La Gallia Pontificia, entreprise sous l’égide de la Pius-Stiftung et de l’académie de Göttingen pour dresser un inventaire des actes pontificaux antérieurs à 1198 par des destinataires français (France actuelle), progresse de manière systématique. Du tome III, consacré à la province de Vienne, paraissent, après le premier volume consacré aux destinataires d’actes pontificaux dans l’archidiocèse viennois, les deux volumes consacrés aux diocèses suffragants de Grenoble, Valence, Die et Viviers. La partie suisse du diocèse, également suffragant, de Genève ayant déjà été traité dans le cadre de l’Helvetia Pontificia, la province de Vienne rejoint donc celle de Besançon dans un duo de provinces entièrement traitées par le Göttinger Papsturkundenwerk.
Le plan suivi par Beate Schilling est simple et classique: pour chaque diocèse, après une présentation historique générale, vient pour chaque établissement (évêché, chapitre cathédral, monastères bénédictins, monastères canoniaux, abbayes cisterciennes, monastères chartreux, ordres militaires, clercs, laïcs) une courte monographie et la liste des actes pontificaux connus, avec pour chacun d’eux regeste latin, tradition manuscrite et imprimée, bibliographie et commentaire. »Acte« doit être entendu ici au sens large, plutôt d’»action«, dans la mesure où des actions pontificales qui n’ont pas bénéficié d’écrit juridique, comme les consécrations d’églises, sont également répertoriées.
Les bornes chronologiques sont, en terminus ad quem, l’élection d’Innocent III en 1198; en terminus a quo, les plus anciens actes conservés, qui souvent, pour les évêchés, datent du IVe siècle: ce choix de la longue durée, conforme à celui que Jaffé avait posé il y a un siècle et demi, a l’immense avantage de rendre à l’histoire des églises, en particulier épiscopales, la longue durée qui était la leur, au-delà de notre découpage en grandes périodes ou sous-périodes historiques.
Si plusieurs dizaines d’églises sont traitées dans chaque volume, quelques-unes recueillent davantage d’attention, parce qu’elles ont reçu, ou conservé, davantage de lettres pontificales: les évêchés de Grenoble, Valence, Die et Viviers, les abbayes de la Grande Chartreuse et Saint-Ruf de Valence (déplacée d’Avignon en 1158). À propos de Die, le tome 3 consacre une centaine de pages à la légation du célèbre évêque Hugues de Die. Une nouveauté introduite dans ces deux volumes est le chapitre »Suffraganei«, qui reprend les regestes des lettres pontificales adressées aux métropolitains et à leurs suffragants.
Les deux volumes de Beate Schilling témoignent d’une très large connaissance des diocèses concernés, et sont appelés à rendre d’innombrables services aux historiens. À ceux qui chercheront les lettres pontificales concernant les diocèses de Die, Grenoble, Valence et Viviers: ces répertoires sont remarquablement plus riches que ceux de Jaffé, et évidemment à la fois plus à jour et répondant à des normes plus à jour. Mais aussi à tous ceux qui auront besoin de renseignements sur les sources et la bibliographie concernant les églises de ces diocèses jusqu’à la fin du XIIe siècle. Chaque volume est suivi par un tableau chronologique des actes pontificaux, un autre des actes de cardinaux, légats et juges délégués, un troisième reprenant les documents adressés au pape ou à la curie.
Le contenu des regestes est évidemment d’une très grande diversité. On trouve bien sûr des confirmations générales, des actes relatifs à la propriété d’églises ou à des dîmes, des sentences, des consécrations d’églises ou d’évêques, des excommunications ou des levées d’excommunications, mais aussi des extraits de textes hagiographiques (t. II, p. 109, évêché de Grenoble, no 149: Geoffroy, évêque de Chartres, peut-être envoyé à Innocent II, rend visite à l’évêque Hugues de Grenoble. Ibid., p. 361, Saint-Ruf de Valence, no 423: Pascal II ordonne à Oldegaire, abbé de Saint-Ruf, d’accepter son élection à l’évêché de Barcelone et le libère de son abbatiat). De très nombreux actes perdus sont relevés, ce qui témoigne de l’intensité des recherches archivistiques de Beate Schilling, mais permet aussi de mieux illustrer la diversité des actions pontificales.
Le chapitre consacré à la légation d’Hugues de Die est d’un très grand intérêt, puisqu’il permet de suivre presque au jour le jour l’action de ce légat ultra-grégorien, du moins jusqu’à son accession à l’archevêché de Lyon (pour la suite, voir le volume sur Lyon). Vu l’importance d’Hugues, les sources mobilisées sont très nombreuses, y compris dans la littérature polémique et les écrits historiographiques.
Les dépouillements n’ont pas seulement concerné les archives locales, mais aussi les collections canoniques, comme en témoignent par exemple une décrétale d’Urbain II aux évêques de Gap, Embrun et Die, au sujet des chevaliers jurés (milites jurati) qui voudraient continuer à servir leur seigneur pourtant excommunié (t. III, p. 75–76; évêché de Die, no 87), ou une décrétale d’Alexandre III adressée aux évêques de Grenoble et de Viviers au sujet de laïcs qui, après avoir arrêté ou attaqué des clercs, ne les laissent aller que contre la promesse de rester en paix avec eux, c’est-à-dire de renoncer à toute vengeance, punition ou réparation (t. II p. 118–119, évêché de Grenoble, no 179).
Il y a dans ces volumes beaucoup de répétitions, en particulier avec le premier volume du tome III, consacré au diocèse, et donc au métropolitain, de Vienne. C’est inévitable, de nombreux actes ayant plusieurs destinataires. En revanche, il aurait été possible de mieux distinguer les destinataires, les bénéficiaires et les personnes concernées. Souvent, dans les simples lettres pontificales, les destinataires diffèrent des bénéficiaires, parce que le pape écrit à une personne pour lui demander ou ordonner de veiller aux intérêts d’une autre; les chapitres »laïcs du diocèse« comprennent en fait surtout des actes, ou des actions, dans lesquels les laïcs ne sont qu’indirectement concernés, par exemple parce qu’il s’agit de lutter contre l’action néfaste d’un laïc.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble de ces deux volumes est aussi utile qu’impressionnant. On regrette malgré tout l’absence d’index rerum et nominum ou de liste des incipits de préambules. Et si on se réjouit à la fois du niveau d’exigence et de qualité de ces volumes ainsi que de la conclusion des travaux pour les provinces de Besançon et de Vienne, on s’inquiète un peu de la capacité de poursuivre le projet pour l’ensemble des provinces ecclésiastiques françaises.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Beate Schilling (éd.), Gallia Pontificia. Répertoire des documents concernant les relations entre la papauté et les églises et monastères en France avant 1198. Vol. III: Province ecclésiastique de Vienne. Tome 2: Diocèses de Grenoble et de Valence, Göttingen (Vandenhoeck & Ruprecht) 2018, 459 p. (Regesta Pontificum Romanorum, 2), ISBN 978-3-525-36041-5, EUR 140,00; Beate Schilling (éd.), Gallia Pontificia. Répertoire des documents concernant les relations entre la papauté et les églises et monastères en France avant 1198. Vol. III: Province ecclésiastique de Vienne. Tome 3: Diocèses de Die et de Viviers, Göttingen (Vandenhoeck & Ruprecht) 2018, 362 p. (Regesta Pontificum Romanorum, 3), ISBN 978-3-525-36091-0, EUR 120,00., in: Francia-Recensio 2019/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59849