La question centrale de l’auteure est de savoir comment cerner et évaluer l’importance de la production et de l’exportation de la laine pour la société anglaise au Moyen Âge. Le caractère exceptionnel des sources anglaises conservées pour répondre à cette question lui permet en effet de reprendre ce dossier, et d’élargir le point de vue, trop souvent limité à l’intérêt économique de l’exportation de laine. L’auteure est connue pour ses travaux sur le commerce extérieur, sur la marine anglaise et sur l’histoire de la ville de Calais, point névralgique depuis sa conquête par le roi Édouard III en 1347 – la perte de la ville par la couronne anglaise en 1558 coïncidant avec le déclin du commerce de la laine.

Le livre est composé suivant une logique évidente: d’abord les moutons et leurs laines, ensuite le commerce et son organisation et enfin l’importance des revenus engendrés par ce commerce pour la couronne et sa politique dynastique. Dans un style très agréable à lire, la lecture des sources traditionnelles, comme les admirables (et uniques) séries de comptes des évêchés, des abbayes et de la couronne anglaise, est enrichie par de nombreux témoignages tirés de la littérature et de l’iconographie. Le résultat de ses démarches qui permettent de sonder l’impact culturel et politique de la production et du commerce de la laine est un livre qui se démarque favorablement de la plupart des publications en la matière. Ces dernières se perdent en effet facilement dans une analyse technique des aspects économiques, voire monétaires, qui y sont intrinsèquement liés, mais à laquelle l’analyse d’une activité si fondamentale pour la société anglaise au Moyen Âge ne devrait pas se limiter.

L’auteure maîtrise la littérature scientifique abondante, bien qu’elle se limite trop exclusivement à la littérature anglophone (avec une exception: un article de Georges Bigwood datant de 1930, dans les »Annales d’histoire économique et sociale«, en plus daté erronément en … 1980, p. 208). On peut donc pointer quelques manquements importants dans la bibliographie: concernant la laine et les différences de qualité entre les laines provenant de différents types de mouton, il s’agit du livre fondamental de Dominique Cardon sur la draperie médiévale, datant de 1999.

Et étant donné que les relations commerciales concernant la laine et les draps avec les principautés faisant face à l’Angleterre – et donc en premier lieu le comté de Flandre – restaient tout à fait fondamentales tout au long du Moyen Âge, l’absence du livre de Marie-Rose Thielemans (1966) sur la politique des ducs de Bourgogne, princes régnant sur la Flandre à partir de 1384, suscite un certain étonnement. Cette myopie bibliographique n’est pas le seul témoignage d’une insularité intellectuelle. Mais abordons d’abord ce qui est nouveau et de nature à influencer notre regard sur l’importance de la production et de l’exportation de la laine anglaise. Ainsi, le rôle des institutions monacales de l’ordre de Cîteaux est nuancé, malgré la nature et l’abondance des sources conservées et du témoignage muet de quelques ruines impressionnantes et romantiques à souhait, genre Rievaulx, Fountains, etc.; les cisterciens ne furent pas forcément les grands innovateurs. De plus leur dépendance des avances financières et des prêts de la part des grandes compagnies italiennes aux XIIIe et XIVe siècles est très bien analysée et permet de mieux juger de leur importance.

En revanche, les démarches des commerçants et négociants autochtones pour lesquels la survie des sources est nettement plus aléatoire, mais dont les témoignages en pierre (fondations d’églises, monuments funéraires, etc.) et en manifestations de nature culturelle (investissements spirituels, commandes d’œuvres d’art) aident à combler et à surmonter ce handicap, sont bien mises en évidence et donnent une image globale plus équilibrée. Même constat pour l’évaluation du rôle joué par la royauté, dont la taxation (et une fois de plus les séries de comptes qui en témoignent), la mainmise et le contrôle sur le commerce ont grandement aidé à construire l’image de la laine comme source de richesse pour l’Angleterre.

Cela a incité l’auteure à conclure que dans la gestion de la laine un certain esprit ouvert aux risques commerciaux, et finalement à la conquête économique, s’est développé dans le pays et a affecté toutes les couches de la société anglaise, cet esprit aurait d’ailleurs perduré dans son histoire ultérieure, comme elle suggère dans ses conclusions … Un constat passablement optimiste que l’actualité du Brexit depuis 2016 peut remettre en cause, mais qui surtout néglige le fait que les revenus amassés par la royauté n’ont pas servi à des fins économiques rentables, mais au contraire ont servi à soutenir une politique guerrière et dynastique destructrice de richesses.

La grande inconnue dans cette histoire reste, et l’auteure en est bien consciente, la part de laine indigène utilisée pour alimenter une industrie anglaise de production de draps. La politique économique mise en route par la même royauté, en premier lieu par le roi Édouard III et ses successeurs directs, a fortement stimulé la demande pour la laine indigène en Angleterre avec comme conséquence une diminution de revenus sur l’exportation pour les caisses de l’État. Cette politique est avant tout connue pour avoir attiré un certain savoir-faire continental en la personne des tisserands et foulons flamands établis en Angleterre, dont les recherches en cours de Milan Pajic à Cambridge permettent de mieux évaluer l’importance.

En plus: la concurrence d’autres laines de grande qualité, en premier lieu la laine espagnole des moutons mérinos, est devenue de plus en plus importante vers la fin du Moyen Âge, ce qui a accentué la perte de revenus fiscaux pour la royauté. Sur le continent la substitution de la laine anglaise par celle en provenance de la péninsule Ibérique, s’est manifestée nettement plus tôt que ce qu’une littérature anglophone laisse supposer. Une fois de plus, la fixation sur cette littérature anglophone a trop marqué la vision de l’auteure, dont on doit cependant reconnaître le mérite d’avoir écrit un livre stimulant et équilibré sur l’importance de cette source de richesse incontestable que des millions de moutons ont apporté à l’Angleterre, cette île peu peuplée, littéralement excentrique et marginale, face au continent européen.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Marc Boone, Rezension von/compte rendu de: Susan Rose, The Wealth of England. The Medieval Wool Trade and Its Political Importance 1100–1600, Oxford (Oxbow Books) 2017, XVIII–219 p., 55 fig., 2 maps, 2 tabl., ISBN 978-1-78570-7360, GBP 40,00., in: Francia-Recensio 2019/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.59854