L’ouvrage collectif consacré aux penseurs et hommes politiques Karl von Rotteck (1775–1840) et Carl Theodor Welcker (1790–1869) est majoritairement issu des communications faites lors d’un colloque organisé en 2016 à l’université de Fribourg-en-Brisgau sous l’égide de la Friedrich-Naumann-Stiftung et de la Reinhold-Maier-Stiftung. Les directeurs de publication proposent, dans ce livre, une somme synthétique sur deux acteurs importants de la structuration d’un discours politique libéral dans la période du Vormärz.

C’est ce que Jörn Leonhard souligne dans sa contribution, en inscrivant leur œuvre et leur action dans le contexte de la première moitié du XIXe siècle. Il montre notamment que ce qui caractérise des libéraux allemands comme Rotteck et Welcker, c’est le fait qu’ils ne se réfèrent pas à des traditions de pensée linéaires, enracinées dans l’héritage des Lumières, mais qu’ils peuvent aussi faire preuve de positionnements ambivalents, entre coopération et opposition à l’égard du pouvoir en place (p. 30). Ces positionnements ont pu déboucher sur des réactions répressives de la part des autorités. Universitaires engagés dans la vie politique du Grand-Duché de Bade, tous deux professeurs à Fribourg-en-Brisgau, Rotteck et Welcker ont été contraints par les autorités à prendre leur retraite de manière prématurée. Défenseurs de la liberté de la presse, ils ont participé à la fondation du quotidien »Der Freisinnige«, qui a été interdit en 1832 (voir à ce propos l’article de Roland Gehrke).

Malgré les parallèles qu’il est légitime de dresser entre les deux personnalités, le volume a aussi pour objectif de mettre en évidence les différences qui existent entre eux. Hans-Peter Becht compare notamment le rôle parlementaire que chacun a exercé: alors que Rotteck est décrit comme un professeur qui fait de la politique, Welcker apparaît plutôt comme un homme politique de métier, comme un acteur libéral qui est déjà à l’aise avec les codes du parlementarisme et de la communication politique. C’est à ce titre qu’on s’intéresse tout particulièrement à ce dernier en tant que député.

Les contributions d’Eva Maria Werner avec Leonardo Costadura ainsi que de Frank Engehausen portent sur l’expérience de Welcker au parlement de Francfort pendant la révolution de 1848–1849. Ces recherches montrent à quel point Welcker est perçu comme une référence dans les cercles libéraux. Engehausen montre notamment l’influence de Welcker sur la décision, en mars 1849, de privilégier, pour les perspectives d’unité, la solution de la »petite Allemagne« sous la conduite de la Prusse.

La deuxième section de l’ouvrage collectif qui leur est consacré concerne les activités des publicistes Rotteck et Welcker et relève plus particulièrement de l’histoire des idées. Cette orientation se retrouve clairement dans l’étude de l’œuvre de référence qu’on doit aux deux professeurs. En effet, ils se sont associés entre 1834 et 1843 pour diriger l’édition des 15 volumes du »Staats-Lexikon«, qui s’est imposé comme »un forum central« (p. 9) pour le débat politique des années 1830 et 1840. Le relevé par mots-clés de la totalité des articles parus dans le »Staats-Lexikon«, réalisé par Helga Albrecht, est, à cet égard, un outil précieux et pourra nourrir des projets de recherche ultérieurs (p. 159–212). C’est également Helga Albrecht qui montre, dans son article consacré à cette œuvre, comment Rotteck et Welcker ont entrepris de promouvoir l’idéal d’une monarchie constitutionnelle, refusant le concept de constitution octroyée pour mieux défendre le principe d’un accord entre le souverain et la représentation populaire (p. 154).

Dans le même esprit, il faut retenir la contribution de Rainer Schöttle qui livre une analyse approfondie et exhaustive de la théorie de l’État chez Rotteck et Welcker. Malgré leurs points de divergence, l’un comme l’autre ont cherché à élaborer une démarche scientifique pour cerner les mutations socio-politiques que connaît la période, pour redéfinir le rôle de l’État et pour conceptualiser le fait que beaucoup d’Allemands aspirent à une plus grande participation aux choses publiques et à la prise de décision politique.

Dans la mesure où les contributions concilient la reconstitution des parcours de Rotteck et Welcker, leur inscription dans le contexte du Vormärz et la mise en perspective de leurs activités et de leurs conceptions scientifiques, l’ouvrage collectif représente une entreprise réussie qui fera date dans les recherches sur le libéralisme allemand. Les références bibliographiques, sélectionnées pour chaque article, forment un ensemble cohérent qui livre un bilan exhaustif des travaux réalisés dans ce domaine.

Sans occulter les insuffisances et les contradictions du mouvement, les différents auteurs parviennent à démontrer, à partir de ces deux cas emblématiques, que les libéraux ont su, à travers l’usage des médias et leurs activités scientifiques et parlementaires, favoriser l’émergence d’une pensée politico-juridique et d’une culture du débat tournées vers la réforme de l’État et vers une redéfinition des rapports entre souverains et sujets. De ce point de vue, l’ouvrage collectif édité par Hans-Peter Becht et Ewald Grothe participe à une relecture positive du libéralisme dans la première moitié du XIXe siècle, qui incite à remettre en question la thèse, toujours répandue dans l’historiographie, d’un échec total des libéraux allemands pendant cette période.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Tristan Coignard, Rezension von/compte rendu de: Hans-Peter Becht, Ewald Grothe (Hg.), Karl von Rotteck und Karl Theodor Welcker. Liberale Professoren, Politiker und Publizisten, Baden-Baden (Nomos) 2018, 247 S. (Staatsverständnisse, 108), ISBN 978-3-8487-4551-7, EUR 44,00., in: Francia-Recensio 2019/1, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.60003