Collègues et anciens étudiants se sont réunis pour rendre hommage à Claude Andrault-Schmitt, professeur d’histoire de l’art émérite de l’université de Poitiers, par un riche et épais ouvrage de plus de 500 pages, où l’histoire et l’histoire de l’art sont traversées de fécondes réflexions. Tout au long de sa carrière, le monument médiéval a été au cœur de ses parcours et de ses propres interrogations, qui ne sont pas limitées aux formes ou aux techniques des constructions. L’amorce de l’ouvrage touche d’emblée la contextualisation de ces constructions monumentales avec cinq contributions entrant par différentes portes dans le champ historique auquel n’échappe pas le monument.

C’est le cas d’une critique de sources réalisée par Jean-François Boyer, à propos de la donation d’un monastère replacée sous Charles Chauve et pouvant correspondre à la structuration du temporel de la nouvelle abbaye Saint-Martial de Limoges, objet d’attention des archéologues, justement pour sa chronologie. Luc Bourgeois vise une dimension plus spatiale du contexte afin de comprendre les relations entre le grand domaine des évêques de Poitiers et les châtellenies concurrentes aux Xe–XIe siècles. Édina Bozoky s’applique à retrouver les marqueurs de l’histoire dans la »Chronique de la Novalèse«. Enfin, deux figures prennent place dans cette approche contextuelle, celle d’un cardinal, Pierre de Mortemart (début du XIVe siècle) par Anne Massoni, et celle de l’abbé érudit limousin Martial Legros à propos des »Heures de Catherine Gentille«, conservées à Chicago.

Les parties suivantes tournent autour de préoccupations plus monumentales: »De l’archéologie monumentale à l’archéologie du bâti« (fortement représenté avec douze contributions), »Les ordres réformés« (six articles) et »Le décor monumental« (huit articles). Ces directions reflètent bien les grandes orientations de Claude Andrault dans ses propres apports à la recherche, qu’ils soient synthétiques ou monographiques, comme ses nombreuses contributions aux Congrès archéologiques de France.

Le premier chapitre, »De l’archéologie monumentale à l’archéologie du bâti«, ouvre sur un domaine familier à Claude Andrault, introduit ici par Nicolas Reveyron dans une de ses réflexions méthodologiques que l’on lui connaît bien. À travers la notion de forme, l’auteur déploie sa construction rythmée en terme savant sur la morphogenèse, conduisant vers les notions de copie et de transmission, c’est-à-dire à des nœuds bien connus des historiens de l’architecture, nœuds que l’archéologie du bâti a ces derniers temps desserrés et qui n’apparaissent pas cependant en tant que tels. Éric Fernie fonde également son hommage sur le terrain méthodologique avec une approche plus classique basée sur une réflexion sur le module. Il distingue ainsi trois types: la grille, avec le cas d’Aix-la-Chapelle par Leo Hugot ou du plan de Saint-Gall par Walter Horn, l’utilisation géométrique de la racine carré de deux, appliquée à la cathédrale de Norwich, et l’approximation en nombre entier de la racine carré de deux, avec le dôme du Panthéon ou Sainte-Sophie. Ces observations sur la démarche des constructeurs lui inspirent cinq raisons pour expliquer ces choix, la plus importante relevant du résultat esthétique, déjà expérimenté longtemps avant par les Grecs dans la représentation du corps humain.

Viendraient ensuite la notion de stabilité, logiquement recherchée, puis la symbolique du nombre, amplement documentée. L’auteur rappelle, par ailleurs, que les nombres irrationnels avaient une grande importance dans la culture gréco-romaine. En dernier lieu, il retient la force de la tradition qui encourageait les constructeurs à suivre les mêmes formules validées par le temps.

Présente sur le terrain de l’architecture et autre grande figure du CESCM de Poitiers, Marie-Thérèse Camus se devait d’être de la partie avec une autre approche de l’architecture sous sa dimension archivistique. La découverte des dessins de Fernand de Dartein, plusieurs fois présentée par l’auteur, montre toute leur importance pour l’archéologie et l’analyse structurelle du bâti roman italien. Cette fois, l’auteur choisit de mettre l’accent sur les problèmes soulevés par les chevets, avec l’exemple de Saint-Carpophore de Côme, que Dartein étudiera dans les moindres détails entre 1861 et 1882.

