L’ouvrage reprend le texte d’une thèse franco-allemande soutenue en 2016 aux universités de Marbourg et de Paris-Sorbonne. Il considère, dans le contexte européen (insistant particulièrement sur la France, l’Angleterre et le Saint-Empire), les éléments du débat sur la guerre de Religion à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, dans une période englobant la révocation de l’édit de Nantes et les dernières guerres du règne de Louis XIV, qui virent le Roi-Soleil affronter des coalitions pluriconfessionnelles.
La première partie considère les inflexions de la notion de guerre de Religion dans l’historiographie catholique et protestante; la deuxième partie examine l’emploi fait des considérations historiographiques dans les publications liées à l’actualité (essentiellement les pamphlets et les revues). La perspective est transculturelle: le débat sur la guerre de Religion est européen, et la langue française tient une place prépondérante.
Le souvenir des guerres de Religion apparaît comme un thème central de l’historiographie, destiné essentiellement à produire des exemples historiques et à servir de fonds argumentatif. Le souvenir des souverains du passé permettait de générer des exemples positifs (incitant à l’imitation ou à l’émulation) ou négatifs (servant de mise en garde par le biais de la diffamation).
L’examen de l’historiographie catholique fait une place prédominante aux ouvrages d’origine française (dont ceux de Louis Maimbourg et de Jacques-Bénigne Bossuet). La question de la guerre de Religion y est pour une part envisagée en référence aux conflits contre l’islam (croisades et guerres contre les Turcs) et surtout contre les hérésies de la fin de l'antiquité et de l'époque médiévale, l’arianisme et le catharisme. Le combat contre le protestantisme »hérétique« est légitimé par le lien établi entre l’hérésie et la rébellion politique. Une distinction nette fut établie entre les guerres de Religion menées par les rois de France, conformes à la mission providentielle de la monarchie française, et celles que les protestants étaient accusés de vouloir susciter, criminelles, nuisibles à la religion et à l’État.
L’historiographie protestante tenta de réfuter ces positions. De manière générale, les historiens protestants rejettent la responsabilité des guerres de Religion sur le clergé catholique, notamment le pape et les jésuites. L’historiographie du »refuge« protestant témoigne d’une évolution remarquable. Pierre Jurieu souligne initialement la communauté d’intérêt entre les rois de France et leurs sujets huguenots, contre la menace émanant des catholiques fanatiques, épaulés par le pape et les Espagnols. Progressivement, la soumission inconditionnelle au roi fit place à la légitimation de la résistance, et cette légitimation s’effectua volontiers à travers la référence à une guerre de Religion allemande, la guerre de Smalkalde (1546–1547), ce qui permit à Jurieu de présenter à Louis XIV un exemple négatif en la personne de Charles Quint.
Les historiens allemands étaient profondément marqués par l’exigence luthérienne de soumission à l’autorité profane et la conversion au catholicisme du duc de Saxe Auguste le Fort relança la discussion sur la légitimité du droit de résistance dans la patrie même du luthéranisme. Les tensions entre différentes approches de la guerre de Religion furent particulièrement fortes en Angleterre; la constitution et les mutations de la mémoire des guerres de Religion furent largement conditionnées par l’interaction entre le souvenir d’événements passés et les conflits politiques actuels. Les interventions d’Édouard VI et d’Élisabeth Ire devinrent un critère à l’aune duquel fut jugée l’attitude des rois d’Angleterre lors de la révolte des Cévenols protestants (1702–1710). Les débats sur la guerre de Religion, généralement connotée de manière négative, furent l’un des fondements sur lesquels s’édifia la notion de tolérance, proclamée comme constituante fondamentale de l’identité protestante. Les considérations historiographiques concernant la guerre de Religion furent largement reprises dans les publications d’actualité (Tagespublizistik) des deux camps confessionnels.
En France, comme les historiens, les propagandistes glorifièrent Louis XIV pour son engagement en faveur du catholicisme, et les guerres de la fin du règne furent fréquemment présentées comme des guerres de Religion. Particulièrement intéressants sont les arguments développés lors de la guerre de Succession d’Espagne, qui virent Bourbons et Habsbourg s’affronter également pour la primauté dans le camp catholique. Parallèlement aux opérations militaires, une guerre de plume fut menée entre les souverains catholiques, chacun visant à imposer son interprétation de la guerre de Religion.
Face à cette argumentation, la propagande protestante élabora des stratégies de justification complexes. L’affirmation de la soumission des protestants à l’autorité légitime fit place, lorsqu’il devint évident que Louis XIV ne mettrait pas un terme aux persécutions, à la défense de la légitimité du droit de résistance à une autorité impie. Cette résistance se fonde sur la mobilisation de stéréotypes anticléricaux. Le lien entre protestantisme et tolérance excluait l’initiative d’une guerre de Religion (inhérente en revanche au fanatisme attribué au catholicisme), mais s’accordait avec les interventions de souverains protestants en faveur de leurs coreligionnaires persécutés.
Le contexte politique créé par les alliances de La Haye et de Vienne favorisa le développement d’argumentations supraconfessionnelles, répondant à la propagande française et susceptibles de toucher un public aussi bien protestant que catholique: Louis XIV, accusé de viser à la monarchie universelle et d’être l’allié des Turcs, était présenté comme un souverain machiavélique, ennemi non seulement du catholicisme, mais de la chrétienté toute entière.
Cette monographie très stimulante met au jour des aspects négligés de la propagande politique dans les années 1679–1715: contrairement à certaines idées reçues, le poids de la religion ne s’effaça pas. Au contraire, l’argumentation sur un fondement religieux connut une recrudescence, au début de la période que l’on caractérise comme celle des Lumières; un débat parti de France subit une internationalisation qui lui conféra une dimension transculturelle, marquée par des interactions très profondes entre les différents pays et les camps confessionnels; le concept de guerre de Religion manié dans la propagande est d’une éminente plasticité, instrumentalisable à des finalités diverses. La période considérée comme celle des »guerres de Religion« fournit un réservoir d’exemples à la mémoire culturelle et l’auteur dit sa conviction que les débats à l’époque de Louis XIV déterminent encore notre image des guerres de Religion.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jean Schillinger, Rezension von/compte rendu de: Christian Mühling, Die europäische Debatte über den Religionskrieg (1679–1714). Konfessionelle Memoria und internationale Politik im Zeitalter Ludwigs XIV., Göttingen (Vandenhoeck + Ruprecht) 2018, 587 S. (Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz, 250), ISBN 978-3-525-31054-0, EUR 85,00., in: Francia-Recensio 2018/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57467