Guilhem Ferrand livre le premier volume d’édition des inventaires après décès de la ville de Dijon à la fin du Moyen Âge, présentant les documents produits entre 1390 et 1408. Cette entreprise est louable dans son objectif de mise à disposition d’un outil conséquent pour les travaux des historiens, particulièrement pour mener des études comparatives avec ces pièces publiées. L’ouvrage débute naturellement par un hommage à Françoise Piponnier, dont le caractère novateur des travaux sur le sujet est souligné par Danièle-Alexandre Bidon et Perrine Mane. Elles rappellent la richesse de l’œuvre de cette chercheuse, qui fut parmi les premières à revendiquer la nécessité de croiser les données de l’archéologie médiévale, alors en plein développement dans la seconde moitié du XXe siècle, avec les sources textuelles que constituent les inventaires après décès, dont elle a édité certains exemplaires au gré de ses articles, afin d’approcher au mieux la matérialité de la vie quotidienne à la fin du Moyen Âge. C’est ainsi l’ensemble de la documentation brute, sur laquelle elle a fondé ses recherches, qui est mis à la disposition du plus large public.

L’auteur dresse ensuite un bilan historiographique des études menées sur ce type de sources, en insistant notamment sur la longue tradition éditoriale des inventaires après décès depuis le XIXe siècle, néanmoins presque toujours partielle, et en citant les travaux de Philippe Wolff puis les colloques fondateurs de 1980 et 1988. Il revient sur la nécessité de disposer d’une documentation sérielle pour pouvoir mener d’amples travaux, tant sur l’habitat individuel que sur la matérialité du quotidien. La richesse des fonds conservés est soulignée à juste titre, mais l’auteur reconnaît une certaine fragilité dans le choix des bornes chronologiques retenues pour l’édition, qui correspondent aux cinq premières liasses d’archives des inventaires après décès, l'an 1459 étant en outre marqué par la modification et mise par écrit de la coutume de Bourgogne.

Un chapitre préliminaire, comme on en trouvera dans chaque volume, rappelle ici les caractéristiques de la procédure d’inventaire. Il s’agit d’un document normé, bien que l’ensemble des pièces ne se présente pas toujours sous une forme identique. L’aspect du plus ancien exemplaire conservé, daté de 1390, suggère que la mairie utilise déjà des formulaires pour ces documents et que le scribe qui a la charge de les rédiger est habitué à ce processus, tandis que l’inventaire après décès existe dès 1355 dans la campagne bourguignonne. Dans le cas dijonnais, la procédure est ponctuée de trois étapes bien distinctes que sont le partage, la recension et l’évaluation des biens. Guilhem Ferrand précise que tous les inventaires conservés à Dijon ne contiennent pas systématiquement, loin s’en faut, ces trois phases. Il insiste en outre sur l’évolution des normes juridiques que révèlent ces pièces, en soulignant la prééminence de la coutume de Bourgogne qui supplante de plus en plus nettement la coutume dijonnaise, et qui permet aux veuves de disposer de la moitié des biens de leurs défunts époux, ou au moins du quart de ces biens tandis que la coutume urbaine ne leur réservait aucune part.

La question des jurés-tauxeurs, désignés pour évaluer les biens, est aussi abordée dans ce chapitre introductif et a déjà fait l’objet d’une publication de l’auteur. Ces personnes, hommes et femmes, sont toujours nommées par la mairie de Dijon, ce qui constitue un aspect original par rapport à d’autres villes. L’échevinage dijonnais peut aussi recourir à des »experts« pour inventorier certaines catégories de biens, comme le montrent plusieurs exemples en ce qui concerne le vin ou encore les armes, bien que ce procédé ne soit pas systématique. L’observation de ces jurés-tauxeurs dans les différents inventaires met davantage en évidence une forme de protection corporatiste entre membres d’un même métier. La durée de la procédure est également abordée car elle s’avère plus ou moins longue d’une occurrence à l’autre, selon la quantité d’objets à inventorier.

Toutefois les délais sont régulièrement inexplicables, tandis que le coût total de la procédure est aussi rarement décelable, contrairement au coût de la mort qui est bien plus perceptible à la lecture de ces documents. Par ailleurs, la mairie se sert parfois dans les biens du défunt pour rétribuer certaines personnes ayant participé à l’inventaire, lorsque les ayant-droits n’ont pas les moyens de les payer eux-mêmes. Ce chapitre s’achève sur l’une des limites de ces documents, à savoir l’ambivalence demeurant parfois sur les noms de certains objets; l’inventaire après décès, conclut l’auteur, ne représente finalement qu’une partie de l’ensemble d’une procédure judiciaire menée par la mairie de Dijon.