Suivent plusieurs applications du regard contemporain sur l’architecture médiévale, dans la lignée des études approfondies de Claude Andrault-Schmitt. C’est ainsi que Tancredi Bella nous livre une belle étude, encore en cours, sur la cathédrale romane de Catane avec des éléments inédits, que Patrick Bouvart explore la cathédrale de Saintes avec de nouvelles hypothèses, ou que Bénédicte Fillon-Braguet s’attarde sur l’église Saint-Denis de Doué-la-Fontaine pour montrer les contacts entre les chantiers angevins et ceux du Poitou.

Pierre Martin prolonge et approfondit les interrogations du récipiendaire sur l’architecture limousine en proposant un nouveau phasage de l’église Saint-Georges de Tarnac (Corrèze). Avec les contributions d’Yves Gallet et de Markus Schlicht, ce sont les maîtres d’œuvre, et non des moindres (Pierre de Montreuil et Jean de Dammartin), qui font l’objet de questionnements. Aux mêmes réflexions sur l’identité appartient la contribution de Christian Remy, qui, dans un article très fouillé, donne corps, si ce n’est visage, aux commanditaires. Xavier Lhermite, en s’attachant à comprendre l’embellissement du chevet de Saint-Martial de Limoges au XIVe siècle, comme réponse à la reconstruction de la cathédrale, ou Thomas Rapin, à propos des constructions des contemporains de Jean de Berry à Poitiers du fait d’artistes talentueux, sont autant de réponses à d’autres interrogations.

Les ordres reformés, chers à Claude Andrault, sont revisités à travers des approches également variées, tel le fameux chevet dit »bernardin«, dont Philippe Plagnieux parcourt les formulations pour plusieurs sites en soulignant les problèmes chronologiques. Robert Chanaud s’appesantit lui sur l’ordre de Grandmont et sa première crise à travers les sources, tandis que d’autres sites monastiques sont éclairés par des analyses archéologiques, comme la salle des moines de l’abbaye de Fontdouce par Fabrice Mandon et Éric Normand, les ailes occidentales de la Clarté-Dieu par Patrick Tournadre, avec une chronologie reprécisée et de nouvelles interrogations stimulantes sur les fonctions des espaces.

Fontevraud est également présent, avec une présentation par Daniel Prigent de Saint-Lazare et Saint-Benoît dans le contexte du premier gothique de l’Ouest. C’est une étude plus technique et néanmoins précieuse que livrent Cécile Lagane et Mathieu Linlaud sur l’armoire d’Aubazine, resituant son élaboration plutôt au XIVe siècle selon la serrurerie. Le décor monumental est introduit par un ensemble de réflexions de John Mc Neil sur »Romanesque sculpture in England and Aquitaine«, tandis qu’Éric Sparhubert centre son propos sur l’autel de marbre de la cathédrale de Limoges et les légendes qui s’y rapportent.

Éliane Vergnolle traverse la France pour mettre en évidence un portail oublié du premier art gothique à Gigny (Jura). Yves Blomme révèle des anges musiciens sculptés à Marsilly, et Claudine Landry un Jugement dernier méconnu à Saint-Hilaire de Poitiers. Enfin, trois articles de réflexion clôturent l’ouvrage avec les choix esthétiques face au gothique international au palais royal de Barcelone par Eduardo Carrero Santamaria, le programme statuaire de Jean de Berry comme manifeste politique au palais de Poitiers par Diane Joy, et une étude très poussée entre techniques et dimensions religieuses sur les sens visuels et acoustiques au Moyen Âge par Christian Freigang à propos des cloches, sons et clochers. Ces trois derniers parcours illustrent parfaitement la variété des préoccupations longtemps développées par Claude Andrault-Schmitt, que l’on peut également mesurer à travers la bibliographie qui termine ce bel hommage.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Christian Sapin, Rezension von/compte rendu de: Marcello Angheben, Pierre Martin, Éric Sparhubert (éd.), Regards croisés sur le monument médiéval. Mélanges offerts à Claude Andrault-Schmitt, Turnhout (Brepols) 2018, 522 p., 120 ill. en n/b, 60 ill. en coul. (Culture et société médiévales, 33), ISBN 978-2-503-55574-4, EUR 100,00, in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62778