Cette histoire universitaire de la Bruges médiévale est bienvenue. L'archiviste de la ville Louis Gilliodts-Van Severen (1827–1915) avait dévoilé toutes les richesses des fonds dont il avait la gestion, mais un véritable travail sur les sources peut être daté à partir des années 1950 et a été amplifié par les thèses et autres recherches universitaires. Pour faire le point, Andrew Brown, qui enseigne en Nouvelle-Zélande et qui s’est fait connaître par son étude »Civic Ceremony and Religion in Medieval Bruges, c. 1300–1520« (Cambridge 2010), et Jan Dumolyn, qui enseigne à Gand et s’est fait connaître par sa thèse sur la révolte de Bruges contre le pouvoir bourguignon (»De Brugse Opstand van 1436–1438«, Courtrai, Heule 1997) ont fait appel à vingt historiennes et historiens flamands ainsi qu’à un Américain, spécialistes des questions traitées, et qui ne peuvent être tous nommés dans le cadre restreint de ce compte rendu.
À la suite d’un avant-propos de Marc Boone, les éditeurs placent l’histoire de Bruges qu'ils ont dirigée dans une histoire urbaine totale, incluant les approches économique, sociale, politique, culturelle, technique et imaginaire, la ville étant conçue comme un système à l'intérieur de systèmes de villes, comme un espace distinct d'interaction vécue et vivante, avec une insistance sur l'espace et l'environnement bâti, et ils présentent le contenu de l'ouvrage. Celui est divisé en dix chapitres, avec une césure vers 1300.
Dans le premier, »Origins and Early History« (p. 7–51), est retracée l'histoire du site, à la jonction de la zone côtière et de la Flandre intérieure, depuis les premiers peuplements néolithiques, avec un développement sous les Romains qui construisirent une route et établirent des forteresses. Bruges elle-même n'apparaît dans les sources écrites qu'en 851. On peut supposer qu'elle a tiré parti du déclin de Dorestad au nord-est et elle profita de la création du comté de Flandre après 863, devenant une résidence comtale. Au XIe siècle, elle était devenue une importante place d'échanges.
Les auteurs abordent ensuite le développement du paysage urbain de v. 1100 à v. 1275 (p. 52–85): les bâtiments préexistants du Burg carolingien, de l'église Saint-Donatien et du premier faubourg, l'Oudeburg, se retrouvant au centre de la ville, auxquels se sont ajoutés dans les nouveaux faubourgs les églises de Saint-Sauveur et de Notre-Dame, le monastère d'Eekhout, plus tard les couvents des ordres mendiants et des hôpitaux comme l'hôpital Saint-Jean; des travaux d’aménagement des canaux furent aussi pratiqués, et un port construit à Damme.
Dans »Production, Markets and Socio-economic Structures I: c. 1100–c. 1320« (p. 86–123), sont présentées les grandes lignes de la fortune de Bruges, comme pour les autres villes de Flandre: l’industrie drapière et la création de richesses qui l’a accompagnée. Cela eut un impact sur l’environnement, mais aussi sur la société urbaine, divisée entre élites marchandes et classes laborieuses, avec au milieu les artisans de catégorie moyenne. Durant cette période, Bruges est passée d’un foyer régional d’échanges à un centre international d'affaires.
Les questions plus politiques sont présentées dans »Social Groups, Political Powers and Institutions I: c. 1100–c. 1300« (p. 124–151): les relations avec le comte (présent avec le châtelain, le bailli, l'écoutète), la formation d’une commune, représentée par les échevins, nommés par le comte et dont la fonction à vie est devenue annuelle. Ceux-ci étant choisis dans l'oligarchie urbaine, des conflits ne pouvaient manquer de naître, en 1280–1281, surtout en 1301–1302 (le parti des Lys contre celui du comte, ce dernier étant dirigé par Pieter de Coninck).
