La monographie de Franz-Josef Arlinghaus est issue son habilitation à diriger des recherches soutenue à l’université de Kassel en 2006. Pour la publication, les références bibliographiques furent partiellement mises à jour. L’un des objectifs centraux de l’étude consiste à lier les dimensions de l’appartenance aux associations de type corporatif (Mitgliedschaft im genossenschaftlichen Verband) et du conflit (p. 13). Le point de départ de l’analyse est l’hypothèse que dans les sociétés prémodernes, l’inclusion de l’individu dans la société obéissait encore à des formes totalement différentes. D’après cette approche, dans les sociétés dites »modernes«, la participation de l’individu à leur vie publique s’effectue seulement sous forme de divers rôles. En revanche, dans celles de l’époque prémoderne, cette participation eut lieu à travers une association (Verband); l’inclusion fut complète et concerna la personne entière. Suite à cette distinction, à l’époque actuelle, l’exclusion d’un individu de la société ne peut être que partielle, contrairement à la situation médiévale où elle pouvait également être totale (p. 14).
Encadré par une introduction et des conclusions en allemand et en anglais, l’étude se compose de cinq chapitres. Intitulé »Grundlagen« (fondements), la première section présente l’approche méthodique, les cheminements de l’analyse et les sources retenues. Il suit une synthèse sur les différents types de juridictions et tribunaux à Cologne, dont particulièrement le tribunal de haute justice de l’archevêque et les différentes cours de justice et autres instances judiciaires gérées par le conseil urbain (Rat). Le chapitre suivant étudie l’organisation, l’espace, les lieux et le personnel de ces institutions. L’avant-dernier chapitre est consacré aux formes de communication: aux gestes, rituels, formules linguistiques, formes procédurales et au rôle des documents écrits. Cette section thématique se termine par l’analyse de formes manifestes d’exclusion comme le bannissement ou la peine de mort (et ses modes d’exécution).
Avant d’entrer dans l’analyse des sources, après la présentation de l’arrière-plan théorique, l’auteur formule des hypothèses de départ: à cause de la forme particulière de l’intégration totale des individus médiévaux dans la société de leur temps (Vergesellschaftung), le règlement des conflits par la communauté corporative en question (genossenschaftlicher Verband) ne saurait uniquement être conçu comme conflit entre points de vue juridiques opposés. Ainsi, tout conflit poserait automatiquement la question des relations entre les litigeants et la communauté (Verband). Il mettrait en doute leur appartenance à la communauté et la cour de justice deviendrait le lieu de décision privilégié sur cette question fondamentale (p. 44). À un deuxième niveau, le fait que les procès et litiges juridiques sont des procédures de décision sur l’appartenance à la communauté exercerait en même temps une influence décisive sur la procédure et la forme institutionnelle du système de justice et des tribunaux (p. 45). Pour mieux fonder ces hypothèses, en les adaptant à la situation médiévale et au cas de Cologne, Arlinghaus cite les modèles développés par auteurs tels que Max Weber, Otto von Gierke, Georg Simmel, Ferdinand Tönnies, la théorie des systèmes (Systemtheorie) de Niklas Luhmann et les études du sociologue Rudolf Stichweh. Soulignant l’importance des confréries, corporations et associations, il s’appuie notamment aux concepts de coniuratio et de Genossenschaft.
L’étude s’appuie principalement sur les sources suivantes: Schreinskarten et Schreinsbücher (des documents qui revêtirent les fonctions d’une sorte de cadastre, mais qui renfermèrent d’abord également des informations concernant des litiges sur la possession de terrains, d’immeubles, d’héritages, etc.); les décisions du conseil urbain enregistrées dans les Ratsmemorialbücher (à partir du XIVe siècle); dossiers de procès (depuis la fin du XIVe siècle); divers types de documents issus de la vie des corporations de métier et autres sources provenant de l’activité des différentes juridictions.
Parmi d’autres, l’auteur arrive aux conclusions suivantes: longtemps, les lieux où siégeaient les cours de justice furent littéralement ouverts: les procédures avaient lieu en plein air, sur des places publiques, dans des halles non fermées ou »entre les quatre bancs« des bâtiments communaux de Cologne. Au XIVe siècle, le conseil déploya des activités soutenues dans le bâtiment, mais il ne fit aucun effort pour planifier des locaux réservés exclusivement à l’exercice de la justice.
D’après Arlinghaus, ce comportement montre le souci d’ancrer et intégrer pleinement la justice dans l’espace urbain et la communauté des justiciables. Les mêmes principes auraient guidé le choix du personnel judiciaire. Depuis le XIVe siècle, le conseil employa des scribes savants et, au XVe siècle, des juristes savants, mais ils ne devinrent pas membres du conseil, juges ou échevins des tribunaux urbains. L’entrée massive des juristes savants fut un phénomène du XVIe siècle. Selon l’auteur, cette évolution fut liée à la sécularisation de l’université, parce que celle-ci rendait les membres de cette corporation »concurrente« plus acceptable pour le gouvernement urbain. La description détaillée du rôle et de l’essor de la documentation écrite des institutions judiciaires et les études de cas sur le bannissement et ses conséquences comptent parmi les parties les plus intéressantes de l’étude. Finalement, le destin d’un banni dépendait de sa capacité de mobiliser des ressources extérieures à la ville et, surtout, de la »qualité« de ses réseaux sociaux extérieurs. À cet égard, le cas de Johan Mull, qui avait participé aux troubles de 1481/1482 et aux députations de négociation des Gaffeln est très instructif: en 1485, en dépit du fait que son bannissement avait été perpétuel, suite à une intervention de l’empereur Frédéric III, la ville autorisa son retour.
Dans l’ensemble, il s’agit d’une étude très riche et intéressante. Ceci vaut particulièrement pour les passages consacrés aux lieux des juridictions et les modalités et conséquences du recours à l’écrit. Les comparaisons multiples avec la situation dans d’autres villes telles Nuremberg ou Francfort-sur-le-Main fournissent une contribution très précieuse à l’histoire urbaine comparative des villes allemandes. Les thèses sur les relations entre le règlement juridique de conflits, l’inclusion et la Genossenschaft/l’appartenance à la communauté urbaine pourraient stimuler un débat approfondi sur ces enjeux importants de la structuration de la société médiévale.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Gisela Naegle, Rezension von/compte rendu de: Franz-Josef Arlinghaus, Inklusion – Exklusion. Funktion und Formen des Rechts in der spätmittelalterlichen Stadt. Das Beispiel Köln, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2018, 439 S. (Norm und Struktur. Studien zum Wandel in Mittelalter und Früher Neuzeit, 48), ISBN 978-3-412-51165-4, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2019/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59794