Dans son ouvrage »No Easy Occupation«, Bronson Long publie le résultat de ses recherches de doctorat, effectuées à l’Indiana University Bloomington, portant sur la présence française en Sarre de 1944 à la »petite réunification« avec l’Allemagne en 1957. Bien que les études sur l’occupation française en Sarre soient nombreuses en France et de surcroît en Allemagne, ces recherches n’ont été que rarement traduites en anglais et intégrées dans les études anglophones. »No Easy Occupation« a donc tout d’abord le mérite d’offrir une lecture attentive des recherches effectuées en France et en Allemagne sur l’histoire de la Sarre et d’en élargir la réception aux pays anglophones.

Grace à son excellente connaissance de la littérature française et allemande sur le sujet, Long insère ses propres réflexions dans les débats historiographiques actuels et apporte réestime à la hausse des facteurs politiques ayant incités les Sarrois à choisir pour le rattachement à l’Allemagne en 1955. Dans son ouvrage il s’intéresse avant tout à la question de savoir pourquoi la politique des autorités françaises et sarroises de faire de la Sarre un territoire séparé du reste de l’Allemagne a échoué. À cette question, Long répond en mettant en avant le fait que Gilbert Grandval et Johannes Hoffmann ont basé leur politique sur la peur d’un retour de l’autoritarisme et du militarisme prussien ainsi que d’un nationalisme extrême, qui, selon Long, avaient disparu depuis longtemps (p. 10).

Il oppose à cette politique celle de Robert Schumann et Konrad Adenauer qui s’encrait dans le présent (contexte de guerre froide) et poursuivait des objectifs sur du long terme (réconciliation franco-allemande, intégration européenne). Selon l’auteur, la création d’un État sarrois, indépendant de l’Allemagne était »surréaliste« et »trop ambitieux«. Défendant cette thèse, Long met en avant les divergences entre les visions et idées de Gilbert Grandval et celles des autorités françaises telles qu’André François-Poncet et Robert Schumann. Il dresse alors un tableau nuancé des relations entre autorités politiques de Paris et Bonn d’une part et de Sarrebruck (Grandval et Hoffmann) d’autre part.

En outre, il étudie les effets de cette politique contradictoire sur les sentiments des Sarrois vis-à-vis de la France et donc de leur positionnement lors du referendum de 1955. Sur ce dernier point, Long défend l’idée qu’en 1955 les Sarrois perçoivent la France comme un oppresseur, qui voit une extension de son empire par le biais de son influence en Sarre et pense à son bien personnel plutôt qu’à une réelle construction européenne. Cette vision est due principalement selon lui à la persistance du contrôle économique et politique français en Sarre de 1945 à 1955, aux événements liés à l’impérialisme français en déclin (guerres d’Indochine et d’Algérie) et à l’échec de la Communauté européenne de défense (CED).

Écrit de manière claire, cohérente et convaincante, ce livre suit une structure chronologique en trois parties: la première partie rend compte de l’occupation militaire (1944–1947), la seconde du processus de création d’une Sarre autonome (1947–1952) et enfin de la perte d’influence française sur le territoire sarrois (1952–1957).

La première partie de l’ouvrage (1944–1947) offre un bilan positif de la reconstruction de la Sarre par les forces d’occupation françaises, aidées par l’envie des Sarrois de créer de nouveaux liens avec la France. Selon Long, la politique de Grandval se définit dans ces années d’immédiate après-guerre par la dénazification, la démocratisation et la déprussianisation de la Sarre. Ceci passe également par la culture (sport, religion, éducation). Long défend dans cette partie l’idée que déjà, la politique de Grandval était en partie anachronique dans sa volonté de déprussianiser la Sarre.

La seconde partie est dédiée aux années de construction d’une Sarre autonome de 1947 à 1952. Elle traite plus en profondeur des aspects par lesquels Grandval et Hoffmann désiraient en faire une nation à part entière avec notamment la mise en place de la »pénétration culturelle« au niveau scolaire et universitaire (création de l’université de la Sarre en 1948) afin de séparer culturellement la Sarre du reste de l’Allemagne. D’autres aspects sont analysés dans cet esprit comme les disputes pour créer un diocèse en Sarre ou bien encore l’utilisation du sport, et notamment du football, comme moyen d’influence sur les sentiments d’appartenance nationale des Sarrois. Avec succès, Long réussit dans tous ces domaines à mettre à jour les intérêts concurrents entre Grandval et ses opposants divers et ainsi expliquer l’histoire complexe de la politique française en Sarre et des tensions qui s’y créent.

Enfin, dans sa troisième partie, Long montre bien le revirement de l’opinion sarroise en faveur de l’intégration à l’Allemagne. En évoquant tout d’abord les réticences culturelles à travers la religion et le sport, Long en vient à la conclusion qu’en 1955 la politique culturelle française a complètement échoué en Sarre, les Sarrois maintenant une relation forte avec la culture allemande. La Sarre était, selon Long, un »Ètat sans nation« (p. 182). Il se tourne dans ce chapitre sur le processus de création d’un territoire européen et le changement d’attitude des Sarrois vis-à-vis de la France qu’il positionne autour du printemps 1955. Pour Long, le résultat négatif du referendum (67,7% des Sarrois votent contre le statut européen) reflète une position antifrançaise influencée par la situation économique florissante en Allemagne de l’Ouest (en contraste avec les problèmes coloniaux et économiques français), l’échec de la CED et les campagnes virulentes des pro-allemands, alliés dans le Heimatbund.

»No Easy Occupation« offre aux lecteurs une très bonne étude portant sur l’influence française en Sarre de 1947 à 1955. Long a su donner une vision complète et précise de l’état actuel de la recherche et y ajouter ses propres réflexions et expertises. Au-delà de l’ouverture au monde anglophone qu’elle promet, cette étude apporte un tribut important aux border studies, à l’histoire de la Sarre et l’histoire franco-allemande.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Maude Williams, Rezension von/compte rendu de: Bronson Long, No Easy Occupation. French Control of the German Saar, 1944–1957, Rochester, NY (Camden House) 2015, XII–256 p. (German History in Context) ISBN 978-1-57113-915-3, GBP 60,00., in: Francia-Recensio 2019/1, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.1.60213