Les partis politiques sont actuellement en déclin, les mouvements alternatifs au »système« connaissent un succès grandissant. C’est de ce constat que partent les auteurs de ce volume pour interroger la notion de parti de masse au XXe siècle. Ils formulent ainsi l’hypothèse selon laquelle l’ère des partis de masse, caractéristiques du XXe siècle, aurait connu son terme dès la fin des années 1980, en Allemagne comme en Italie. L’ambition de cet ouvrage collectif est donc d’ »historiciser la forme du parti de masse et de représenter ses réalisations, comme ses limites au travers d’une comparaison italo-allemande« (p. 11)1. Au travers de seize contributions réparties entre trois sections, respectivement consacrées aux débuts des partis de masse, au NSDAP et au parti fasciste italien (1920–1945) et enfin, aux succès et aux crises des partis de masse après 1945, les contributeurs esquissent les heurs et malheurs de ces partis de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, non pas en délivrant l’histoire d’une réussite, contrariée depuis quelques décennies seulement, mais en mettant en avant un phénomène non-linéaire, fait de périodes de popularité croissante et de moments de reflux.
Dans la première partie de l’ouvrage, consacrée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la notion d’organisation apparaît comme fil conducteur, les différents contributeurs soulignant l’importance des structures dans la prise d’ampleur des différents courants ou partis considérés. Ils apportent la preuve par l’exemple de la prégnance de différents critères dans la »conquête« du statut de parti de masse.
Thomas Welskopp s’intéresse au proto-mouvement social-démocrate et articule sa réflexion autour des termes d’organisation, de mouvement social et de parti. Maurizio Punzo, quant à lui, examine les mutations du parti socialiste italien, mettant en avant les relations avec les syndicats et les tensions entre paradigmes réformiste et révolutionnaire. Seul auteur ne s’intéressant pas à un parti ou à une organisation de gauche dans cette section, Antonio Scornajenghi souligne l’importance des réseaux catholiques dans l’implantation du Partito popolare italiano et la stratégie de différenciation progressive du PPI par rapport aux libéraux. Detlef Lehnert insiste lui sur le rôle de la presse comme arme pour les sociaux-démocrates dans les années 1890 et sur la structure trop complexe que prend le SPD dans les années 1920, avec la création de trop nombreuses branches annexes au parti, qui nuisent à son efficacité. Enfin, Aldo Agostini étudie le parti communiste italien, à partir de son fondement, en 1921, jusqu’aux années 1950. Il décrit la mise en place progressive d’un réseau souterrain du parti, utile au moment de la proclamation de l’état d’exception en 1926 et suit la trajectoire du parti après 1945, le PCI récoltant les fruits de son positionnement antérieur contre le fascisme.
La deuxième section est pour sa part exclusivement consacrée aux partis national-socialiste et fasciste. Armin Nolzen met d’abord en avant la stratégie du NSDAP durant la deuxième moitié des années 1920 qui consiste à s’ouvrir à toutes les catégories sociales grâce à la création de groupes spécifiques et à la politisation de tous les thèmes possibles. Susanne Meinl s’inscrit pour sa part dans une tendance récente dans l’étude du national-socialisme en s’intéressant à la figure du trésorier du NSDAP, Franz Xaver Schwarz, dans laquelle elle identifie un véritable potentiel pour la recherche. Elle combat ici l’idée du bureaucrate apolitique2.
Les contributions de Loreto di Nucci et de Stefano Cavazza sont quant à elles complémentaires: le premier met l’accent sur les relations entre parti fasciste et État italien et la volonté du parti de phagocyter l’État, là où le second s’intéresse à l’organisation locale du parti et à l’émergence d’une nouvelle élite fasciste qui acquiert progressivement des mandats locaux. Chiara Giorgi, elle, voit dans la politique sociale italienne un héritage de la politique fasciste en la matière. Le parti fasciste a en effet cherché à instrumentaliser celle-ci pour en faire une arme électorale et a mené une politique clientéliste, adoptant des mesures ciblées pour certaines catégories sociales au gré de ses intérêts électoraux.
La dernière section rassemble enfin des développements consacrés aux partis de masse après 1945. Paolo Mattera décrit d’abord les difficultés du Partito socialista italiano (PSI) à se stabiliser après la guerre, du fait de problèmes de financement auxquels s’ajoute ensuite la problématique de la relation à l’URSS. Daniel Schmidt propose le seul article consacré à un parti de masse conservateur allemand et présente les difficultés de la Christlich Demokratische Union (CDU) à s’émanciper de Konrad Adenauer et à s’adapter véritablement à son époque dans les années 1960. Pôles conservateur et réformiste s’affrontent et provoquent une paralysie au sein du parti dans les années 1970.
Rüdiger Schmidt décrit ensuite la situation du SPD à la même époque. Il met ainsi en exergue la nécessité pour le SPD d’opérer un changement programmatique à la fin des années 1950, avec le programme de Bad Godesberg en 1959, et marque la transition du parti du statut de Arbeiterpartei à celui de Volkspartei. La question de la capacité d’intégration des Volksparteien est également évoquée, avec l’incapacité du SPD à absorber les questions d’écologie dans les années 1980, au profit des Verts qui émergent alors. Paolo Pombeni adopte une perspective plus globale sur les Volksparteien et établit un lien entre succès de la forme partisane et »démocratie du bien-être« (p. 225) après 1945.
Les deux derniers articles sont quant à eux consacrés aux crises connues par les partis de masse depuis la fin du XXe siècle. Massimiliano Livi décrit les mutations récentes du système italien depuis les années 1980–1990 avec l’émergence de mouvements post-idéologiques qui revendiquent justement leur différence par rapport aux partis traditionnels. Thomas Großbölting, enfin, revient au questionnement liminaire des auteurs en adoptant une perspective plus large et constate ainsi une stabilité des partis à l’échelle des dernières décennies, malgré le discours actuel porté sur la »crise« des Volksparteien, tout en reconnaissant que ceux-ci voient actuellement le nombre de leurs adhérents diminuer.
Si l’ouvrage est explicitement consacré aux »partis de masse« (Massenparteien), on pourra peut-être regretter l’absence de véritable réflexion systématique sur les termes décrivant ces partis et les évolutions que ces termes ont connues. On retrouve ainsi fréquemment l’usage du vocable »Volkspartei«. Il aurait été intéressant, dans l’introduction des auteurs par exemple, de mettre ces termes, utilisés indifféremment, en perspective et de circonscrire de façon plus précise leur périmètre respectif.
On regrettera également que le cœur de l’analyse côté allemand se concentre véritablement sur les partis de gauche (SPD et communistes), l’étude des partis conservateurs étant limitée à sa portion congrue avec l’article de Daniel Schmidt sur la CDU. Néanmoins, cet ouvrage apporte, par la diversité des angles d’analyse, mêlant réflexions globales et études de cas, une contribution intéressante à l’histoire des partis de masse.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Nicolas Batteux, Rezension von/compte rendu de: Stefano Cavazza, Thomas Großbölting, Christian Jansen (Hg.), Massenparteien im 20. Jahrhundert. Christ- und Sozialdemokraten, Kommunisten und Faschisten in Deutschland und Italien, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2018, 268 S. (Aurora – Schriften der Villa Vigoni, 4), ISBN 978-3-515-11192-8, EUR 52,00., in: Francia-Recensio 2018/4, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57500