Une étude sur l’usage de la tapisserie à la cour de Bourgogne et en dehors de la cour est bienvenue. Se situant dans le constructivisme si répandu (sous diverses formes, le mot construction ou le verbe construire apparaissent quatre fois en quatrième de couverture), l’auteur joue dans ses titres de chapitre et de sous-partie avec les termes du tissage (spinning »filer, tisser«, warp »chaîne«, weft »trame«, fabric »tissu«), tout en personnifiant les »textiles«.
Dans l’introduction, K. A. Wilson place son travail dans l’histoire de la consommation à la fin du Moyen Âge, présente ses sources (les comptes bourguignons aux archives de Dijon et de Lille), rappelle la formation des Burgundian Dominions (une appellation assez peu répandue), et dresse le tableau de l’histoire de la tapisserie et des textiles, l’un de ses buts étant la mise en contexte.
Le premier chapitre, »Spinning Networks and Spreading Risks« (p. 23–56) est consacré aux fournisseurs, réparateurs et transporteurs (Jaquet Dourdin, Jean Cosset, Pierre de Beaumez, Nicolas Bataille, Jean de Neufport, Jean Wallois, Pasquier Grenier, Garnier Pourcelot), qui acceptaient le risque de ne pas être payés (le duc Philippe le Hardi est mort chargé de dettes), mais qui malgré tout travaillaient pour l’hôtel des ducs de Bourgogne afin d’établir ou de maintenir leur réputation d’artisans dans leur ville (Paris, Arras, Lille, Bruxelles), tout en »tissant« des réseaux de cour.
D’autre part, l’augmentation des membres de l’hôtel favorisait le monopole de certains fournisseurs, qui pouvaient même devenir, à part »valets de chambre«, »tapissiers, gardes ou aides de la tapisserie ou de la chambre« (une étude approfondie de ces officiers de l’hôtel reste à écrire), qui pouvaient proposer d’autres services au duc ou à la duchesse de Bourgogne. Le risque pour les fournisseurs était dilué au moyen de la collaboration entre membres des métiers.
Dans le deuxième chapitre, »Flexible Architecture. The Warp and Weft of Urban and Courtly Residences« (p. 57–112), K. A. Wilson s’intéresse aux tapisseries elles-mêmes. La fin du Moyen Âge a vu une hausse de qualité des produits et le développement des marchés, notamment celui d’Anvers en ce qui concerne les productions artistiques. Par »architecture flexible« elle entend la disposition des tapisseries dans les différentes pièces des résidences (chambres, chapelles) et leur présentation comme tentures ou comme couvertures de coussin, lit, banc, sol, ce qu’elle illustre à l’aide de miniatures contemporaines. Elle étudie ensuite l’utilisation de la tapisserie à Dijon (»Tapestry as Performer«), puis dans les résidences ducales, à Paris, à Bruges, à Lille, à Germolles, et la fonction des chambres de tapisserie (en tant qu’ensemble de pièces tissées) lors d’événements diplomatiques ou politiques.
Avec le troisième et dernier chapitre, »The Fabric of Social Relations« (p. 113–147), K. A. Wilson se concentre sur le don de tapisseries, textiles considérés comme des acteurs vivants de l’histoire et des individus impliqués dans la dynastie bourguignonne et ses réseaux territoriaux. Elle étudie les dons des ducs (notamment Philippe le Hardi): dons diplomatiques en vue d’une paix ou d’une alliance matrimoniale, dons à des nobles français, à des membres de la famille »bourguignonne« élargie pour la lier ensemble, dons en vue de la libération de Jean de Nevers à la suite de Nicopolis (ajoutons que ces tapisseries sont passées dans le trésor de Tamerlan par sa victoire sur Bayezid à Ankara en 1402), dons à des conseillers et aux membres des élites urbaines.
Un épilogue (p. 149–157) conclut l’ouvrage, rappelant son inscription dans l’histoire matérielle, et donc traitant des réparations, nouvelles utilisations et réfections. Suit un utile glossaire des termes spécifiques aux textiles (p. 159–183), les sources, la bibliographie et un index (à revoir, les entrées étant faites sans logique soit au nom soit au prénom).
Une petite correction: p. IX, se trouve une note sur les monnaies, qu’il faut corriger ainsi: l’écu frappé à partir de 1385 est l’écu à la couronne (le premier écu frappé l’a été en 1337); toutes les livres comprennent 20 sous, et chaque sou 12 deniers; leur valeur comparative s’établit ainsi: livre parisis, dont les 20 sous correspondent à 25 sous tournois; livre tournois, dont les 20 sous correspondent à 16 sous parisis; livre de 40 gros = 2 livres parisis; livre de gros = 6 livres de 40 gros.
Un mot aussi sur la présentation de l’ouvrage: il est imprimé en caractères bien petits et les illustrations en noir et blanc sont pour la plupart trop obscures; vu le prix du livre, Brepols ne pourrait-il faire l’effort d’introduire des photographies en couleurs?
Kathleen Anne Wilson nous offre un livre très intéressant, qui pourrait servir d’introduction générale à une étude à venir des tapisseries elles-mêmes de la période bourguignonne à partir des archives et de celles conservées aujourd’hui (relevons que sur les vingt-huit illustrations, seulement quatre sont de tapisseries).
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Katherine Anne Wilson, The Power of Textiles. Tapestries of the Burgundian Dominions (1363–1477), Turnhout (Brepols) 2018, XII–221 p., 2 b/w tabl., 28 b/w ill. (Burgundica, 26), ISBN 978-2-503-53393-3, EUR 74,00, in: Francia-Recensio 2019/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62830