Le projet du livre de Duncan Hardy, issu de sa thèse, ne se dévoile pas par son seul titre. Cette culture associative qu’il entreprend de décrire au sein du complexe édifice politique qu’est l’Empire, c’est celle qui découle d’interactions multiples entre souverains, princes, nobles et villes. Il est donc question notamment des ligues de toute nature et des Landfrieden promulguées par les souverains ou créées de manière plus locale, mais l’auteur ajoute à ces interactions déjà bien connues des liens qui présupposent et qui mettent en œuvre ces interactions, des procédures d’arbitrage aux coseigneuries, des faides à la culture politique commune à tous ces acteurs.

La première partie du livre est consacrée aux »structures et pratiques«, autrement dit aux instruments à la disposition des acteurs. Des pratiques communes en matière de diplomatique ou d’arbitrage, sans aucun doute, sont des éléments déterminants dans les relations entre acteurs, mais ce que dit l’auteur dans cette partie reste souvent très général; l’Allemagne du Sud, de l’élection de Charles IV à la mort de Maximilien, n’est en la matière pas un cas singulier, et plutôt que d’affirmer des points communs déjà amplement connus, il aurait été préférable de montrer comment circulaient au sein de cette scène politique fragmentée les innovations et les influences.

La deuxième partie entreprend d’aborder dans cette perspective la partie la plus connue de cette culture, celle constituée par les nombreuses ligues et alliances qui structurent cet espace politique. Que le bien commun ou la paix publique servent de concepts fondateurs à ces associations, ce n’est pas surprenant, mais quelle est la valeur opératoire de pareilles généralités? L’auteur étudie en particulier la fonction de ces alliances de nature diverse: l’exposé est clair, mais il ne va pas beaucoup au-delà de ce que chacun peut lire dans leurs actes constitutifs, sources aujourd’hui largement éditées et bien connues.

Il faut donc attendre la troisième partie pour parvenir à quatre études de cas qui viennent illustrer les exposés théoriques des deux premières parties – la méthode surprend, et il aurait été plus parlant de tirer les problématiques du travail au plus près des événements et des sources plutôt que de présenter ainsi les événements comme de simples confirmations. Les exemples n’ont certes pas manqué dans les deux premières parties, souvent à partir d’archives inédites, mais ils ne parvenaient pas toujours à dissiper l’impression d’une description surplombante. Il montre ainsi l’importance des phénomènes associatifs dans le cycle de guerres décrit habituellement comme opposant entre 1376 et 1389 les villes et les princes; il n’est certes pas difficile de montrer qu’une telle présentation binaire ne peut décrire les logiques beaucoup plus individuelles des acteurs et la composition hétérogènes des ligues, mais on en retire l’impression que la vigueur du phénomène associatif ne peut être interprétée comme la preuve de leur efficacité dans la résolution des conflits: toutes ces ligues ne sont-elles pas dans ce contexte plutôt les simples formes contingentes et éphémères par lesquelles les acteurs défendent leurs propres intérêts?

Ce terreau culturel commun n’est certainement pas statique, et les associations politiques décrites par l’auteur n’en sont pas les seules manifestations – les ligues urbaines peuvent-elles se concevoir sans la diplomatie quotidienne et sans les réseaux familiaux et commerciaux des élites urbaines qui nourrissent les relations de long terme entre les villes? La cour du souverain, les diètes sont également des lieux fondamentaux de la culture politique des acteurs étudiés ici, et leur évocation aurait été nécessaire pour ramener les pratiques associatives étudiées par l’auteur à leur juste dimension.

Le grand mérite du livre, cependant, tient à l’approche large et pragmatique des acteurs: il n’est jamais mauvais de rappeler que les relations au sein de la sphère politique de l’Empire ne répondaient ni à la logique de hiérarchies rigides, ni à celle de solidarités entre pairs, ni à celle de territoires cohérents et unifiés, à condition de réduire à ses justes proportions la communauté d’intérêts que pouvait par exemple créer entre un simple chevalier et un grand prince le partage de droits seigneuriaux. Une telle approche pragmatique de l’Empire, ne se limitant pas aux élites princières et aux villes, attentive à la labilité des structures et à la pluralité des relations, fait efficacement pièce au grand récit de la »genèse de l’État moderne«.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Dominique Adrian, Rezension von/compte rendu de: Duncan Hardy, Associative Political Culture in the Holy Roman Empire. Upper Germany, 1346–1521, Oxford (Oxford University Press) 2018, XIV–302 p., 12 fig., 2 maps (Oxford Historical Monographs), ISBN 978-0-19-882725-2, GBP 75,00, in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62806