La comparaison germano-italienne insérée dans un vaste cadre international – voici la force des seize très riches contributions de ce volume, structurées autour de trois problématiques principales: les politiques urbaines, la »ville historique« et les mouvements sociaux. L’initiative en revient à l’Institut historique allemand de Rome et réunit un ensemble international de scientifiques sous la direction de Martin Baumeister (Institut historique allemand de Rome), Bruno Bonomo (Sapienza – Università di Roma) et Dieter Schott (université de Darmstadt). L’argumentaire part de la critique virulente des années 1960 à l’égard des vicissitudes des architectures de la reconstruction d’après-guerre – notamment du fonctionnalisme dans l’habitat. Les auteurs décortiquent la complexité des différences, parallélismes et convergences ainsi que des évolutions à court, moyen et long terme dans toutes leurs variétés selon des thématiques spécifiques. Le lecteur trouvera des accès aussi argumentés que détaillés à l’immense recherche internationale dans laquelle s’insère celle sur ces deux pays. De nombreuses illustrations appuient par ailleurs les analyses.

Lutz Raphael (Trèves) ouvre l’éventail des questionnements par l’analyse des évolutions notamment sociales, économiques, démographiques mais aussi liées aux finances publiques ou aux réformes du droit de la famille – toujours en comparaison internationale – pendant les années 1970 et au cours du XXe siècle. Il dresse un tableau différencié des facteurs intérieurs à chacun des deux pays et de leur place dans les processus plus généralisés. Pour ne relever qu’un exemple: si la consommation a, selon de nombreux indicateurs, suivi depuis la fin de la guerre un chemin semblable, celui-ci ne conduisit pas pour autant à une qualité de la vie semblable en Italie et République fédérale pendant les années 1970 et 1980, lorsque l’on tient compte d’autres facteurs comme l’environnement, les communications ou l’inégalité des revenus. Si des chocs sociaux et économiques frappèrent les deux pays pendant ces années, leur résultat fut une évolution contrastée sur le plan politique, consolidant des transformations plutôt consensuelles en Allemagne, mais conduisant à des ruptures profondes en Italie.

Un premier ensemble de contributions s’articule autour des politiques et visions urbaines communistes. La vivacité de ces débats reflète la tradition du »compromesso storico«: on est loin de la sclérose doctrinale et politique du communisme dans beaucoup d’autres pays. Francesco Bartolini (Macerata) suit les conceptions de la ville depuis Gramsci et les néo-marxistes des années 1970, d’ailleurs en vive discussion franco-italienne par exemple avec Henri Lefèbvre. La relation entre rente et profit constitua l’un des fils directeurs dans les discussions sur la désagrégation menaçant les villes, débat dont Renato Zangheri fut l’un des instigateurs. La position dirigeante obtenue par les communistes autour de 1975 dans huit des dix plus grandes villes (dont Turin, Naples ou Rome) et forte dans d’autres sembla ouvrir des perspectives concrètes pour un renouveau du débat et, partant, des politiques urbaines culturelles, industrielles ou de l’habitat. Mais le bilan fut plutôt décevant à la fin de la décennie devant le chômage, la contestation et la violence politique.

Un premier ensemble de contributions s’articule autour des politiques et visions urbaines communistes. La vivacité de ces débats reflète la tradition du »compromesso storico«: on est loin de la sclérose doctrinale et politique du communisme dans beaucoup d’autres pays. Francesco Bartolini (Macerata) suit les conceptions de la ville depuis Gramsci et les néo-marxistes des années 1970, d’ailleurs en vive discussion franco-italienne par exemple avec Henri Lefèbvre. La relation entre rente et profit constitua l’un des fils directeurs dans les discussions sur la désagrégation menaçant les villes, débat dont Renato Zangheri fut l’un des instigateurs. La position dirigeante obtenue par les communistes autour de 1975 dans huit des dix plus grandes villes (dont Turin, Naples ou Rome) et forte dans d’autres sembla ouvrir des perspectives concrètes pour un renouveau du débat et, partant, des politiques urbaines culturelles, industrielles ou de l’habitat. Mais le bilan fut plutôt décevant à la fin de la décennie devant le chômage, la contestation et la violence politique.

Un second ensemble de contributions se consacre à la protection et la »réinvention« de la ville historique. Très critique vis-à-vis des experts en conservation des vieilles villes de l’Allemagne occidentale, Gerhard Vinken (Bamberg) étudie le grand élan de réappropriation des héritages urbains dans des formes multiples de participation des habitants depuis 1968, toutefois efficacement contrecarré par nombre d’institutions académiques et administratives de conservation. Le débat sur l’exigence de la charte de Venise (1962), à savoir la séparation de l’ancien du moderne dans l’urbanisme, conduisit trop souvent à une pure reconstruction historique artificielle dans la vieille tradition du Heimatschutz (protection du patrimoine) du début du XXe siècle.

Guido Zucconi (Venise) présente le contre-modèle italien de beni culturali (des biens culturels) développé suite aux grands désastres naturels de 1966 (dont les inondations de Florence et Venise) et formulé dans les chartes au grand rayonnement international de Gubbio (1960) et de Venise. Par une approche interdisciplinaire, ce modèle intégra entre autres les sciences sociales et l’anthropologie, l’héritage culturel se concrétisant notamment dans les centres historiques. Bologne devint un pôle d’attraction mondial de la mise en œuvre de ces nouvelles conceptions.

