Detlev Ellmers, professeur et directeur du Deutsches Schifffahrtsmuseum de Bremerhaven, publie un recueil de neuf articles portant sur l’histoire de la Hanse allemande et de la navigation en Europe du Nord. Ces articles sont de longueur très variable: le plus court fait quatre pages et le plus long deux cent dix. À une exception près, tous sont écrits en allemand.

On passera rapidement sur les huit derniers articles, qui traitent de questions variées liées à la navigation dans les mers du Nord et Baltique: l’orientation à l’aide de l’étoile du Nord et la diffusion de la boussole; les grues portuaires; la vie quotidienne à bord des »cogues« hanséatiques et les techniques présidant à leur construction. L’un des articles est en fait la recension de l’ouvrage dirigé par Klaus Brandt sur le port de Hollingstedt1. La plupart de ces textes ont déjà fait l’objet d’une publication.

Le principal essai, qui occupe la moitié du volume et lui donne son titre, est en revanche inédit. Il traite des origines de la »Hanse des marchands allemands«, et permet à l’auteur de revenir en détail sur une question importante et très débattue – à laquelle il avait déjà consacré un article paru en 19852 –, pour prendre position vis-à-vis des nombreux renouvellements historiographiques qu’elle a connus depuis trois décennies. Cette position s’apparente bien souvent à un rejet total. L’essai se présente d’emblée comme une réponse aux travaux de Carsten Jahnke, auteur de quatre articles parus entre 2008 et 2014 et qui ont »remis en question d’anciennes thèses, sans toutefois parvenir eux-mêmes à donner une définition plausible de la Hanse« (p. 3).

Il ne s’agit donc pas d’une synthèse facile d’accès: l’auteur s’adresse à des lecteurs connaissant parfaitement l’état des sources et de la recherche. Aussi ne laisse-t-il aucune place au contexte politique et socio-économique, qu’il n’évoque au mieux qu’allusivement. Les repères chronologiques sont noyés dans un discours très polémique, qui insiste sur les continuités bien plus que sur les évolutions. Des travaux certes contestés de Detlef Kattinger sur l’association des Allemands fréquentant Gotland, l’auteur ne retient que les aspects les plus conservateurs. Les observations de Volker Henn sur les débuts du comptoir hanséatique de Bruges sont balayées. Celles de Thomas Behrmann sur la progressive mise au point du protocole d’assemblée (Rezess) comme genre documentaire à part entière sont tout simplement ignorées.

L’essai s’articule autour de sept chapitres. Detlev Ellmers commence par exposer sa méthode et ses sources (I), avant de passer en revue les différentes acceptions médiévales du terme »hanse« (II). Si les titres des trois chapitres suivants (III–V) laissent attendre un traitement chronologique, ils visent avant tout à expliquer la profusion de termes se rapportant de près ou de loin au commerce »hanséatique«. Multipliant les sauts dans le temps, l’auteur s’efforce de montrer que cette diversité cache une organisation unique et cohérente: il se tient en cela à son postulat »que toutes les différentes dénominations de soi renvoient toujours à la Hanse des marchands allemands« (p. 32).

Le chapitre consacré à la »mutation de l’organisation commerciale« (VI) revient sur l’évolution que l’auteur décrivait dans son article de 1985: la Hanse allemande serait née de l’association jurée des marchands frisons et saxons, actifs dans le commerce maritime, avec les marchands westphaliens, qui privilégiaient jusqu’alors les voies terrestres et fluviales. À la faveur d’un processus de sédentarisation au cours du XIIIe siècle, les propriétaires de navires auraient ensuite été progressivement subordonnés aux marchands établis, qui réalisent depuis leur bureau des transactions d’une complexité croissante. Un dernier chapitre (VII) décrit enfin le fonctionnement de la Hanse en étudiant successivement ses villes intérieures, ses villes maritimes et ses comptoirs.

