Fondée au VIIIe siècle, en Hesse, brûlée en 1038, puis reconstruite et à nouveau brûlée en 1761 pendant la guerre de Sept Ans, l’abbaye d’Hersfeld a laissé des ruines qui comptent parmi les ruines médiévales les plus importantes d’Allemagne, à l’égal de celles de Jumièges en France. C’est dans cette abbaye qu’était conservé le plus ancien manuscrit de la »Germanie« de Tacite, du milieu du IXe siècle, emporté à Rome entre 1451 et 1455 puis perdu, heureusement après avoir été copié, à l’exception d’un cahier. Les documents nécrologiques de l’abbaye, qui remontent au XIIe siècle, n’ont guère connu un sort meilleur que la »Germanie« de Tacite. Ce que l’on en connaît vient d’être publié dans le dernier volume (X) des »Libri memoriales et Necrologia« des MGH, le premier texte à partir de copies prises au début du XXe siècle par des érudits, Gustav Konnecke et Karl Eugen Hörger, le second grâce à deux bonnes photographies de son unique feuillet datables de 1932 et des copie des mêmes érudits; le troisième enfin, un calendrier-nécrologe, acéphale, est conservé en original à la bibliothèque universitaire de Kassel (2 Ms. theol. 55, fol. 1v–5v), et peut du coup faire l’objet, en annexe, d’une reproduction intégrale en couleurs.

Les deux plus anciens textes (A et B) s’apparentent en fait à des Libri memoriales. Le premier était conservé sur deux feuillets avec cinq colonnes au recto et au verso du premier et deux colonnes au recto et au verso du second feuillet, le tout rassemblant 600 noms, liste s’ouvrant avec les papes Clément [II], Pascal [II] et Honorius [II], suivis par les empereurs, en commençant avec Charlemagne, Karolus Imperator, en capitales, suivi de Dagobert …, jusqu’à Otton [III], puis les archevêques et les évêques (nos 15–26), les abbés (nos 27–91), puis les clercs, moines, prêtres diacres, acolythes, laïcs, et des noms dépourvus de qualité (nos 92–600), aux fol. 1v et 2rv, mais sans qu’il y ait un ordre strict, ainsi une Agna imperatrix (no 398) entre une veuve et une recluse. On relève aussi quelques mentions analystiques (nos 414–419, 423–426). Les remarques des deux érudits qui ont copié ce texte sont données en apparat critique.

Le second offre une présentation tout à fait caractéristique (un feuillet, recto seul), avec un texte dans ce décor d’arcatures propre à plusieurs Libri memoriales des IXe–XIIe siècles, avec quatre colonnes, dont le voutain des deux premières figure deux couples de religieux en buste (objet de la seconde photographie conservée, avec les premières lignes du texte). La première colonne est réservée aux abbés d’Hersfeld (nos 1–25), de Fulda (nos 26–54), puis à des abbés dépourvus de qualification (nos 55–81). Les colonnes 2–4 renferment des noms en suivant l’ordre du calendrier (nom des mois seuls), présentation assez exceptionnelle, avec cette qualification presbiteri ou diaconi (nos 82–421), les nos 302–322 ayant été ajoutés au bas de la première colonne, pour des raisons de place. La fin de la 4e colonne contient des souverains, es, en commençant avec Constantin, et quelques additions (nos 422–457). On remarque en toute fin de colonne cette notice Gerlahus pr. s(cripsit).

Le troisième texte (C) est un simple calendrier, acéphale (le premier feuillet – janvier-février – manque), accompagné des vers égyptiaques, des termes des fêtes mobiles liées à Pâques, des données zodiacales, mais dépourvue de toute mention liturgique. Il s’agit en fait d’un martyrologe abrégé et non d’un calendrier liturgique comme le laisse entendre l’auteur, avec de un à six saints par jour, dont des groupes de martyrs, sans un seul jour vide, qui aurait mérité une étude spécifique. Le texte dérive pour partie du martyrologe d’Adon, avec des saints introduits par Usuard. Il est très proche pour le fond du martyrologe de Saint-Emmeran de Ratisbonne composé vers 1036 (ms. I 2 2° 8 de la bibliothèque universitaire d’Augsbourg publié par Eckard Freise et Dieter Geuenich en 1986, MGH Libri memoriales, NS, 3).

