Si le parcours de Gottschalk d’Orbais est bien connu des spécialistes du haut Moyen Âge, l’ouvrage de Matthew Brian Gillis se présente comme le premier à en faire une étude d’ensemble, dans une perspective sinon biographique, du moins chronologique. L’historien, diplômé de l’université de Virginie et aujourd’hui Assistant Professor à l’université du Tennessee, à Knoxville, se saisit de ce »cas« pour révéler la dimension coercitive de la réforme carolingienne et la façon dont un individu a pu créer le scandale et entretenir, à travers une controverse doctrinale plusieurs fois condamnée, une forme de résistance à la hiérarchie épiscopale.

Le livre est organisé de manière chronologique et distingue sept grandes étapes dans la vie de Gottschalk: 1) la révolte du jeune moine en 829 contre son abbé Raban Maur afin de contester l’oblation dont il a fait l’objet dans sa jeunesse; 2) les années de Gottschalk en Francie, au temps de la crise de l’Empire au début des années 830; 3) ses années de prédication et de mission, en Italie et dans les Balkans (835–848); 4) sa condamnation pour hérésie en 848; 5) les premiers temps de son emprisonnement à Hautvillers (849–851); 6) son activisme pour continuer à propager ses idées; 7) sa résistance jusqu’à sa mort, en 868 ou 869.

Le mérite de l’ouvrage est d’interroger l’affaire à partir de l’individu. L’accent est mis sur la manière dont Gottschalk se met en scène et construit son identité en se référant aux textes augustiniens utilisés au cours des débats. Les écrits de Gottschalk sont analysés pour leur intérêt biographique. Ainsi, dans le chapitre 2 consacré au début des années 830, l’auteur étudie longuement la lettre »Domino Clementissimo« adressée par Gottschalk à l’archevêque Ebbon de Reims: le texte est présenté comme le reflet de la formation intellectuelle de Gottschalk mais aussi des vicissitudes que celui-ci traverse à l’époque de la crise de l’Empire. En parties 5 et 6, Matthew Bryan Gillis exploite avec intérêt les schedulae du théologien, ces notes qu’il communiquait à ses proches et qui entretenaient la controverse.

Les idées et l’itinéraire de Gottschalk ont constitué un véritable défi pour l’Église carolingienne. M. B. Gillis défend dans cet ouvrage la thèse selon laquelle Gottschalk utilise la controverse comme moyen de subversion et de »disruption« du pouvoir hiérarchique (p. 22). C’est moins le caractère hérétique de Gottschalk que sa résistance que l’auteur met en lumière, ainsi que la manière dont les autorités carolingiennes ont cherché à résoudre les problèmes qu’il posait. Refusant de parler pour l’époque carolingienne d’une »société de la persécution« (expression de Robert I. Moore), M. B. Gillis forge le concept de »réforme coercitive« (coercive reform), arguant du fait que le »régime« carolingien préférait l’inclusion forcée à l’exclusion (p. 7).

Si le pari de M. B. Gillis de retracer l’affaire à travers les expériences vécues par Gottschalk est réussi, certains points restent sujets à caution. Plusieurs choix de datation d’une œuvre ou d’identification d’un destinataire peuvent être débattus: l’auteur fait ainsi de l’évêque Loup de Chieti, plutôt que Loup de Châlons, le destinataire d’une longue lettre de Gottschalk, ce qui permet de densifier le réseau italien du lettré (p. 95–99). Le lecteur intéressé tirera profit, sur ces questions biographiques mais pas seulement, de la thèse de Warren Pezé publiée la même année1. Dans »Heresy and Dissent«, il est du reste parfois difficile de percevoir, à partir des péripéties vécues par Gottschalk, l’ampleur et les enjeux de la controverse que le moine a fait naître et qui l’a finalement dépassé. Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage de Matthew Bryan Gillis, par sa focalisation sur un individu, permet d’incarner les mécanismes qui sont à l’œuvre dans le concept de »réforme« carolingienne, y compris dans leurs caractéristiques les plus autoritaires et violentes.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Claire Tignolet, Rezension von/compte rendu de: Matthew Bryan Gillis, Heresy and Dissent in the Carolingian Empire. The Case of Gottschalk of Orbais, Oxford (Oxford University Press) 2017, VIII–280 p., ISBN 978-0-19-879758-6, GBP 65,00, in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62803