en fait une »organisation virtuelle et multipolaire« (p. 121), manquant d’institutions exécutives capables de faire appliquer les décisions de la diète.
Se trouve ainsi posée la question du déclin de la Hanse (chapitre 6), que les auteurs expliquent en termes de »dépendance au sentier« (path dependence), suggérant que les institutions qui firent le succès des hanséates expliquent aussi leur réticence ou leur incapacité à s’adapter à temps et de manière suffisamment innovante à un commerce international en rapide mutation à partir de la fin du XVe siècle.
Ulf Christian Ewert et Stephan Selzer ont cherché à fournir aux historiens et économistes travaillant sur la Hanse allemande des outils conceptuels à même d’appuyer de nouvelles études empiriques sur le sujet. S’ils y parviennent dans l’ensemble assez bien, il faut dire que l’importance des apports théoriques de la nouvelle économie des institutions est reconnue parmi les historiens de la Hanse depuis déjà une quinzaine d’années (ce que le bilan historiographique du chapitre 7 montre bien). À bien des égards, il s’agit donc d’un livre écrit par des historiens pour des économistes, ce qui conditionne la plupart des critiques qui peuvent y être adressées.
La première concerne un point faible bien connu de la nouvelle économie des institutions: parce qu’elle s’intéresse à la persistance de structures économiques dans le temps, elle est intrinsèquement peu réceptive à leurs évolutions. Aussi les institutions du commerce hanséatique sont-elles présentées ici de manière essentiellement statique: seul le chapitre 6 sur les raisons du succès et du déclin de la Hanse y apporte un peu de mouvement, alors même que la période étudiée court du début du XIIIe à la fin du XVIe siècle.
Par ailleurs, les auteurs font tout au long de la démonstration un usage intensif de concepts empruntés aux sciences économiques, sans toujours prendre le temps de les définir autant qu’on l’aurait souhaité: en guise d’explication des enjeux de la notion de »dépendance au sentier«, le lecteur ou la lectrice doit se contenter d’un renvoi bibliographique (p. 96); aucune référence n’est même associée à la »théorie de la contingence«, expression qui semble désigner une forme de déterminisme géographique et social (p. 123–124). Ce jargon s’accumule jusque dans les titres de chapitre, souvent assez abstraits. Cela rend par moments la lecture d’autant plus fastidieuse que les auteurs ont fait le choix de limiter le nombre d’exemples au strict minimum.
À l’inverse, on s’étonne de ce que le vocabulaire des institutions hanséatiques ne soit pas manipulé avec plus de rigueur. Par exemple, l’expression »Ligue hanséatique«, qui présente par ailleurs le défaut de prêter à la Hanse une consistance qu’elle n’eût jamais – ce que les auteurs savent pertinemment – est utilisée d’une manière d’autant plus inappropriée qu’elle est inconstante et incohérente: l’expression désigne tantôt la diète hanséatique (p. 90), tantôt la Hanse comme alliance politique (p. 106), alors que l’introduction précise qu’on parle de Hanse au Moyen Âge et de Ligue hanséatique à l’époque moderne (p. 13). Il n’est pas toujours facile, dans ces conditions, de discerner qui est le sujet du récit.
Quoique le propos soit parfois obscurci par ces maladresses, le cadre théorique que proposent les auteurs n’en semble pas moins solide: nous ne pouvons qu’espérer que les approfondissements qu’il appelle ouvriront à une connaissance plus fine du fonctionnement de cette organisation protéiforme que fut la Hanse allemande.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Tobias Boestad, Rezension von/compte rendu de: Ulf Christian Ewert , Stephan Selzer (ed.), Institutions of Hanseatic Trade. Studies on the Political Economy of a Medieval Network Organisation, Bern, Berlin, Bruxelles et al. (Peter Lang) 2016, 195 p., 10 ill., ISBN 978-3-631-66183-3, CHF 54,20., in: Francia-Recensio 2018/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57370