Catherine Vincent, dans son introduction, souligne l’intérêt actuel des historiens pour les reliques qui donnent un appui concret à la pastorale et à l’identité des communautés; leur authenticité n’a pas d’importance au regard de la construction intellectuelle qu’elles soutiennent. D’abord corps entiers présentés dans une crypte, les reliques sont très vite fragmentées – tout fragment étant symboliquement le saint entier, bien qu’une valeur particulière soit donnée au chef – et élevées dans des châsses. La Réforme, considérant qu’elles relevaient de la superstition, les a particulièrement visées.

Edina Bozoky distingue plusieurs époques d’inventions et translations; après la fin de l’Antiquité, l’époque carolingienne donne des cas intéressants (Aimon de Saint-Germain raconte en 869 le transport de Valence à Castres de Vincent de Saragosse); puis dans le cadre de la paix de Dieu les sorties de reliques se multiplient. La crise cathare correspond à un vide mais la reconquête catholique se marque en particulier par l’acquisition du corps de Thomas d’Aquin. Jean-Loup Lemaitre rappelle la dette de Bernard Gui envers la chronique de Geoffroy de Vigeois qui signale les reliques du diocèse et permet donc une vision d’ensemble concernant l’ensemble du Limousin. Philippe Cordez présente les objets de mémoire attribués à Charlemagne à l’abbaye de Lagrasse par les »Gesta«, rédigés à une époque de crise au début du XIIIe siècle: l’église (en fait du XIe s.), des objets liturgiques (calice, patène) et surtout une pierre servant à peser le pain ..., les richesses de »La Grasse« sont légitimées par une nécessaire charité.

François Wallerich raconte un exemplum du XIVe siècle: un prêtre découvre à Caussens une hostie et une demi-hostie à moitié changées en chair sanguinolente, sur laquelle apparut le visage du Christ. Le récit qui comporte des motifs anciens se singularise par la présence d’une demi-hostie et la comparaison entre le visage du Christ sur les espèces et la Véronique; il s’agit de répondre à un objectif pastoral, mais sur le plan théologique c’est aussi le reflet des studia franciscains de la région.

Yann Codou souligne que l’Antiquité fournit la plus grande partie des saints évêques provençaux, dont la tombe marque la topographie des cités. Aux XIe–XIIIe siècles, les grands chantiers s’accompagnent d’inventions qui renforcent le lien avec l’antiquité. Ce n’est qu’aux XIVe–XVe siècles que les reliques sont transférées au cœur de la ville dans la cathédrale. Georges Passerat présente les sept reliquaires seuls rescapés de la puissante abbaye Grandselve, fondée en 1114, rattachée à l’ordre cistercien en 1141, détruite en 1793. Les reliquaires contenaient des objets divers (bois de la croix, soieries, ossements …) et l’abbaye cherchait notamment à développer le culte de saints cisterciens (Bernard).

Alain Girard analyse le reliquaire de saint Césaire d’Arles, découvert en 1429, par un pauvre ermite qui dessert la chapelle Saint-Césaire des Alyscamps; la capsa fut confiée aux moniales de Saint-Césaire d’Arles. Ce reliquaire portant les représentations de Césaire et Blaise contient encore pour l’essentiel les reliques de 1429 dans les soieries et les authentiques gothiques. Michelle Fournié et Sophie Brouquet montrent l’évolution du trésor des reliques de Saint-Sernin de Toulouse, géré par la confrérie de la Table des Corps-Saints qui enrichit un trésor surtout connu par des inventaires car de nombreux reliquaires – en particulier les bustes reliquaires – ont disparu. À la fin du XIVe siècle, une »phase apostolique« entraîne le développement du culte de Jacques (attesté vers 1370) et de cinq autres apôtres. Les capitouls très impliqués dans ces cultes se pensent comme un collège apostolique.

Jean-Hervé Foulon analyse les »Miracles de sainte Foy« de Bernard d’Angers (vers 1012) et de ses continuateurs. Conques est un lieu sacré où la sainte est active comme le montrent ses apparitions. La majesté de sainte Foy porte un masque d’or antique de réemploi qui symbolise le visage de Dieu. Fernand Peloux étudie le lien complexe entre reliques et hagiographie car leur vénération n’est pas toujours accompagnée d’un récit. L’iconographie des reliquaires peut prolonger la légende: celui d’Exupère porte des scènes non présentes dans la »Vie« mais attestées au XVIe siècle. Inversement les cathédrales privées de reliques peuvent compenser ce vide en produisant des textes hagiographiques.

Christophe Baillet évoque le cas étonnant de reliques »embarrassantes« et des saints culpabilisants auxquels les monastères confient la défense de leurs libertés. Les reliques de saint Jean-Baptiste à Bazas punissent de mort le vicomte qui a assiégé Bazas. Mais à la fin du XIIIe siècle, la société urbaine se fait plus rétive et à Agen, l’hostilité des bourgeois des chapitres entraîne l’échec d’une tentative de canonisation d’un inquisiteur, voulue par le couvent dominicain. Rafaël Guérin étudie le culte de saint Eutrope de Saintes, attesté comme martyr par Grégoire de Tours et Venance Fortunat. La restauration du culte aux XIe/XIIe siècles s’accompagne d’une »Vie« et de »Miracles«, liés de façon très matérielle au tombeau (exorcismes) et à la basilique (où Eutrope apparaît pour soigner); le nouvel édifice est une halte sur le chemin de saint Jacques et doit attirer les pèlerins.

Michelle Fournié et Laurent Macé reconstituent la dévotion de Simon de Montfort, sensible comme nombre d’aristocrates à l’idée de croisade; il pense sa mission cautionnée par Dieu. Sa piété et celle de son lignage se focalise sur saint Vincent dont les reliques se trouvent à Castres, centre de sa seigneurie. Lucie Laumonier examine les reliques de Montpellier, ville neuve du Xe siècle fondée par les Guillelm, qui eut une forte croissance. À la fin du Moyen Âge, les reliques identitaires sont supposées données par le fondateur; plusieurs donations d’Urbain V s’y ajoutent. Le calendrier consulaire reflète ces dévotions, dans le contexte d’une certaine indépendance liée à l’éloignement de l’évêché.

Dans ses conclusions, Philippe George rappelle la fréquence des échanges de reliques entre le nord et le sud ainsi que l’intérêt des fausses reliques qui répondaient à une demande, ainsi Livarde, sainte barbue et crucifiée.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne Wagner, Rezension von/compte rendu de: Michelle Fournié, Daniel Le Blévec, Catherine Vincent, Corps saints et reliques dans le Midi, Toulouse (Éditions Privat) 2018, 511 et 8 p. de pl., 13 fig. (Cahiers de Fanjeaux, 53), ISBN 978-2-7089-3458-0, EUR 35,50., in: Francia-Recensio 2019/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59826