Le titre interminable du présent volume est un visible pastiche de la présentation usuelle de son objet d’étude. L’»Intelligenzblatt«, longtemps assez négligée par les historiens et depuis peu remise à l’honneur, a droit ici à l’étude qu’elle mérite, telle qu’illustrée par son plus illustre représentant, Justus Möser, et ses »Wöchentliche Osnabrückische Anzeigen«.
Rappelons pour ceux qui l’auraient oublié, que l’»Intelligenzblatt«, est l’équivalent de ce que l’on appelle dans la France du temps une feuille d’»annonces et avis divers«. Publication strictement locale, elle a pour finalité de mettre en relation des offres de biens ou de services et des demandes en rapport. Tel cherche à vendre une propriété, on souhaite engager une domestique ou un précepteur, ou lance un avis de recherche pour retrouver un objet perdu. L’évidente utilité de ce genre de publication lui a assuré un durable succès, qui d’ailleurs se perpétue encore de nos jours sous des formes à peine modifiées.
Soit dit incidemment, car ce n’est pas l’objet principal du livre, ces litanies de propositions concrètes constituent déjà en elles-mêmes une source historique de grand intérêt, encore assez peu exploitée. Pour ne prendre qu’un seul exemple: la feuille tient rubrique régulière des décès survenus dans l’année à Osnabrück et ses environs. Or en 1771, que signale une épidémie particulièrement meurtrière, sur les 485 décès recensés, il est fait état de 351 enfants. Comment mieux prendre conscience de l’ampleur d’une mortalité infantile effrayante?
Pour renforcer l’attractivité de cette publication périodique, très tôt l’idée est venue d’accompagner la feuille d’avis proprement dite de suppléments à caractère moins immédiatement utilitaire. On y trouvera la reproduction d’actes officiels émanés de l’autorité ou des échos de la vie intellectuelle du moment. Plus encore de petites dissertations sur les sujets les plus divers, d’intérêt local ou général. C’est dans cette activité hebdomadaire que Justus Möser a acquis l’essentiel de sa notoriété.
On pourrait croire que ces écrits, forcément brefs et par nature destinés à une diffusion régionale et donc limitée, n’auraient pas dû dépasser une audience provinciale. Ce qui fut le cas en règle générale. Mais le talent de l’auteur des »Osnabrückische Anzeigen« lui assura une réputation étendue à tout l’espace germanophone et lui valut d’être salué par des personnalités célèbres, rien moins par exemple que Lessing, Herder ou Goethe. Certes, Möser ne s’est pas limité à cette activité de journaliste local; il a par ailleurs fait œuvre d’historien et apporté sa contribution à un nombre considérable d’autres publications périodiques. Mais pour l’essentiel il fut connu pour les rubriques hebdomadaires publiées dans son journal. De 1766 à 1782, sur les 796 Beiträge recensés, il en a rédigé pas moins de 453, qui constituent la matière de la présente étude.
Il y disserte sur les sujets les plus variés, ne craignant pas d’entrer dans des détails tout à fait concrets. Il écrit sur l’usage de la pomme de terre, propose des recettes pour lutter contre les rongeurs, voire donne des conseils pour un usage optimum du fumier; ou bien encore il expose les termes de choix délicats d’intérêt général: ainsi, il convient certes de mieux éclairer la ville, mais n’est-ce pas augmenter les risques d’incendie? À d’autres moments, il saura traduire le jargon juridique des décrets officiels en un allemand de tous compréhensible.
Chemin faisant, à sa manière modeste et toujours concrète, il fait entendre sa voix dans le grand concert d’opinions qui agitent au même moment les cercles intellectuels allemands, et en particulier sur la grande question de l’extension souhaitable qu’il convient d’attribuer à l’Aufklärung en cours. En un mot, faut-il maintenir le peuple dans un état de bienheureuse ignorance ou, au contraire, l’»éclairer«? Justus Möser n’intervient pas de manière théorique et abstraite sur la question. Toujours pragmatique, il ne veut rien imposer; mais les multiples solutions concrètes qu’il apporte sont déjà à leur manière une réponse. Il sert d’intermédiaire entre les savantes propositions des doctes et les couches populaires. Il propose et le paysan dispose! Ce qui implique d’ailleurs que ce paysan est moins bête que certains veulent encore le croire; qu’il est parfaitement capable de raisonner et d’agir dans le sens d’une amélioration de sa condition de vie. Sans se vouloir théoricien, Möser se fait le champion d’une »raison pratique« qui est réponse adaptée aux grandes interrogations du moment.
La très intéressante perspective à quoi tend la démonstration de Holger Böning est étayée par de très abondantes citations empruntées aux 453 suppléments ainsi qu’à divers extraits de la correspondance. Et, en forme d’appendice est joint un florilège de textes directement empruntés au corpus étudié.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Henri Duranton, Rezension von/compte rendu de: Holger Böning, Justus Möser. Anwalt der praktischen Vernunft. Der Aufklärer, Publizist und Intelligenzblattherausgeber. Zugleich ein Lesebuch zum Intelligenzwesen, zu Aufklärung, Volksaufklärung und Volkstäuschung mit Texten von Justus Möser sowie von Thomas Abbt, Johann Wolfgang Goethe, Johann Gottfried Herder, Georg Christoph Lichtenberg und Jean Paul, Bremen (edition lumière) 2017, 375 S. (Presse und Geschichte – Neue Beiträge, 110), ISBN 978-3-943245-76-9, EUR 29,80., in: Francia-Recensio 2018/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57456