Avec »The Urban Landscape II: c. 1275–c. 1500« (p. 152–195), nous revenons à l'histoire du bâti de la ville, qui, grâce à l'achat de droits féodaux, trouve ses limites avec la construction d'un nouveau rempart entouré d’un fossé, et fut divisée en »sextiers« pour mieux la contrôler. Une nouvelle halle sur l'eau, pour mieux recevoir les marchandises, fut élevée à côté de la Vieille Halle et du beffroi, dont les cloches rythmaient la vie institutionnelle et quotidienne. Les marchands étrangers, encore plus présents, et les banquiers s’installèrent dans les quartiers nord, les artisans et les immigrants ailleurs. D’autre part, les édifices religieux furent reconstruits ou modifiés: c'est alors que Notre-Dame reçut sa flèche. La présence de la cour comtale de Flandre ou ducale de Bourgogne laissa son empreinte, notamment avec le Prinsenhof, tandis que les nobles et riches bourgeois se faisaient construire de magnifiques demeures.
La vie socio-économique pour les années 1320–1500 (p. 196–267) est mieux documentée. Le marché brugeois a atteint sa maturité, ce qui est marqué par la prééminence des hôteliers et des marchands, des communautés étrangères mieux organisées, ce qui a entraîné des reconversions économiques, avec un déclin puis un renouveau de l’industrie textile. Durant les deux derniers siècles du Moyen Âge, les institutions ont évolué (p. 268–328): la commune est devenue un corps politique corporatiste avec sa bourgeoisie des puissants (poorterie), ses collèges d’échevins et de la commune, alors que les guildes acquéraient un statut leur permettant de jouer un rôle dans le système politique. L’avènement de la dynastie de Bourgogne modifia les règles, mais durant ces deux siècles la vie politique fut ponctuée de conflits très graves.
Les deux chapitres suivants concernent un temps plus long. Dans les pratiques religieuses, v. 1200–1500 (p. 329–388), les auteurs rappellent la domination de la collégiale Saint-Donatien (détruite à la Révolution) sur les Brugeois et l’importance de la procession du Saint-Sang (en mai), tout en s’intéressant au calendrier des cérémonies, fêtes et commémorations, à l’investissement des laïques et des autorités, aux dévotions particulières, aux confréries, à la place de la religion dans la société urbaine. Avec »Texts, Images and Sounds in the Urban Environment, c. 1100–c. 1500« (p. 389–444), les auteurs offrent des approches très contemporaines sur la littérature et les arts, la production artistique au XVe siècle, les rhétoriciens (Anthonis de Roovere), la création musicale, les réseaux culturels brugeois.
Bruges au XVIe siècle est présentée comme un »retour à la normale« (p. 445–484), à la suite de la défaite de la révolte flamande en 1492, mais ce fut surtout une période de déclin économique face à Anvers, malgré l’importance des industries du luxe et des arts. Dans leur dense conclusion (p. 485–501), les éditeurs situent Bruges dans le paysage urbain médiéval.
Suivent une bibliographie sélective des sources archivistiques, imprimées, et secondaires (p. 502–527), ainsi qu’un index.
Un aussi court compte rendu ne peut rendre justice à toute la richesse de ce livre, dans lequel toujours les auteurs sont soucieux d’évoquer les acteurs de l’histoire de Bruges. Mentionnons toutefois les pages très intéressantes sur l’écologie urbaine, sur le marché de l’argent, sur les foyers et les familles, les femmes dans le marché du travail, les niveaux de vie, la justice criminelle, l’élite politique à la fin du Moyen Âge, le manuscrit Gruuthuse (acheté en 2007 par la Bibliothèque royale à La Haye alors qu’il se trouvait conservé à côté de Bruges), témoin irremplaçable de la vie culturelle vers 1400.
Andrew Brown et Jan Dumolyn sont à féliciter pour ce livre qui s’impose comme un classique non seulement de l’histoire de Bruges au Moyen Âge, mais aussi de l’histoire urbaine médiévale.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Andrew Brown, Jan Dumolyn (ed.), Medieval Bruges, c. 850–1550, Cambridge (Cambridge University Press) 2018, XXII–549 p., ISBN 978-1-108-41965-9, GBP 99,99., in: Francia-Recensio 2019/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59812