Dans leur réflexion sur le pouvoir médiéval, à la suite des problèmes de succession1, les éditeurs ont rassemblé des textes sur l’autorité absente. Dans leur introduction, ils développent le concept. L’absence d’autorité apparaît à l’occasion d’un interrègne (Angleterre 1272–1274, Empire 1254–1273, mais il n’est pas fait mention de la papauté, notamment en 1268–1271, 1287–1288, 1292–1294, 1304–1305, 1314–1316), d’une régence lors d’une minorité royale (Henri III d’Angleterre, Louis IX ou Charles VI de France, Jacques Ier d’Écosse), d’une croisade (Louis IX en 1270 et non 1269), de la captivité du souverain lors de guerres civiles ou étrangères, de l’état mental du roi (Charles VI, son petit-fils Henri VI), de la déposition d’un rex inutilis soit par le pape (remarquons qu’une raison semblable invoquée pour celle de Childéric III en 751 le fut de nouveau pour Sanche II de Portugal en 1245) soit par les grands sujets (en Angleterre).

La suspension d’autorité royale apparaît aussi dans les cas de double couronne ou d’une confédération de royaumes (union de Kalmar en Scandinavie, mais aussi Couronne d’Aragon, ou à un niveau inférieur les domaines bourguignons); elle était résolue par la délégation de pouvoirs régionaux. Sans doute ici, la question de la lieutenance aurait pu être développée (d’un souverain à son épouse, à un membre de sa famille, à un tiers). Des absences d’autorité avaient d’autres formes, par exemple en Irlande, celle du roi et celle des barons, ou en Écosse où elle a été bien vue par l’abbé Walter Bower (1385–1449).

Comment l’absence du roi était-elle compensée? On pouvait nommer un successeur de son vivant, établir un gouvernement ou une régence en cas d’absence prolongée, ainsi que le firent en France, partants pour la croisade Louis VII, Philippe Auguste et Louis IX. En Écosse, il y eut trois périodes où la communauté politique nomma un prince du sang comme lieutenant, dans la seconde moitié du XIVe siècle et dans la première moitié du XVe siècle. Les institutions et les administrations doivent être prises en compte: il était important qu’à leur tête se trouvât une personne éminente afin de faire respecter l’autorité royale.

Enfin, les théoriciens politiques se sont posé la question du lieu de l’autorité. La source ultime de légitimité était bien sûr Dieu. Cependant, les souverains, tel Philippe Auguste dans son »Testament«, se considéraient eux-mêmes la source du pouvoir. En l’absence du roi, l’autorité pouvait passer dans les mains du pape, les gardiens du royaume ou les membres d’un gouvernement par intérim, ou être revendiquée par les assemblées représentatives ou des groupes de la communauté politique, qui pouvaient nommer un représentant (cf. la régence écossaise en 1568). L’absence ne pouvait durer sans mettre en péril la continuité royale: le roi était indispensable physiquement, et non symboliquement, pour prendre des décisions et signer des actes.

Les éditeurs ont sollicité onze contributeurs (plus eux-mêmes) à qui, selon leur propre aveu, ils ont laissé carte libre pour étudier ce sujet. Du point de vue géographique, la France et la Grande-Bretagne sont privilégiées, avec des excursus à Parme et en Islande. Les approches sont très diverses. Bruno Dumézil s’intéresse aux vacances du trône mérovingien provoquées par les Pippinides et alors à l’exercice du pouvoir de nomine regis. Laurent Hablot étudie l’emblématique (écu, heaume, couronne, collier, cri, cotte d’armes) en tant que présence réelle du prince. Robert Houghton examine les évêques absents de Parme lors de la querelle des Investitures et les défis auxquels ils eurent à faire face. Olivier de Laborderie recherche les usurpateurs et les souverains illégitimes dans les rouleaux généalogiques des rois d’Angleterre (fin XIIIe–début XVe s.). Tom Horler-Underwood déchiffre les »Querimoniae Normannorum« de 1247 pour mettre à jour les loyautés locales lors de l’absence d’autorité.

Frédérique Lachaud présente les délégations de pouvoir des rois d’Angleterre en Aquitaine: Otton de Brunswick dans le Poitou (1196) et Simon de Montfort en Gascogne (1248–1252) et les problèmes liés à la représentation royale. James Bothwell identifie les exilés de l’intérieur, c’est-à-dire les exclus de la cour anglaise au XIVe siècle. Léonard Dauphant dresse la cartographie de l’absence et de la présence du roi en France de 1364 à 1525. Michelle Bubenicek prend l’exemple des duchés et comtés de Bourgogne pour souligner le rôle de Marguerite de Flandre, épouse du duc et comte Philippe le Hardi durant ses absences, de 1384 à 1404.

Norman Reid et Michael Penman observent le pouvoir par procuration exercé soit par un gardien, un lieutenant ou un gouverneur, dans l’Écosse du XIVe siècle. Hans Jacob Orning relit les sources littéraires pour voir leur interprétation de l’autorité absente en Islande à la fin du Moyen Âge. Torsten Hiltmann analyse la représentation dans les corps de métiers, avec les rois des ménestrels et des merciers en France.

Ces approches diverses montrent tout l’intérêt du concept de l’autorité absente dans l’étude du pouvoir au Moyen Âge.

1 Making and breaking the rules : succession in medieval Europe, c. 1000 – c. 1600. Établir et abolir les normes : la succession dans l’Europe médiévale, vers 1000-vers 1600, Turnhout, Brepols, 2008

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Frédérique Lachaud, Michael Penman (ed.), Absentee Authority across Medieval Europe, Woodbridge (The Boydell Press) 2017, XII–264 p., 2 b/w fig., 2 line ill., ISBN 978-1-78327-252-5, GBP 60,00., in: Francia-Recensio 2018/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57389