Issu d’une thèse soutenue à Bielefeld en 2014, le livre de Marcel Streng est important à plusieurs titres: il s’empare en effet d’un sujet que les historiens de la France de la seconde moitié du XIXe siècle avaient un peu délaissé, il s’intéresse avec la question de l’approvisionnement à un objet qui commence à mobiliser les chercheurs de différents pays et différentes périodes et enfin il montre combien la question de la répartition de la nourriture n’est compréhensible dans la France d’avant 1914 qu’en analysant l’échelon communal et pas seulement les pratiques étatiques.

La recherche repose sur une base archivistique solide mobilisant plusieurs fonds conservés aux archives nationales (très précieuses archives judiciaires en BB18 et BB30, fonds de différents ministères en F7, F10, F11 et F12). Mais l’auteur pour changer d’échelle a aussi eu recours aux archives départementales du Finistère, d’Îlle-et-Vilaine et du Nord ainsi qu’aux archives municipales de Brest et de Rennes. L’auteur a également consulté de nombreuses sources imprimées – dictionnaires, presse, brochures et monographies, l’ensemble est très complet tout comme la bibliographie utilisée – seuls oublis les travaux de Laurent Herment et un article classique de Madeleine Egrot.

Organisé en sept chapitres le livre est clairement structuré. Il s’ouvre sur une réflexion autour des définitions de la notion même de subsistance. Ce travail conceptuel et sémantique aide à percevoir l’importance politique et économique de la question dans le premier XIXe siècle et rappelle les travaux précédents de Judith Miller, Nicolas Bourguinat et Denis Béliveau. Le plan est ensuite chrono-thématique. Le deuxième chapitre aborde les subsistances sous le Second Empire et rappelle ici toute la préoccupation bonapartiste pour un monde agricole qui soutient le régime. Le troisième chapitre rentre dans le détail des mesures de police et des décisions de justice concernant les marchés du blé et de la viande.

Ce qui est d’abord condamné ce sont les pratiques de coalition visant à une hausse des prix et les manœuvres spéculatives. Grâce aux rapports des procureurs généraux, l’étude fournit de très nombreuses informations portant sur l’ensemble de la France. Se posent aussi pour l’État et dans la longue durée des problèmes touchant la qualité des produits. Le quatrième chapitre revient sur une question classique: le statut de la boulangerie et la volonté de libéralisation durant les années 1860. L’un des grands intérêts de ces chapitres est de confronter une analyse à l’échelle de l’État – y compris dans la préparation des décrets en Conseil d’État avec le travail de Frédéric Le Play – et une approche centrée sur les départements bretons.

Le cinquième chapitre reprend la démarche du premier chapitre mais cette fois en s’intéressant à l’évolution de la notion entre 1860 et 1910 en abordant ainsi l’évolution de l’économie politique mais aussi de la législation avec la grande loi de 1905 luttant contre les fraudes et les falsifications, jadis bien étudiée par Alessandro Stanziani. Le sixième chapitre s’intéresse à l’action des communes sous la IIIe République dans la régulation des marchés de la viande et du pain. L’auteur retrouve ici l’importance de l’action municipale en cette fin du XIXe siècle qui avait bien été montrée par Bruno Dumons et Gilles Pollet pour les mécanismes de solidarité.

La mobilisation à cette échelle des territoires passe souvent par la création de laboratoires municipaux spécialisés en chimie pour tester les qualités des produits et par le contrôle des abattoirs. À partir des expériences bretonnes, l’auteur nous livre une intéressante réflexion sur les nouvelles formes d’expertise mise en pratique dans ces cadres. Enfin, le dernier chapitre aborde les crises de »vie chère« entre 1905 et 1913 et confronte là encore discours parlementaires, expériences locales (dans le Nord et en Bretagne), publications, et ici particulièrement celles des socialistes. L’auteur rappelle la violence des émeutes et fait appel à des classiques de l’historiographie sur ce point (Charles Tilly, Heinz-Gerhard Haupt et bien sûr Edward P. Thompson avec sa notion d’»économie morale de la foule«).

Tout au long de son livre, Marcel Streng fait preuve d’une bonne connaissance de l’histoire politique française – il cite à bon escient les travaux de Pierre Rosanvallon et utilise aussi ceux de Maurice Agulhon ou de Christophe Prochasson. La forte dimension d’histoire sociale de son approche participe au renouvellement de l’histoire des pratiques de consommation bien illustrée en France pour cette période par les travaux d’Anne Lhuissier et Marie-Emmanuelle Chessel. Enfin, l’ensemble du livre montre, comme l’avait fait Steven L. Kaplan pour le XVIIIe siècle, que les questions alimentaires constituent bien des préoccupations politiques et ce aussi bien pour l’État, pour les pouvoirs locaux que pour les membres de la société civile.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Alain Chatriot, Rezension von/compte rendu de: Marcel Streng, Subsistenzpolitik im Übergang. Die kommunale Ordnung des Brot- und Fleischmarktes in Frankreich 1846–1914, Göttingen (Vandenhoeck + Ruprecht) 2017, 385 S., 2 Abb., 4 Tab. (Kritische Studien zur Geschichtswissenschaft, 221), ISBN 978-3-525-37045-2, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2018/4, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2018.4.57574