»Der geteilte Himmel« (»Le ciel partagé«) est le catalogue d’une exposition qui a eu lieu en 2017 à Essen sur le thème de la coexistence religieuse en Basse-Rhénanie et dans la région de la Ruhr, appréhendée sur la longue durée, à l’occasion des commémorations de la Réformation. L’exposition s’attache à documenter à destination d’un large public l’ancienne tradition de pluralité religieuse plus ou moins pacifique dans cette région, qui fut aussi, précisément pour cette raison est-il parfois argué, un berceau de l’industrialisation à l’échelle mondiale.

Le catalogue reprend le parcours de l’exposition. La moitié de l’espace était consacré à une présentation chronologique de la vie religieuse de la région, de la fin du Moyen Âge à nos jours, l’autre moitié s’attachait à exposer la vie religieuse de manière thématique (la muséographie étant présentée par des modélisations et commentée dans les premiers chapitres). La première moitié du catalogue est la plus intéressante pour un public d’historiens. Au Moyen Âge, la région est touchée par la Devotio moderna. Les réformes luthériennes et surtout calvinistes y prennent pied rapidement, ainsi que les aspirations plus radicales à travers l’anabaptisme.

Vite réprimées (représentation de l’exécution d’Adolf Clarenbach et Peter Fliesteden à Cologne), elles s’installent pourtant dans la durée. La pluriconfessionnalité de la ville de Wesel – qui y gagna son titre de »Vesalia hospitalis« – est illustrée par des coupes offertes par les orfèvres flamands réfugiés au conseil de ville. Photographies de chaires et de bâtiments religieux, d’ustensiles du culte, portraits ou objet du quotidien (vitrail de la famille mennonite des op de Graff à Krefeld) en témoignent. Certains chapitres et couvents sont devenus pluriconfessionnels (Fröndenberg et Clarenberg). Par ailleurs, des parts significatives de la région restèrent catholiques.

La diversité religieuse est soutenue par les autorités politiques. La dynastie de Clèves, qui dirige une bonne partie de la région au XVIe siècle, favorise une voie moyenne (via media). Les princes-archevêques de Cologne étaient général issus de familles politiquement déterminantes à l’échelle européenne, comme les Wittelsbach. Plusieurs d’entre eux, dont un fils de l’impératrice Marie-Thérèse, ont introduit des Lumières catholiques sur le territoire, luttant contre les »superstitions« par des restrictions somptuaires par exemple. Au XVIIe et XVIIIe siècle, la région a été marquée par l’individualisation de la piété: piétisme et mouvances plus radicales s’y manifestent. Les Labadistes installés non loin ont eu une influence (Anna Maria van Schurman, un de ses principaux soutiens, est née à Cologne). Au XVIIIe siècle, Mühlheim an der Ruhr était un centre important du piétisme, et Gerhardt Tersteegen, poète mystique du XVIIIe siècle, y résidait. Une de ses »lettres de sang«, dans lesquelles il se voue au Christ, est reproduite dans le catalogue. Le XVIIIe siècle voit également la société s’ouvrir aux juifs (principalement ashkénazes), représentés par des portraits de Anschel et Rachel Hertz.

La partie concernant l’époque contemporaine présente l’entremêlement de la vie religieuse et des grandes transformations politiques et sociales. Après le passage de Napoléon, marquant dans la région, qui a provoqué une séparation temporaire de l’Eglise et de l’Etat, les rois de Prusse forcent l’unification des Églises réformées et luthériennes, et entrent en conflit avec l’Église catholique dès le milieu du XIXe siècle. Le nationalisme prussien s’appuie sur la vie religieuse. On en voit la marque jusque dans les objets du quotidien (photographie d’un décor de sapin de Noël datant de 1914 affichant un portrait de Guillaume II).

La division des Églises dans leur rapport au nazisme est abordée, mais plus spécifique à la région peut-être est la place consacrée au religieux dans la nouvelle société industrielle, dont la région est un berceau. Les nombreuses médailles, catholiques comme protestantes évangéliques, produites par les associations de travailleurs et de compagnons (Vereine) sont à ce titre parlantes. Après 1945, la vie religieuse rhénane, en particulier protestante, est marquée par l’adoption d’évolutions sociétales: féminisation du ministère, acceptation de l’homosexualité. Les relations entre Église et État peuvent être contestées: l’association d’initiative citoyenne Religionsfrei im Revier projette ainsi chaque Vendredi saint précisément des films interdits ce jour par le gouvernement du Land (»La Vie de Brian« des Monty Python notamment).

À titre informatif, la seconde partie de l’ouvrage est instructive. Toutes les religions pratiquées sont en effet mises, à peu près, sur un pied d’égalité: des livres de chant luthériens en usage au XVIIIe siècle dans la région voisinent ainsi avec des livres de chants et de prières bouddhistes datant de la dernière décennie. Au chapitre des rituels, des cierges luthériens côtoient un sachet de soupe selon une recette coutumière des communautés turcophones pour l’Achoura, un manteau de Torah et un shofar (trompette rituelle) juifs. Des sections mettent bien en valeur des similitudes, comme celle concernant la conversion dans l’usage des lieux de culte: certaines sont devenues des lieux funéraires (l’église Saint-Pie de Wattenscheid), d’autres une maison de retraite, ou une salle polyvalente (»forum« dans l’ancienne église Sainte-Croix de Essen).

Ainsi le volume, de bonne facture et très riche, est intéressant. Toutes les pièces de l’exposition sont mentionnées et accompagnées d’un texte explicatif, mais toutes ne sont pas reproduites. Celles-ci sont diverses, on l’a vu: objets du quotidien, pièces du culte, parfois précieuses – notamment les nombreuses pièces d’argenterie du XVIe et XVIIe siècle, tableaux, pamphlets et ouvrages, quelques bibles, des pièces d’archive manuscrites, parfois rares. L’exposition a ainsi présenté au moins deux lettres autographes de Martin Luther et Philipp Melanchthon, apportant aide et conseils aux communautés réformées de la région.

Si les informations générales n’apporteront rien à qui connaît un peu cette thématique, elles sont à jour et suffisamment bien présentées pour être accessibles à un large public. Les nombreux exemples précis, illustrés et documentés sont précieux et parviennent à mettre en valeur l’articulation de la zone charnière qu’était la Rhénanie du Nord aux grands changements survenus à l’échelle de l’Europe.

L’ouvrage se lit donc à plusieurs niveaux. Au rang des critiques, on peut souligner que l’ordre adopté pour la présentation des pièces manque ici d’une logique qui était peut-être plus évidente in vivo, lors de l’exposition. Par ailleurs, on regrette souvent que de nombreuses pièces ne soient pas reproduites, notamment des documents d’archives dont on aurait aimé avoir le texte. Les éditeurs ont probablement d’excellentes raisons d’avoir effectué ces choix cependant, qu’il s’agisse de droits de reproduction, de place, ou d’intérêt, parfois subjectif.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Mathilde Monge, Rezension von/compte rendu de: Heinrich Theodor Grütter, Magdalena Drexl, Axel Heimsoth, Reinhild Stephan-Maaser (Hg.), Der geteilte Himmel. Reformation und religiöse Vielfalt an Rhein und Ruhr, Essen (Klartext) 2017, 430 S., zahlr. Abb. (Katalog zur Ausstellung im Ruhr Museum 3. April – 31. Oktober 2017), ISBN 978-3-8375-1751-4, EUR 24,95., in: Francia-Recensio 2019/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59803