Vingt ans après son »Enguerrand de Bournonville et les siens. Un lignage noble du Boulonnais aux XIVe et XVe siècles« (Paris 1997), Bertrand Schnerb nous offre une nouvelle étude d’une famille noble du nord de la France, cette fois de Picardie1. La famille a fleuri du XIIe au XVIe siècle, mais l’auteur se focalise sur la fin du XIVe et le XVe siècle, lors d’une période critique, quand la Picardie était un enjeu entre le pouvoir royal et le pouvoir bourguignon. Ceci explique que les Saveuse aient servi d’un côté ou de l’autre.

Bertrand Schnerb présente donc la carrière des membres de la famille sur plus d’un siècle. Il commence avec le »patriarche« Guillaume, dit Morel, seigneur de Saveuse, mort en 1421 ou 1422, qui a combattu dans les armées royales, qui fut conseiller et chambellan du roi, et qui fut commis capitaine général de Picardie de 1387 à 1389, mais qui est entré dès 1385 au service du duc de Bourgogne Philippe le Hardi, dont il devint aussi un chambellan. Son fils Pierre, dit Morelet, fut tué à Marck, en 1405, contre les Anglais, dans les troupes de Waleran comte de Saint-Pol. Il eut six fils et quatre filles. Après le meurtre du duc d’Orléans en 1407, il semble y avoir eu une hésitation dans la famille.

L’un des plus jeunes fils, Jean (v. 1398–1464), fut placé dès 1409 au service de la Maison d’Orléans, dans l’hôtel de Jean comte d’Angoulême, qu’il suivit comme otage des Anglais en 1412. Libéré en 1431, il fut un intermédiaire pour la libération de Jean d’Angoulême et de Charles d’Orléans, dont il resta proche toute sa vie. De son côté, son frère aîné Guillaume combattit pour les Armagnacs en 1411–1412, avant de rejoindre les rangs des Bourguignons et de se faire tuer à Azincourt en 1415. Dans les cadets, Hector, qui avait une conception personnelle de la guerre, servit le duc de Bourgogne à partir de 1408 et alla jusqu’à tuer le favori de Jean sans Peur, Élyon de Jacqueville, à la suite d’une querelle; il ne fut pas condamné et mourut en 1420.

Il revint au troisième fils, Philippe (1392–1468), dont le parrain avait été le duc Philippe le Hardi, d’hériter de la seigneurie de Saveuse, et toujours il se montra fidèle à la maison de Bourgogne. Il avait servi avec son frère Hector et, en 1430, sous Jean de Luxembourg, seigneur de Beaurevoir, dont il était proche, il participa au siège de Compiègne, où Jeanne d’Arc fut capturée, puis il participa à la défense de la Picardie, jusqu’en 1435. Ce fut une des raisons pour lesquelles, cette dernière année, il fut choisi comme capitaine d’Amiens, pour le roi, puis le duc de Bourgogne, charge qu’il occupa avec efficacité jusqu’à sa mort en 1468. Grâce à sa longévité, Philippe fut le grand homme de la famille. Les sources permettent de suivre les campagnes militaires auxquelles il a participé, à côté de la défense de la Picardie: siège de Calais (1436), conquête du Luxembourg (1443), de la Normandie pour le roi (1449–1450), guerre contre Gand (1452), guerre du Bien public (1465), expédition contre Dinant (1466). Ces sources permettent aussi de suivre son service et sa présence à la cour en tant que conseiller et chambellan. Son frère, le Bon, et le fils bâtard de ce dernier, Robert, le secondaient.

Sa femme, Marie de Lully (aujourd’hui Loeuilly), aussi de noblesse picarde, est la seule épouse Saveuse pour laquelle on dispose de données historiques. Elle fonda avec son mari un couvent de clarisses à Amiens et il y eut notamment un procès entre son couple et celui de sa sœur Marguerite, épouse de Guillaume Le Jeune, seigneur de Contay, pour des questions d’héritage. Philippe de Saveuse eut à cœur d’augmenter son patrimoine avec un grand nombre de seigneuries s’étendant de l’Artois au Beauvaisis. Un des sommets de sa vie fut le mariage, en 1448, de sa fille Jeanne avec Charles d’Artois, comte d’Eu, mais celle-ci mourut prématurément quelques mois après.

Après sa mort, en 1468, l’héritage paternel échut à son frère cadet, le Bon de Saveuse (v. 1395–1476), gouverneur de Béthune, puis à son petit-neveu Jennet de Saveuse. À la suite de la défaite de Nancy, la Picardie étant redevenue française, les Saveuse passèrent au service du roi, sauf Charles († 1498), fils du dernier frère, Robert (v. 1400–1457), seigneur de Souverain-Moulin en Artois.

L’étude de Bertrand Schnerb va plus loin que celle d’un »hôtel« noble: il la situe dans les développements historiographiques récents; au cours de l’ouvrage, il livre des études sur des points particuliers, comme celle des gens d’armes servant les Saveuse de 1417 à 1434 (p. 140–147) ou celles sur le patrimoine (notamment p. 239–265) ou les armes et les sceaux (p. 328–332). Tout au long du livre, il n’hésite pas à citer les sources, narratives, judiciaires, archivistiques. Il en fait ainsi un ouvrage de référence, mais aussi un ouvrage pédagogique.

1 Saveuse se trouvant à une huitaine de kilomètres à l’ouest d’Amiens.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Bertrand Schnerb, La noblesse au service du prince. Les Saveuse: un hostel noble de Picardie au temps de l’État bourguignon (v. 1380–v. 1490), Turnhout (Brepols) 2018, VIII–375 p., 14 n/b ill. (Burgundica, 27), ISBN 978-2-503-55521-8, EUR 83,00., in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62825