La démonstration appellerait de nombreux commentaires. On regrette tout d’abord qu’elle n’ait pas été davantage mise en perspective. Les nombreuses sources mobilisées sont rarement replacées dans leur contexte et donnent l’impression que rien n’a changé entre le XIIe et le XVIe siècle. Certes, le chapitre VI insiste sur quelques apports décisifs des XIIe et XIIIe siècles; mais ceux-ci ne mettent que mieux en valeur la permanence de l’ensemble. Car en l’étudiant en isolat, il s’agit bien de montrer que »les marchands concernés étaient depuis le début (van oldest int erste) continuellement conscients que cette association était une Hanse, quand bien même le mot Hanse […] n’apparaît qu’en 1358 dans leur manière de se désigner« (p. 91).

Or, cette thèse repose sur une méthode souvent biaisée. L’auteur a beau regretter d’emblée que les historiens de la Hanse ont la »mauvaise coutume« de ne pas prendre suffisamment les sources à la lettre (p. 4), lui-même ne se prive pas de les interpréter parfois très librement. En traduisant in stede, de in des copmans rechte syn par »in Städte, die nach des Kaufmanns Recht organisiert waren« (p. 93), il commet un grave contresens. L’expression, qui se trouve dans les statuts des marchands allemands de Novgorod, ne désigne pas les villes soumises à un quelconque »droit du marchand« (dont la nature et la teneur demeureraient à définir), mais les villes incluses dans les privilèges de la Hanse à Novgorod.

Detlev Ellmers souligne que la très courante expression de ghemene kopman – »le commun marchand« –, qui désigne la Hanse, a souvent été traduite par »der allgemeine Kaufmann«, alors que l’adjectif »gemeinsame« aurait été plus juste (p. 50–55). Cette traduction est donc systématiquement utilisée pour rendre le latin communis mercator, mais aussi les tout aussi courants uniuersi mercatores et omnes mercatores. Cette méthode, qui permet de voir la Hanse partout, fait souvent peu de cas du contexte et du sens des sources étudiées (voir p. ex. p. 65, 104–105).

Ailleurs, des hypothèses depuis longtemps abandonnées sont déterrées sans aucune justification. L’auteur cite à plusieurs reprises le »Gotlansch Water Recht«, qui remonterait selon lui à un droit maritime allemand composé à Gotland dès le XIIIe siècle (p. 54, 83). Or, il est établi depuis le XIXe siècle que ce texte s’appuie sur les »Rôles d’Oléron«, dont la diffusion dans le monde hanséatique remonte au plus tôt à la seconde moitié du XIVe siècle.

En somme, il se dégage de cet essai l’impression d’une grande confusion. Le terme de »hanse« y est appliqué à des réalités et à des contextes fort variés, si bien qu’on peine à en distinguer les contours, à percevoir ce qu’est la »Hanse des marchands allemands« et ce qu’elle n’est pas. Une idée intéressante en ressort toutefois, laquelle mériterait d’être discutée et rigoureusement étayée: la Hanse allemande apparaît comme une organisation de marchands à laquelle les villes ne prennent part que dans la mesure où elles sont tenues par des élites marchandes.

1 Klaus Brandt (dir.), Hollingstedt an der Treene. Ein Flusshafen der Wikingerzeit und des Mittelalters für den Transitverkehr zwischen Nord- und Ostsee, Neumünster 2012.
2 Detlev Ellmers, Die Entstehung der Hanse, dans: Hansische Geschichtsblätter 103 (1985), p. 3–40.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Tobias Boestad, Rezension von/compte rendu de: Detlev Ellmers, Die Hanse der deutschen Kaufleute und ausgewählte Beiträge zur Geschichte der Seefahrt, Wismar (callidus. Verlag wissenschaftlicher Publikationen) 2018, 400 S., 90 Abb. (Hansische Studien, 26), ISBN 978-3-940677-16-7, EUR 42,00., in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62797