Le projet autrichien de publication des registres d’Innocent III en arrive à la 14e année du pontificat de ce pape. Le registre original correspondant, contenant les années 13 à 16, est perdu, mais son contenu est connu par le Reg. Vat. 8, une copie faite en 1367 à Avignon, et par une édition donnée en 1635 par François Bosquet, reprise par Baluze en 1682 et par Migne en 1855.

Les huit copistes avignonnais n’ont pas travaillé dans le strict respect du texte de l’original. Bosquet de même a adapté sa transcription aux usages contemporains. De toute façon dans les deux cas la copie est un travail d’équipe, bien que dans le Reg. Vat. 8 la copie de la 14e année soit due à un seul scribe. Celui-ci n’est pas le meilleur. La confusion qu’il fait entre »c« et »s« l’amène à écrire notamment consedimus au lieu de concedimus, sensus au lieu de census; de même il remplace juxta par justa, et confond quidem et quidam. Il fait aussi des erreurs, et ne corrige pas forcément à bon escient, mélangeant nos et vos, quod et quos.

Le contenu des lettres pontificales est évidemment divers. Une grande affaire de la 14e année du pontificat d’Innocent III est la préparation de la campagne militaire qui se soldera, l’année suivante, par la victoire chrétienne de Las Navas de Tolosa. Dès le début de cette année, le pape est en contact avec Alphonse VIII de Castille, ainsi qu’avec l’archevêque de Tolède, pour s’assurer de l’unité des royaumes chrétiens de la péninsule (nos 3–5, 154, 155). On verra aussi la lettre no 56 par laquelle le pape explique à l’archevêque de Tolède que, vu le contexte et l’attaque imminente des forces musulmanes, la question de sa primatie n’est pas vraiment à l’ordre du jour.

La lutte contre Otton IV est un autre enjeu majeur, d’où l’insistance sur l’excommunication de l’empereur (nos 77 et 78). Et lorsque l’archevêque de Naples l’interroge sur l’excommunication qu’il a lui-même jetée sur sa ville du fait de sa fidélité à Otton IV, Innocent III lui répond que les sacrements sont interdits, sauf le baptême des enfants dont le parrain a été excommunié, parce que le baptême est un sacramentum necessitatis.

La lutte contre les hérétiques est une autre affaire importante. Elle passe par la remise en ordre de l’Église méridionale: le pape fait pression sur l’archevêque d’Auch et l’évêque de Valence, pour qu’ils démissionnent (no 32; voir aussi no 33 une nouvelle élection épiscopale à Carcassonne; noter cependant qu’aucun lien explicite n’est fait avec l’hérésie dans aucun de ces actes). Il y a aussi la confiscation des biens du comte, excommunié, de Toulouse (nos 35, 36).

Les affaires d’outremer sont bien sûr toujours d’actualité, avec par exemple l’excommunication du roi de Géorgie (nos 63–65), la correspondance avec le roi d’Arménie (no 67) ou le sultan d’Alep (no 68), l’élection de l’évêque de Nicomédie (no 90) ou du patriarche de Constantinople (no 97), l’intervention en faveur des biens de Sainte-Sophie (no 94) ou d’un prétendant au trône de Chypre (no 104), le rachat du vœu de croisade par Gautier d’Avesnes (no 133) ou la libération de prisonniers chrétiens en Égypte (nos 146–148).

Innocent III se consacre aussi, bien sûr, aux affaires ordinaires, comme la demande de protection adressée par un monastère, les questions d’élections ecclésiastiques, les jugements ...

On relève aussi que le pape confirme les biens d’un laïc, sans doute un personnage d’envergure (no 7) et est saisi en matière matrimoniale par un habitant de Lund (no 121); qu’il intervient dans l’affaire Gautier de Mussy, un chanoine de Langres accusé d’hérésie (no 15); qu’il tente de limiter les péages prélevés au détriment des églises (no 40); qu’il intervient dans les relations parfois houleuses entre Philippe Auguste et son épiscopat (no 51) ou dans l’élection du roi de Norvège (no 72). Une décrétale intéressante: un chartreux qui a involontairement provoqué l’avortement de sa maîtresse peut célébrer la liturgie si le fœtus n’avait pas été baptisé (no 107) tandis qu’une autre lettre dit clairement que le jugement de l’eau froide, du fer chaud ou du duel n’est pratiqué que par les justices laïques et est prohibé par la justice ecclésiastique (no 138).

Plusieurs lettres concernent l’usage de l’écrit. On apprend ainsi que le chancelier du roi de Portugal cherche à éviter de transmettre à son maître les lettres pontificales qui lui déplairaient: il les interprète à sa manière, ou les passe sous silence (no 10). Le scriniarius urbis romain reçoit l’ordre de détruire l’acte de mise en gage qu’il avait confectionné pour l’abbaye des Saints-Cyriaque-et-Nicolas, et la garantie d’être protégé contre toute réclamation. Le tabellionatus est interdit à tous les clercs à partir du sous-diaconat (no 129). Enfin Innocent III protège la ville de Laon contre les excommunications excessives fulminées par l’évêque (no 62).

Doté des habituelles annexes (incipits, citations bibliques, décrétales, destinataires, index nominum), ce volume fait honneur à ses éditeurs, qu’on félicitera pour leur travail.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Andrea Sommerlechner (Bearb.), gemeinsam mit Othmar Hageneder, Till Hötzel, Rainer Murauer, Reinhard Selinger und Herwig Weigl, Die Register Innocenz’ III. 14. Band. 14. Pontifikatsjahr, 1211/1212. Texte und Indices, Wien (Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften) 2018, XCII–312 S., 7 farb. Abb. (Publikationen des Österreichischen Historischen Instituts in Rom. II. Abteilung. Quellen. 1. Reihe), ISBN 978-3-7001-8109-5, EUR 144,00., in: Francia-Recensio 2019/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59846