Jean-François Boyer, docteur en pharmacie et docteur en histoire, chercheur associé au CRIHAM (EA 4270) de l’université de Limoges, publie une version légèrement remaniée de sa thèse de doctorat préparée et soutenue sous la direction de Philippe Depreux le 3 juin 2015.

Comme le titre l’indique très clairement, ce travail a pour but de comprendre l’organisation de l’administration locale en Aquitaine au haut Moyen Âge, et plus particulièrement du VIIe au Xe siècle, en la replaçant dans son contexte.

Comme chacun le sait, il y a autant d’Aquitaine que d’historiens de l’Aquitaine. Celle de Jean-François Boyer correspond au Poitou, à la Charente, au Périgord et au Limousin, s’autorisant également quelques élargissements ponctuels à l’Auvergne et au Berry voisins. Le territoire est vaste, le corpus l’est tout autant. L’auteur tire profit d’une source exceptionnelle, parfois restée peu étudiée: les trientes. Les tiers sous d’or aquitains, produits entre la fin du VIe et la fin du VIIe siècle ne sont pas, en effet, de simples monnaies d’échange classique, car les multiples noms de lieux et de monétaire qui y sont inscrits témoignent d’une administration des territoires. Les lieux d’émission correspondent à des recettes fiscales tandis que les monétaires, en tant qu’agents administratifs en charge de la collecte, agissent au sein des vici.

L’intérêt principal de cette thèse réside dans la fine étude que son auteur livre sur ces districts administratifs, hérités de l’Antiquité. À l’appui de sources écrites, l’auteur en dresse la nature, en pense le mode de fonctionnement et en établit les lignes d’évolution. Le résultat de cette enquête est impressionnant, solidement établi et d’une érudition tout à fait remarquable.

Si Clothaire II avait unifié le regnum Francorum, l’Aquitaine a commencé à échapper au pouvoir de la dynastie mérovingienne, car les ducs et comptes perçoivent les revenus fiscaux en jouissant d’une large autonomie. Charlemagne érigea l’Aquitaine en un regnum qu’il confia à Louis le Pieux. Pour seconder les comptes, le nouveau pouvoir carolingien met alors en place des vicarii, affectés au niveau vicinal. Peu après, les vicariae apparaissent avec à leur tête le vicarius. Cet acteur, choisi parmi les notables de la communauté, est un véritable relai entre le comte et les habitants.

En dressant les contours de cette administration locale, l’auteur démontre le point d’appui central qu’ont été les vici mérovingiens. C’est sur leur base que les vicariae carolingiennes apparaissent. C’est également sur cette même base que la matrice des grandes paroisses a pu être mise en place par le pouvoir épiscopal dans les cités.

L’auteur démontre également, à l’aune d’une relecture des sources, l’importance qu’a pu jouer Limoges dans l’Aquitaine du IXe siècle, cité où un roi fut sacré et un palais royal construit.

La mise en lumière de cette géographie du pouvoir accorde également une large place aux rouages discrets de l’administration qui jusqu’ici restaient peu connus. Le vicarius apparaît alors comme un acteur majeur, agissant au plus près des justiciables dans diverses fonctions (fiscales, judiciaires, etc). Artisan du pouvoir et rouage essentiel, ce personnage d’ordinaire effacé dans les sources est ici décrit sous toutes ses facettes. L’auteur n’hésite pas à interroger les actes diplomatiques et à s’intéresser aux noms des vicarii qui y apparaissent en proposant de nouvelles grilles de lecture, fondées en partie sur l’ordre d’apparition des noms.

L’auteur accorde également une large place à l’entourage du vicarius: les scribes qui gravitent autour de lui, mais également le judex, etc qui sont autant d’agents subalternes.

L’ouvrage est assorti de très belles annexes: un examen critique des listes de trientes mené pour chaque cité, une liste des lieux d’émission, des cartographies de monétaires, d’archiprêtrés, de listes de circonscriptions (pagi, conditae, vicariae) et de curtes, quintae, etc. assorties de proposition d’identification des lieux, mais également d’une prosopographie des vicarii et subvicarii.

S’intéresser à l’Aquitane altimédiévale revient à se confronter à des sources disparates, mal datées, mal localisées et parfois mal éditées. L’auteur, fin connaisseur du terrain, n’hésite pas à relire quelques-unes des datations et localisations de l’historiographie antérieure et à proposer de nouvelles hypothèses.

Par cet ouvrage, l’intérêt pour l’administration locale carolingienne est renouvelé. L’historien comme l’historien du droit y puisera de précieuses informations sur les rouages intermédiaires des sphères de pouvoir et sur les circonscriptions altimédiévales. Il y trouvera également un guide pour de recherches futures dans ce domaine.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Jean François Boyer, Pouvoirs et territoires en Aquitaine du VIIe au Xe siècle. Enquête sur l’administration locale, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2018, 967 p., 103 ill. (Hamburger Studien zu Gesellschaften und Kulturen der Vormoderne, 2), ISBN 978-3-515-11859-0, EUR 149,00., in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62790