Soulignons d’emblée la pertinence de l’approche comparée adoptée. Si les vertus du comparatisme sont rituellement rappelées par les historiens, sa mise en œuvre n’est pas si fréquente ni – quand elle est tentée – forcément judicieuse. Le choix de Benoît Agnès se justifie pleinement dans la période retenue: écartant la Révolution et l’épisode napoléonien qui singularisaient le cas français, il se focalise sur la Restauration et la monarchie de Juillet qui inauguraient une forme limitée de parlementarisme pouvant se rapprocher du système britannique, avant que la révolution de 1848 n’engage la France sur d’autres voies.
Les trente années ainsi retenues constituent une période suffisamment longue pour mettre en évidence les similarités comme les différences, tout en restant maitrisable pour une recherche menée dans le cadre d’une thèse. La structure de l’ouvrage porte d’ailleurs la marque de la composition rituelle d’une thèse: trois parties … mais précédées d’une copieuse introduction où à l’aide de tableaux, de courbes et d’histogrammes, l’auteur montre l’évolution du nombre de pétitions dans les deux pays. Deux enseignements en ressortent: contrairement aux idées reçues jusqu’à ces dernières années, le nombre des pétitions ne connaît pas de véritable déclin en France au cours des années 1830 mais se situe, durant toute la période étudiée, très en-dessous des niveaux atteints au Royaume-Uni (dans un rapport de 1 à 10).
La première partie de l’ouvrage, intitulée »l’amont des pétitions«, analyse en premier lieu l’encadrement juridique du pétitionnement. Reconnu au Royaume-Uni comme un droit fondamental, il est solidement encadré par le règlement de la Chambre des communes; en France, l’affirmation du droit est plus discrète mais ne fait l’objet d’aucune mention dans le règlement de la Chambre des députés. Le chapitre suivant analyse la répartition géographique des pétitions en 1814 et en 1835: les cartes réalisées montrent la diffusion du pétitionnement dans les deux pays. Quant aux auteurs, ce sont »des personnes considérables«, notables et personnes respectables …
Benoît Agnès suit ensuite le trajet de la pétition depuis la plume de l’auteur jusqu’au parlement, faisant évidemment un sort particulier à la pétition collective et aux modalités de la récolte des signatures, associée en Angleterre, pour les plus importantes, à la tenue de meetings.
La deuxième partie (»Au cœur du politique: la pétition et ses objets«) ne prétend pas dresser une liste exhaustive des objets des pétitions dans les deux pays mais se propose de mettre en perspective »les manières dont les Français et les Britanniques s’adressent à leurs représentants, les réclamations traditionnelles dont ils leur font part, mais aussi les revendications nouvelles qu’ils leur présentent« (p. 133). Benoît Agnès insiste sur la différence de style entre la pétition britannique, marquée par une normalisation de l’écriture et la pétition française plus maladroite dans son expression. Il relève aussi le plus grand poids de la pétition personnelle en France, axée sur la demande de réparation morale ou matérielle, les préoccupations catégorielles étant plus développées au Royaume-Uni. Pour autant, les protestations contre la fiscalité continuent d’occuper une large place dans les deux pays. Enfin il insiste sur les nouveaux objets en particulier le combat pour les avancées démocratiques qui connaît son apogée en France dans les années 1830. En Angleterre c’est une longue série (plus de 700 pétitions) qui débute dès 1817, réclamant à mots couverts le suffrage universel masculin: les trois grandes pétitions chartistes qui recueillent plusieurs millions de signatures en constituant l’apogée.
La dernière partie du livre traite de la réception des pétitions dans le domaine public et aux Parlements. Elle évoque les débats qui ont eu cours sur ce quoi doit être une pétition: respectueuse et respectable, »à l’ancienne«, ou bien expression de l’opinion publique et préfiguration de l’exigence démocratique. La pétition entre donc dans un double rapport de coordination et de concurrence avec la représentation parlementaire: coordination puisqu’elle s’adresse aux autorités via la Chambre basse, mais aussi concurrence, surtout dans le cas des pétitions collectives, où elle peut être perçue comme un substitut à la représentation institutionnelle. L’auteur relève enfin la double attitude des parlementaires: aux marques de considération se mêlent celles d’un mépris, plus accentué en France qu’en Angleterre, un mépris qui participe à la crise du pétitionnement dans cette première moitié du siècle, allant jusqu’à mettre en cause son utilité, du moins dans certains milieux: il semble qu’elle garde, même en France, une certaine faveur dans le public.
En conclusion, l’auteur relève que la fonction de régulation des relations entre la société et le pouvoir que revêt le pétitionnement semble au final mieux assurée au Royaume-Uni qu’en France où ses victoires sont plus rares et de plus faible portée: une différence qui peut participer à une meilleure compréhension de la Révolution de 1848.
L’ouvrage de Benoît Agnès s’inscrit dans le renouveau de l’intérêt porté à ce mode d’action politique, manifeste depuis le début des années 2000 (auquel l’auteur se réfère dès l’introduction). Il apporte une information riche, solide et nuancée, apportant, au-delà du phénomène lui-même une contribution précieuse à l’analyse des destins politiques contrastés des deux pays, si proches et si différents.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Fabienne Bock, Rezension von/compte rendu de: Benoît Agnès, L’appel au pouvoir. Les pétitions aux parlements en France et au Royaume-Uni (1814–1848), Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2018, 307 p., nombr. ill. en n/b (Histoire), ISBN 978-2-7535-6510-4, EUR 25,00, in: Francia-Recensio 2019/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2019.2.62879