Les choix d’édition sont ensuite présentés. Bien que la décision de faire figurer en italique le développement des abréviations du scribe soit discutable, elle ne gêne en rien la lecture de l’acte, contrairement à l’absence d’accentuation de la voyelle finale des verbes et de leurs participes passés. La publication globale des documents, incluant les folios pourtant très peu lisibles et très lacunaires, est quant à elle appréciable car elle reflète un souci de fidélité au texte initial.

Le corps principal de l’ouvrage est ensuite constitué par l’édition des 91 premiers inventaires après décès de la mairie de Dijon, couvrant près de 520 pages. On mesure à la lecture de ces documents la longueur variable des pièces conservées, par exemple entre l’inventaire du noble Jehan Sauvegrain, seigneur de Baurates (pièce no 30), qui s’étend sur 34 pages quand plusieurs autres n’en remplissent même pas une (pièce no 10). On relève aussi avec intérêt la quantité parfois importante de lettres retrouvées chez les défunts, concernant des dettes ou attestant certaines possessions, qui permettent ici de saisir partiellement les relations qu’entretiennent les individus avec l’ensemble de la société urbaine. Par ailleurs, bien que la documentation éditée concerne essentiellement des hommes, on compte une quinzaine d’inventaires de biens de femmes.

De la même manière, on constate que cette procédure concerne les laïcs comme les ecclésiastiques, dans la mesure où les biens de cinq prêtres décédés sont inventoriés par la mairie. À ce propos, l’auteur oublie de préciser leur fonction dans l’intitulé des pièces no 63 et 67, qui concernent respectivement Jehan Pegu et Jehan Chauchar. On note également les inventaires de deux nobles, deux juifs, trois maçons ou encore plusieurs habitants au service du duc ou de son épouse, comme ce premier cuisinier de Philippe le Hardi nommé Perrot Laillot, dont deux versions ont été produites par la mairie (pièce no 80). Il est toutefois regrettable que les patronymes de plusieurs individus soient transcrits de façon erronée, tels que le bailli de Dijon Richard de Chancey (transcrit »Chaucey« dans l’ouvrage), officier bien connu depuis l’»Armorial de la Chambre des Comptes de Dijon« publié par Jules d’Arbaumont en 1881 et cité dans de nombreux travaux sur l’espace politique bourguignon. Il en est de même pour les familles Chambellan (»Chambellant« dans l’index des noms), Bretenière (»Bretenere«), Janley (»Jauley«) ou encore Thibrand (»Chibrand«), qui soulignent des lacunes bibliographiques au sujet de l’espace dijonnais.

La diversité socioprofessionnelle des habitants ressort de ce premier volume, et gagnera à être complétée par l’édition des pièces postérieures qui permettront d’élargir ce premier panorama dont sont pour l’instant absents certains métiers tels que les boulangers, les bouchers, ou encore des officiers comme les sergents. L’ajout d’un tableau récapitulatif de ces 91 premiers inventaires aiderait à mieux se repérer au sein de l’ouvrage, bien qu’un tableau général soit prévu pour la fin du dernier volume.

La bibliographie de l’ouvrage rappelle finalement l’ampleur des travaux de Françoise Piponnier sur le sujet, l’édition de ces textes permettant ainsi de diffuser plus largement l’une des matières premières de ses réflexions. On peut regretter le caractère incomplet des index proposés, admis et assumé par l’auteur, tandis qu’une table des matières garnie des renvois aux différents inventaires serait particulièrement appréciable. Ces quelques remarques n’enlèvent bien sûr rien au mérite de Guilhem Ferrand et à l’ampleur du travail livré, dont on attend impatiemment les volumes suivants.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Rudi Beaulant, Rezension von/compte rendu de: Guilhem Ferrand, avec la collaboration de Jean-Pierre Garcia, Les inventaires après décès de la ville de Dijon à la fin du Moyen Âge (1390–1559). Tome I: 1390–1408, Toulouse (Presses universitaires du Midi) 2018, 660 p. (Méridiennes), ISBN 978-2-8107-0544-3, EUR 25,00, in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62798