Les fins de ligne d’un certain nombre de jours sont accompagnées d’obits, 82, généralement limités au nom du défunt, surmonté de sa qualité d(iaconus), p(resbiter), c(on)v(ersus), mo(nachus), ep(iscopu)s, archiep(iscopu)s, abb(as) …, certain noms étant suivis de la mention n(ostre) c(congregationis). On retiendra le 10 janvier Buchartus inclusus, le 9 octobre un Guntherus mo(nacus) heremita. Quelques rares noms d’abbé ou de moines sont suivis de celui de leur maison d’origine, ainsi le 10 mars Cuonradus abbas salu(eldensis) ou le 26 juin Heimo pr(esbiter) et mo(nachus) Hasung(ensis). Ce dernier nécrologe fait l’objet d’une double édition: avec le calendrier, mois par mois, puis noms seuls à la suite.

Une grande partie du volume (p. 95–189) est consacrée au commentaire des noms de personne, texte par texte, en suivant l’ordre d’inscription des noms. Les notices peuvent être parfois assez développées, mais elles se réduisent le plus souvent à une ligne, souvent même suivie d’un point d’interrogation, comme (A 9) »Bezelinus, Priestermonch von? Hersfeld, † 2.1«. Les noms du ms. A se retrouvant pour la plupart dans B, les noms sont suivis dans ce cas de la double référence, les commentaires de B renvoyant au texte de A et ceux de C éventuellement à A. L’annotation renvoie avant tout aux trois volumes de la »Klostergemeinschaft« de Fulda, aux nécrologes de Saint-Emmeran de Ratisbonne, Saint-Michel d’Hildesheim et Tegernsee, publiés dans les deux séries des »Necrologia« des MGH.

L’édition est terminée par deux index: p. 192–197, une liste des »grands«, rois et empereurs, ducs et comtes, papes, archevêques et évêques en suivant l’ordre alphabétique des diocèses concernés, abbés d’Hersfeld, de Corvey, de Fulda, autres abbés, soit 18 abbayes généralement représentées par un seul abbé, neuf abbés n’ayant pu être localisés, enfin liste des batailles (huit). Les pages 198–206 sont consacrées à l’index alphabétique des noms de personne et de lieu.

L’édition est précédée d’une importante introduction codicologique et historique. La présentation de chaque manuscrit – ou des copies qui en conservent le texte –, est suivie d’un commentaire sur les personnes identifiables, plus développé pour le ms. A, d’autant que la plupart des noms qu’il renferme se retrouvent dans les autres. Un simple tableau de concordance aurait suffit pour tous ces noms de défunts dont on sait rien, sinon qu’ils sont peut-être des moines d’Hersfeld, et économisé beaucoup de place.

Il faut bien sûr s’attarder sur tous les noms qui ont pu être identifiés, avec plus ou moins de certitude, principalement ceux de dignitaires, évêques et surtout abbés d’Hersfeld d’abord, mais aussi de Fulda et de Corvey, deux grandes abbayes impériales d’égale importance, à partir d’autres sources, comme les Libri memoriales, les annales nécrologiques de Fulda et les documents diplomatiques et l’on doit bien sûr regretter la perte des annales de l’abbaye d’Hersfeld. On peut approcher ainsi le réseau de confraternité, le réseau mémoriel de l’abbaye, faute de disposer d’actes de confraternités et voir la place tenue notamment par les abbayes de Fulda, Tegernsee, Saint-Emmeran de Ratisbonne, Saint-Michel d’Hildesheim (une carte eut été la bienvenue).

Ces documents nécrologiques ne sont certes pas les plus importants de la documentation conservée en Allemagne, mais leur publication apporte une pierre supplémentaire à la connaissance des réseaux de confraternités monastiques des XIe–XIIe siècles.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Loup Lemaitre, Rezension von/compte rendu de: Elmar Hochholzer (Hg.), Die Necrologien der Abtei Hersfeld, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2018, XVIII–206 S., 38 Tafelseiten, zahlr. Ill. (Monumenta Germaniae Historica. Libri memoriales et Necrologia. Nova series, 10), ISBN 978-3-447-10955-0, EUR 125,00., in: Francia-Recensio 2019/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59836