Harald Bodenschatz et Jost Ulshöfer (Berlin) en suivent en détail l’émergence concrète, tendant notamment à préserver la structure sociale variée de ces centres au lieu de forcer les couches moins fortunées à l’émigration vers les banlieues, »une cité antique pour une nouvelle société« (l’architecte Pierluigi Cervellati, 1970). Mais les années 1980 déjà révélèrent là aussi un succès limité. Ainsi les services publics, au centre du concept, perdaient-ils en poids politique général, contribuant à une crise du modèle dont la multitude de facteurs est mise en relief par les auteurs, tout en considérant comme indispensable l’analyse multidisciplinaire encore plus poussée de cette crise.

C’est ce qu’entreprend Melania Nucifora (Paris) pour la Sicile, à travers la comparaison entre Catane et Syracuse qui virent leur prospérité antérieure connaître la crise dans les années 1970. Confrontées à des défis semblables, ces crises prirent des configurations très différentes dans les réalisations de l’héritage culturel selon l’interaction, ou plutôt la concurrence, entre chrétiens-démocrates, néo-fascistes et communistes, entre planification urbaine et aménagement du territoire campagnard environnant en pleine transformation, entre municipalités et experts de planification, entre universitaires et monuments historiques, entre intérêts locaux, régionaux, nationaux et l’évaluation par l’ICOMOS sur le plan mondial, le tout souvent interconnecté avec les structures socio-économiques des deux villes – et le crime organisé, notamment à Catane.

La destruction partielle du centre historique de Catane (sous les yeux de la Soprintendenza ai monumenti), au profit d’un quartier commercial en adaptant le plan de 1932, contrasta avec une relative préservation de l’héritage culturel à Syracuse, lançant une conception résolument nouvelle d’héritage; cette ville fut caractérisée par une structure politique relativement moins conflictuelle ainsi que par une coopération plus efficace entre la Sopraintendenza alle Antichità et les organisations culturelles locales. Le »droit à l'héritage et au paysage« se fraya petit à petit un chemin.

Le troisième ensemble du volume est consacré à l’espace urbain et aux mouvements sociaux. Freia Anders (Mayence) et Alexander Sedlmaier (Bangor) font ressortir les différences et similitudes des mouvements urbains de contestation en Italie et Allemagne occidentale (notamment à Berlin-Ouest et Francfort-sur-le-Main) en tenant compte des influences surtout françaises, des transports en commun et des occupations d’habitations marquant deux des focalisations. Luciano Villani (Paris) approfondit ces batailles pour un habitat urbain digne à Rome; on pourrait observer que les racines urbanistiques du problème remontent dans cette ville aux années 1870.

Sebastian Haumann (Darmstadt) suit l’influence du Movimento del ’77 italien sur le rebondissement de la contestation allemande en 1977–1978 quand, dans les deux pays, la culture urbaine revêtit une fonction centrale. Ainsi la Scala à Milan autant que les Stadthallen dans de petites villes allemandes comme Hilden devinrent des symboles de cultures et comportements bourgeois, dont les prix d’entrée devaient être soumis au principe d’»autoréduction« pour combattre l’exclusivité – l’auteur ne dit pas si la contradiction entre le refus de la culture bourgeoise et l’exigence de la rendre accessible a effleuré les militants. La forme des Stadtindianer ou indiani metropolitani (fondée sur l’exemple mythifié des Indiens américains) prit de même un essor international pour justifier l’utilisation de la violence.

Le livre est paru au moment où les dernières mines de la Ruhr attendaient leur fermeture en 2018. Christian Wicke (Utrecht) clôt le volume par l’étude de l’impact de l’univers des cités ouvrières, développées en Allemagne notamment en modifiant le modèle anglais des Garden Cities. À l’époque de l’industrialisation, elles avaient constitué un élément clef dans les mouvements de réforme sociale et la politique sociale paternaliste des industriels allemands, marquant entre autres aussi l’Alsace, la Lorraine et le Luxembourg. Un nombre important de problèmes politiques, sociaux et économiques y convergèrent; la question environnementale parvint seulement plus tard à la perception publique. Les cités ouvrières étant devenues un élément central dans le vécu quotidien de la culture ouvrière, leur destruction accompagnant le déclin de l’industrie du charbon depuis les années 1960 constitua un motif important parmi les ouvriers de la Ruhr pour rejoindre les mouvements contestataires: la conservation de cet habitat de qualité et à prix modique refléta l’éventail des exigences économiques, sociales et environnementales générales de la contestation.

L’exemple de ce »mouvement urbain de la Ruhr« permet ainsi de différencier – sur les plans thématiques, locaux et régionaux – la variété générale des motivations qui le nourrissaient. Wicke les analyse systématiquement selon les cinq critères de classe, idéologie, identité spatiale, culture historique et jugement esthétique. Ainsi apparaissent les points de divergence et de rencontre avec les mouvements sociaux plus vastes. En témoignent, par exemple, les squats et les journaux et médias issus des mouvements sociaux, ainsi que les confrontations fréquentes avec les syndicats traditionnels et les administrations (par exemple la Neue Heimat, une société immobilière appartenant à la Confédération allemande des syndicats (DGB) particulièrement critiquée) favorisant une modernisation des logements prenant peu en compte les structures sociales et culturelles existantes.

L’histoire urbaine permet ainsi l’analyse approfondie d’un grand nombre des composantes de la transition vers une culture postindustrielle.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Rainer Hudemann, Rezension von/compte rendu de: Martin Baumeister, Bruno Bonomo, Dieter Schott (ed.), Cities Contested. Urban Politics, Heritage, and Social Movements in Italy and West Germany in the 1970s, Frankfurt a. M. (Campus Verlag) 2017, 382 p., 35 fig., ISBN 978-3-593-50697-5, EUR 49,95, in: Francia-Recensio 2019/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62878