Claude Gauvard a consacré au crime une vie de médiéviste, mais elle n’avait jamais abordé jusque-là la question du châtiment suprême, celui de la peine de mort. Dans »Condamner à mort au Moyen Âge«, elle ose enfin s’atteler à ce sujet qu’elle considère comme difficile et l’on comprend, à lire son introduction, qu’il a exigé d’elle un grand effort, pour décrire une peine que sa conscience citoyenne réprouve. Son approche est d’abord descriptive et son plan en témoigne, qui décline le mot »peine« selon douze qualificatifs: fréquente, fantasmée, redoutée, justifiée, encadrée … Claude Gauvard connaît bien les sources, qu’elle fréquente depuis plusieurs décennies et elle illustre chacun de ses chapitres des cas qu’elle y puise. Certains sont connus, d’autres inédits. La lecture en est rendue plus vivante.

La principale question que pose la synthèse de Claude Gauvard, portant sur la fin du Moyen Âge, est celle du nombre. Condamne-t-on à mort souvent ou par exception? C’est une question qui trouve difficilement une réponse, car les sources manquent pour fonder une étude quantitative. Et l’auteur, sur ce point, doit avouer ses doutes. Elle-même a longtemps écrit qu’on surestimait l’importance de la peine capitale au Moyen Âge, contrairement à l’image qu’en avaient pu laisser les pendus de Villon. Par ailleurs, une peine prononcée n’est pas toujours une peine exécutée. Il y a dans la justice médiévale des arrangements, des commutations de peine et des rémissions.

De tout cela émerge une impression d’incertitude. Il est dès lors difficile, faute de statistiques exploitables, de distinguer, de ce simple point de vue, la période étudiée (les XIVe et XVe siècles) des époques précédentes et de celles à venir. Existe-t-il des caractéristiques propres à ces siècles marqués par la guerre? Il est difficile de l’affirmer. Les textes juridiques forment un corpus susceptible d’être étudié, sous l’angle de l’évolution du droit, mais comment juger de l’évolution des pratiques, qui relèvent d’un autre registre? L’auteur rappelle à raison le souci des Marmousets de rendre une justice plus exemplaire. Elle souligne l’influence du prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville, en prémices à la réforme judiciaire de Charles VII de 1454. Mais elle ne peut déceler les inflexions en matière pénale.

Le plus délicat est sans doute d’aborder, sans craindre l’anachronisme, le sentiment causé par la peine de mort. L’exécution, comme la torture, sont omniprésents dans l’hagiographie, repris sous toutes les formes dans les illustrations des livres d’heures et sur les tympans ouvragés des églises (l’ouvrage comprend de belles reproductions). Le châtiment est celui de Dieu avant d’être celui des hommes. Personne ne peut s’en offusquer, quand la peine est considérée comme juste. L’auteur dit d’ailleurs que des condamnés à mort furent heureux d’échapper au lynchage, car la justice du peuple, en cas de viol d’enfant par exemple, est infiniment plus expéditive que celle des juges. D’ailleurs, le même peuple assiste en nombre au macabre spectacle et fustige le bourreau qui s’y prend mal. L’abolition de la peine de mort est une décision récente au regard de l’Histoire et Claude Gauvard cite en exemple, dans son introduction, Jean Jaurès et Robert Badinter.

Le point le plus intéressant, pour le lecteur moderne, est de comprendre comment l’Église, avocate du non occides (tu ne tueras point) a pu exercer la peine capitale dans ses propres ressorts. J’avais moi-même tenté de l’expliciter dans mon livre sur l’évolution du droit pénal1. Seul l’enchevêtrement des origines, où se répondent en permanence droit canon et droit romain, permet de saisir les positions, divergentes ou convergentes, des tribunaux. Le droit de la fin du Moyen Âge n’est pas encore unifié, mais les dispositions qui se mettent en place par l’intermédiaire de l’appel ou de la cassation ne manqueront pas d’y parvenir. Sans compter avec ce droit de la rémission dont use abondamment le souverain de la fin du Moyen Âge et qui, il faut bien l’avouer, finit par troubler l’image d’une justice équilibrée, fondée sur la recherche de la vérité. D’une certaine façon, le droit de grâce présidentielle que la Constitution n’a jamais osé supprimer, est l’un des derniers avatars d’une disposition médiévale fondée sur des considérations contraires à la rationalité du jugement.

Claude Gauvard, comme elle l’a fait dans tous ses ouvrages, associe l’organisation de la justice médiévale à la création d’un État conçu comme une sorte de Léviathan, dont la principale finalité serait de se protéger et de se renforcer. En matière de peine de mort, la démonstration manque de fondement. D’abord parce que les doléances des États réclament régulièrement au cours de ces deux siècles une justice efficace à l’encontre des pillards et des violents. Ensuite, parce que les justifications de la peine de mort sont partagées par la totalité du corps social. Il s’agit d’abord d’exemplarité. Le supplice doit d’abord servir à refroidir les ardeurs de celle ou de celui qui serait tenté de franchir la frontière de l’interdit.

Pour leur édification, on emmène les jeunes enfants aux exécutions, et même, comme le raconte l’auteur, les cochons lorsqu’il s’agit de pendre une truie qui a mangé un enfant. Il s’agit ensuite d’éviter l’exercice de la vengeance, personnelle ou collective. La justice, à ce titre, est d’abord conçue comme une forme de substitution, organisée et ordonnée, à la colère désordonnée de la foule. Il s’agit enfin, comme le rappelle Claude Gauvard d’éliminer des individus devenus, selon l’expression du temps »inutiles«, sous-entendu dangereux pour la société.

J’avais moi-même insisté sur la qualification, essentielle en droit médiéval, de la récidive, tirée du droit canon. Si un profil de grand criminel susceptible d’être condamné à la peine capitale devrait ici se dégager: c’est celui des multirécidivistes, ceux qui font profession du crime, qui agissent à l’occasion en bande et avec la force des armes. Le cas des traîtres aurait pu figurer sur la même liste. Au total, le rôle de l’État royal dans cette évolution s’inscrit dans une longue continuité, et si le souverain est particulièrement sensible aux atteintes à sa personne ou aux institutions, ses juges condamnent surtout beaucoup de voleurs, dont les crimes ne remettent pas en cause l’organisation politique du pays, mais menacent la cohésion de la communauté. Tous ces débats, ouverts au Moyen Âge, ne sont pas clos aujourd’hui.

1 Valérie Toureille, Crime et châtiment au Moyen Âge. Ve–XVe siècle, Paris 2013 (L’Univers historique).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Valérie Toureille, Rezension von/compte rendu de: Claude Gauvard, Condamner à mort au Moyen Âge. Pratiques de la peine capitale en France XIIIe–XVe siècle, Paris (Presses universitaires de France) 2018, 361 p., 9 fig., ISBN 978-2-13-054038-0, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62802